On dit que c’est à l’occasion des grands matches que se révèlent les très grands joueurs. Ça décante alors sévère, et seuls des Ronaldo et des Messi arrivent à surnager au milieu de pourtant grands joueurs et à marquer ces rencontres de leur empreinte cramponnée. C’est aussi dans les grands événements dits rassembleurs que se dévoilent nos grands journalistes.
La passation d’un pouvoir sous influence(s)
Le dimanche 14 mai 2017 est une date à marquer d’une pierre blanche (mais pas raciste) dans l’histoire du journalisme télévisé français. TF1 et France 2 retransmettaient en direct la cérémonie de passation de pouvoir entre François 4% Hollande et Emmanuel 66% Macron. Un traitement quasi-identique (ce qui prouve qu’il n’y a aucune pluralité à ce niveau) aussi grotesque côté privé que côté public. Comme si le scintillement de la nouvelle présidence éteignait d’un coup toute velléité d’indépendance ou paralysait ce qui en restait. Les 4 heures 30 d’images élyséennes n’apportant pas grand-chose en termes d’information, ce sont les commentaires des journalistes qui ont fait la différence, et révélé leur nature profonde.
Enfin, profonde, c’est flatteur. Sur TF1, Gilles Bouleau (le chauve) et Anne-Claire Coudray (la blonde) étaient aux commandes, avec quelques invités de série B – on est dimanche matin – pour meubler les 283 minutes. Tout le monde n’étant pas Léon Zitrone, l’homme qui était capable d’improviser sur n’importe quel événement people ou géopolitique, il y a eu des moments faibles en plateau, et parfois extrêmement faibles. Il fallait expliquer aux Français qui n’habitent pas le Château (de l’Élysée) comment se passe une passation de pouvoir, qui est là et pour quelle raison. Le protocole républicain, quoi, avec sa forte inspiration royaliste.
600 journalistes étaient donc amassés dans la cour du palais de l’Élysée, poulets qui attendent les miettes du banquet des rois. Côté virtuel, Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray, les deux transmetteurs du Mensonge oligarchique, sont radieux ce dimanche matin, à 8h24 exactement. Sur le plateau, pas un invité du peuple, à part une prof d’histoire qui a été collègue de Brigitte. Et qui a eu Manu 1er comme élève. Toujours pas de représentant d’E&R non plus. « J’ai la chance de l’avoir en 6e et en 3e », déclare Catherine Debry. Bouleau tente un premier salto de carpette, et le réussit :
« Et on dit aussi qu’il avait déjà cette qualité qu’on lui prête aujourd’hui d’interagir, c’est-à-dire de faire en sorte que vous vous sentiez importante quand vous discutiez avec lui »
On sent le haut niveau professionnel dans cette phrase audacieuse, à la limite de l’insolence. Allez, on arrête l’ironie à deux balles. Effondrement des fondamentaux du journalisme, zéro voix discordante, rien sur la malélection construite sur un épouvantail pseudo-fasciste, qui a piégé et abusé 20 millions de Français avec la complicité de l’écrasante majorité du corps médiatique. Bouleau commence à faire son travail en posant la première question politique avec le mot « politique » dedans à 16’25. Hélas, c’est pour savoir « quelle était l’orientation politique du jeune Emmanuel Macron à l’ENA ». Réponse de Frédéric Mauget, issu de la même promo de l’ENA : « Progressiste. » Prise de risque nulle, comme avec tous les énarques.
- François Bayrou, jaloux comme un pou, pince les fesses de Gérard Collomb, pendant que le nouveau président arrache une oreille au souffre-douleur lyonnais
La liesse médiatique remplace la liesse populaire
En vérité, le grand bug de cette cérémonie surmédiatisée – avant ça restait en famille oligarchique – a été l’absence totale de liesse populaire. Écoutons Julien Beaumont sur sa moto, l’envoyé spécial de TF1 dans les rues à la traîne du cortège présidentiel, quand Macron approche de l’Élysée en DS :
« Emmanuel Macron qui veut absolument saluer les personnes qui sont avec, sur le coté pour l’attendre ! On voit qu’il y a quand même beaucoup de monde aujourd’hui hein de sortie malgré les quelques premières gouttes de pluie qui viennent de tomber ! »
En fait de monde, personne, sauf une maman et sa fille à l’arrêt de bus. Julien enchaîne, comme s’il y allait de sa place (ou de sa vie) :
« Regardez les gens qui l’acclament, l’applaudissent, et qui lui font des petits coucous c’est très sympathique ! »
Du studio de TF1, Anne-Claire Coudray essaye d’enfoncer un clou inexistant :
« Emmanuel Macron qui tient à saluer cette foule… »
S’ensuit un blanc de trois secondes – trois secondes c’est long en télé – avec la phrase de la speakerine qui reste suspendue au-dessus d’un carrefour vide. C’est alors que Bouleau décide de faire du très grand journalisme :
« Avec deux points intéressants de comparaison avec François Hollande en 2012, un point de convergence c’est qu’il bruine, il ne pleut pas mais il bruine, à Paris, et point de différence que nous faisait remarquer Patrice Duhamel c’est que donnant des gages de normalité le président élu François Hollande s’arrêtait aux feux rouges.
– Au début de son mandat oui », précise Duhamel (à 01’33’29).
Jack Lang, lifté comme une vieille milliardaire de Floride, commet une première gaffe en rappelant que la cérémonie de passation de 1981 entre Giscard et Mitterrand avait donné lieu à une vraie liesse populaire. La seule liesse populaire visible de tout le reportage sera celle des voisins chics habitant devant l’Élysée qui brandissent (à 2’34’30) en famille, sur leur balcon, une banderole « Bienvenue à mon nouveau voisin » :
Évidemment, nous ne mettons pas tous les journalistes dans le même sac, mais les journalistes de l’audiovisuel, public ou privé ce jour-là, ont sombré. Ce n’était pas mieux sur France 2, et on vous épargne les heures de « meublage » inepte des deux côtés. Alors qu’il était question de politique, on a eu droit à des « détrompez-moi, n’avez-vous pas vu sur ce qu’on appelle un plan de coupe, Brigitte Macron verser une larme ? » dans la bouche du grand Bouleau.
Une fois, une fois seulement, on abordera accidentellement un début d’aspect de la réalité de la présence du Macron à l’Élysée, avec une seconde gaffe, celle-là dans la bouche de Laurent Stefanini, ancien chef du protocole, qui osera cette définition dérangeante : « Serge Grunberg, le patron de SANOFI, l’ami d’Emmanuel Macron ». Au moment où, dans le salon principal, Macron serrait la main de tous les invités, officiels et de son entourage.
Macron, le messie qui change les ennemis en amis, l’eau en vin, et la politique en cinoche
En guise de feu d’artifices, cette intervention (à 3’57’15) qui pulvérise tout :
« En décembre 2014 il va dans la Drôme avec Didier Guillaume le sénateur socialiste et il est attendu par des militants socialistes qui sont plutôt hostiles à sa ligne à lui Macron, socia-libéral à droite du parti, eh bien “ils sont venus avec des fourches” dit Didier Guillaume “et ils sont repartis avec des selfies” donc quelques minutes, quelques dizaines de minutes ont suffi à Emmanuel Macron pour retourner cette hostilité des militants socialistes. »
Un sacré fait d’armes du nouveau Chef des armées !