Le Triomphe de la volonté, c’est le titre du film de Leni Riefenstahl sorti en 1935 à la gloire d’Hitler et du peuple allemand. Pourquoi Hitler maintenant ? Parce que le chancelier allemand des années 30 est né un 20 avril (1889). Pourquoi rappeler l’anniversaire de ce monstre, sans même parler de le fêter ? Parce que, malgré les milliers de ventes de Mein Kampf en Allemagne (en rupture de stock, malgré son tarif incroyable de 59 euros), on ne va pas parler d’Hitler, mais de la volonté.
Quel rapport avec Hitler ? Il représente en quelque sorte le triomphe de la volonté, mais le triomphe de la volonté sur les autres facteurs qui peuvent amener un homme au pouvoir : ambition, réseau, sondages, campagne d’image, tout le dispositif qu’on connaît aujourd’hui et que la démocratie a établi.
« Croire ne suffit pas »
D’après le discours d’Hitler, avec une volonté de fer, c’est-à-dire un sens du combat et du sacrifice, on peut renverser des montagnes. Et les montagnes, c’est quoi ? Le peuple allemand, et derrière, les autres peuples. Un noyau de sept militants – les effectifs du NSDAP (patri national ouvrier allemand) au départ – a fédéré autour de ses principes un cercle de plus en plus grand de sympathisants, qui ont atteint une masse critique, et par un effet de levier, entraîné la majorité du peuple. On ne juge pas ici le bien-fondé moral de l’aventure hitlérienne, mais bien la mécanique politique de cette prise de pouvoir, complètement imprévue dans l’histoire. En 2016, la probabilité pour qu’un (tel) individu prenne le pouvoir de la sorte, est quasi-nulle. La « démocratie » a verrouillé toutes les entrées, pour le bien commun ou pas, chacun jugera. La démocratie moderne n’est peut-être d’ailleurs que l’organisation politique de cette interdiction d’un pouvoir populaire, associé automatiquement à Hitler et consorts.
Un siècle exactement avant la naissance d’Hitler, Bonaparte avait combiné la même volonté avec un grand sens de la stratégie pour conquérir d’abord la France – une France en lambeaux – et ensuite l’Europe. L’un finira sur une île, l’autre dans un bunker. Que faut-il en conclure ? Que la volonté ne peut plus être le moteur d’une politique de changement ? N’oublions pas les conditions historiques spéciales qui ont mis la volonté en haut de la pile des outils de conquête du pouvoir.
1799, la France est exsangue, mais la nouvelle armée du peuple, conduite par de jeunes généraux audacieux et inventifs, vole de victoire en victoire sur les terres étrangères (Italie, Egypte). À Paris, le pouvoir politique est paralysé par une structure en double assemblée coiffée de cinq « consuls ». On craint à chaque instant un complot royaliste qui profiterait du chaos institutionnel pour reprendre le pouvoir, par les armes. D’où les campagnes extérieures, sur lesquelles s’illustre le jeune général Bonaparte. Dans la foulée de son coup d’État, profitant de sa popularité, le Premier Consul de France se fait écrire une constitution sur mesure, qui retire de fait toute capacité législative aux députés. Il ne leur reste plus, comme aujourd’hui, que le regard. Ils crient, vocifèrent, mais l’exécutif prime, qui leur abandonne la ratification, une ratification sans surprise, puisque les députés de chaque camp sont comptés, et que la majorité s’aligne sur l’exécutif. Bref, la parodie de démocratie avec l’ancêtre du président de la République actuel, qui concentre dans ses mains le pouvoir qui compte : l’exécutif. Après, toute la question est de savoir ce qu’on en fait, avec quelle audace, et quel brio… Le dernier Grand Consul de France a été le général de Gaulle. Tiens, encore un général, diront les curieux.
Par le jeu des forces contraires existantes (sociales et politiques) et une volonté farouche (la force personnelle), un homme venu d’en bas a donc pu, en France au début du XIXe siècle et en Allemagne aux débuts du XXe, se hisser jusqu’en haut, créant les conditions d’un pouvoir absolu, avec, ne l’oublions jamais, l’appui du peuple (la force sociale). Si « le peuple » n’a pas une pensée uniforme – cette dernière évolue selon les critères établis par les instituts de sondage, à savoir sexe, âge, CSP – il est des hommes qui emportent l’adhésion du plus grand nombre sur leur personnalité et leur programme, sans tricher, une adhésion positive qui renverse tous les pronostics. Et parfois la rationalité, qui n’est que la logique démocratique.
