Plus de quarante officiers turcs de haut rang ont été interrogés, mardi 23 février, par la justice sur leur implication présumée dans un complot visant à renverser le gouvernement islamo-conservateur, au lendemain d’un coup de filet sans précédent dirigé contre l’establishment militaire. Dix-sept généraux à la retraite et quatre amiraux actuellement en service, l’élite de l’armée, figurent parmi les quarante-neuf militaires interpellés dans toute la Turquie et conduits à Istanbul.
Cette offensive judiciaire d’une ampleur inédite contre l’armée, qui se considère le garant du régime laïque, a attisé les tensions entre partisans du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) et l’opposition. L’ex-chef de l’armée de l’air, le général Ibrahim Firtina, et l’amiral Ozden Ornek, ex-commandant de la marine, figurent parmi les personnalités arrêtées.
"Problablement un processus de revanche politique"
Les gradés interpellés, dont au moins une dizaine étaient entendus par des procureurs mardi, sont accusés d’avoir cherché à fomenter le chaos en faisant sauter des mosquées pour déclencher une prise de contrôle militaire dans le cadre d’une opération baptisée Balyoz ("masse de forgeron"), dont le projet remonte à 2003, selon la presse. Ils sont également soupçonnés d’avoir voulu abattre un avion de chasse turc pour provoquer un conflit armé avec la Grèce et déstabiliser le gouvernement.
L’instigateur supposé du plan, l’ex-général Cetin Dogan, a été arrêté. Il a nié toute implication, indiquant qu’il s’agissait d’un "jeu de stratégie" militaire conçu à l’époque où il portait l’uniforme. L’état-major, qui a rejeté les accusations et dénoncé une campagne de dénigrement, a néanmoins reconnu une existence à ce plan, évoquant lui aussi un "scénario" de "wargame" préparé en 2003.
Les deux grands partis d’opposition, victimes de putschs militaires dans le passé, ont pointé du doigt le gouvernement. Le chef de l’opposition laïque, Deniz Baykal, s’est interrogé sur le moment choisi de la rafle menée contre d’ex-généraux "regardant la télévision en pyjama et pantoufles", au sujet d’allégations remontant à sept ans et qui ne se sont jamais concrétisées. "C’est visiblement un processus de revanche politique", a-t-il estimé. La plupart des cadres de l’AKP étaient membres d’un parti pro-islamiste interdit par la justice en 2008 après avoir été chassé du pouvoir par l’armée l’année précédente.
Plusieurs complots présumés contre le gouvernement
L’armée, qui a déposé quatre gouvernements depuis 1960, avait récemment déclaré par la voix de son chef, le général Basbug, que le temps des coups d’Etat était révolu. Plusieurs complots présumés contre le gouvernement ont été mis au jour, provoquant une succession de procédures judiciaires qui ont attisé les tensions entre les partisans du gouvernement, accusé d’avoir un plan caché d’islamisation du pays, et ses opposants.
Près de deux cents personnes de tous bords (mafieux, avocats, journalistes, universitaires, militaires) sont jugées depuis 2008 dans le cadre de l’affaire Ergenekon. Aucune condamnation n’a encore été prononcée. La procédure, dans un premier temps saluée comme une avancée démocratique, a perdu de sa crédibilité quand les arrestations se sont étendues à des personnalités connues uniquement pour leur opposition à la politique du gouvernement, accusé de vouloir islamiser la Turquie.