Alors, la volonté en tant qu’instrument de prise de pouvoir politique, c’est terminé ? La démocratie se méfiant comme de la peste de la volonté – et son dangereux effet d’entraînement –, à laquelle elle préfère l’ambition, plus personnelle, et donc plus contrôlable. Depuis que les candidats baissent leur pantalon – pour se mettre en short – sur la ligne de départ des présidentielles 2017, pas un n’ose tenir un discours qui se base sur la volonté du peuple pour s’élever jusqu’au pouvoir suprême, et en faire un pouvoir absolu. Ces choses-là ne peuvent plus être dites, et donc, le peuple ne peut plus être entraîné : on le traîne.
La volonté du peuple
Prenons un exemple : un candidat qui dirait « je vais faire fusiller toutes les fiches S du pays, soit 4 à 8 000 terroristes potentiels, par principe de précaution », celui-là se verrait foudroyé par les médias dominants, mais adoubé par une grande majorité des gens. Nous ne sommes pas pour la peine de mort systématique, mais reconnaissons que le Système a développé une menace, qu’il empêche de réduire... Résultat : une tension est créée. Le conflit serait alors inévitable entre le cœur du peuple et le noyau dur du système médiatico-politique. Le populisme éclairé basé sur l’amour du peuple (dans les deux sens) est institutionnellement interdit ou disons, impossible. Il ne reste qu’un pouvoir châtré, sans pouvoir réel, ou seulement un pouvoir de nuisance, allant contre la volonté du peuple. Ce à quoi on assiste en France. La volonté du peuple, tout est là : il n’est pas possible de l’incarner. Tous (les candidats) s’y essayent, jouant à l’incarner, mais ils n’y croient pas eux-mêmes. Ils le font mais ne le sont pas. Seuls les domaines d’importance ou de dangerosité moindres acceptent encore la possibilité d’un homme providentiel : le grand patronat (Carlos Ghosn, le sauveur de l’industrie automobile), et le football.
- Carlos Ghosn, PDG de l’alliance Renault-Nissan, admiré pour sa brutalité et son efficacité dans le monde des grandes entreprises
Ces catégories ne revendiquant pas le pouvoir politique, elles peuvent faire montre d’une volonté brutale. Si un PDG décide de liquider 10 000 emplois dans son groupe et dans le monde, « pour le bien de son groupe », il les liquide. Un président de la République ne peut liquider 10 000 opposants ou citoyens dangereux pour le bien commun ou l’unité nationale, un chef d’entreprise le peut. Le management par la brutalité est la norme. Mais le pouvoir politique n’a pas le droit, hypocrisie démocratique oblige, de fonctionner sur le même mode, sauf en douce, contre les vrais opposants. Cela explique le manque de popularité des hommes politiques français ou occidentaux actuels : ils doivent « jouer » à la démocratie, et « jouer » aussi à la dominance. Tout est faux. C’est le milieu du gué, le pire endroit où évoluer.
Inversement, cela explique la popularité mondiale d’un Poutine, même en Occident, qui plus est en France, lestée d’un Hollande pas vraiment providentiel ! Voilà pourquoi Manuel Valls joue les durs, les Mussolini (moins frappé d’infamie éternelle qu’Hitler) d’opérette, pourquoi il prolonge l’état d’urgence de deux mois encore (la sécurité de l’Euro 2016 l’exige), pourquoi il veut châtier durement les « terroristes » et mettre au pas la communauté musulmane, dont il doute de la compatibilité avec les principes de la République :
« J’aimerais que nous soyons capables de faire la démonstration que l’islam, grande religion dans le monde et deuxième religion de France, est fondamentalement compatible avec la République, la démocratie, nos valeurs, l’égalité entre les hommes et les femmes... Certains ne veulent pas y croire, une majorité de nos concitoyens en doute, mais moi, je suis convaincu que c’est possible. »
Seulement, l’amour du peuple ne se décrète pas. Manuel Valls, crédité en 2011 de 10% des voix seulement chez les militants du PS, est passé Premier ministre grâce à un coup de baguette magique du CRIF en 2014, et là, soudainement, tout s’est dégradé en France : attentat sur attentat. Merde alors, « on » nous choisit un Mussolini, menton levé, et tout merdoie de plus en plus. La vraie poigne, on l’attend encore.
Un qui est populaire et qui a de la poigne, c’est Alex Ferguson, l’ex-entraîneur de l’équipe de Manchester United (on ne précise pas « de foot », c’est pas la peine, car Manchester, c’est le foot). Lui, dans les vestiaires, il ne faisait pas dans la dentelle. Ses ministres, c’étaient ses joueurs, et son peuple, les supporters dans les travées. Eh bien son management de fer l’a mené, lui et son équipe, lui et son peuple, à conquérir d’abord l’Angleterre, ensuite l’Europe, en écrabouillant tout ce qui se présentait sur son passage. Puis, la retraite de Sir – anobli par la Reine – Ferguson venant, l’équipe a été reprise par un démocrate, et tout est reparti dans l’autre sens, finissant sur une île, dans un bunker.
Moralité ? La démocratie a gagné, mais la démocratie ne peut pas gagner.