L’agence officielle syrienne Sana a annoncé lundi 25 juillet que le gouvernement avait adopté un projet de loi autorisant le multipartisme en Syrie. Selon les termes du communiqué, ce projet de loi devrait "enrichir la vie politique, (…) la dynamiser et (…) permettre l’alternance".
A ce stade – qui est encore celui de l’annonce – on peut considérer que le pouvoir baasiste a déjà accompli une véritable révolution culturelle en envisageant – pour la première fois – que le pouvoir puisse lui échapper démocratiquement. On sait que sa suprématie politique était en quelque sorte codifiée par l’article 8 de la Constitution, dont l’abrogation ou la modification était réclamée par nombre d’opposants.
Le multipartisme existait cependant dans le pays, sous la forme d’une coalition – le « Front national progressiste » (FNP) – regroupant, autour du parti Baas, six formations dont le Parti Communiste et le Parti Social Nationaliste Syrien. Mais, bien évidemment, ces différentes formations ne faisaient pas une opposition, même « de sa Majesté ».
Certes, le projet de loi gouvernemental pose un cadre, et donc des restrictions, à cette très importante réforme : parmi les conditions requises pour la création d’une nouvelle organisation politique, on trouve en préalable, outre le respect de la constitution, celui de principes généraux comme ceux définis par la déclaration universelle des droits de l’Homme.
Mais le texte précise ensuite que sera interdit tout parti fondé « sur des bases religieuses, tribales, locales, catégorielles, professionnelles ou à partir de discriminations, de race, de sexe ou de couleur« , ou qui serait « issu d’une organisation ou d’un parti non syrien« . Il est évident que ces restrictions visent en premier lieu la confrérie des Frères musulmans, force d’opposition la mieux structurée, laquelle a un projet plus ou moins théocratique, des appuis en Turquie ou en Egypte, voire bien au-delà du Proche-Orient et du monde arabo-musulman, et recrute essentiellement parmi la majorité sunnite du pays.
Une autre disposition du projet stipule que devront également être respectés les « traités ratifiés par la Syrie » : là, ce sont évidemment la ligne diplomatique et les alliances du pays qui devront être maintenues. On sait que la Syrie bassiste – et c’est en grande partie à l’origine de la campagne médiatique dont elle est victime – appartient au front de la fermeté, avec l’Iran et le Liban, face à Israël.
Il n’est pas question de céder, tant sur la question du Golan que sur celle des territoires occupés, à cette puissance régionale et à son super-protecteur américain. Il ne sera pas non plus toléré que soit un jour remise en cause l’alliance traditionnelle avec la Russie, qui est en un des meilleurs soutiens internationaux du régime, et du reste entretient une importante base navale sur le littoral syrien.
La réforme oui, la chienlit islamiste et communautaire non !
On peut donc dire, suivant qu’on sera un opposant ou un partisan de Bachar al-Assad, que le pouvoir envoie un signe fort de sa bonne volonté réformatrice ou qu’il « lâche du lest » face à la contestation. Mais il est clair qu’il refuse de remettre en cause ces deux piliers de l’identité politique de la Syrie : la laïcité et l’unité de la nation et de la société, au-delà des différences religieuses et communautaires (accessoirement, d’éventuelles tendances séparatistes kurdes, comme celles observées en Irak, ne seront pas tolérées).
Ce « grand bon en avant » s’inscrit dans un processus réformiste enclenché par le pouvoir courant juin. Une réunion de l’opposition modérée avait ainsi été tolérée à Damas,tandis que le gouvernement lançait officiellement le 10 juillet un « dialogue national » avec des comités populaires de base et certains opposants, parallèlement à la mise en place de commissions chargées d’établir des cahiers de doléances, sur la décentralisation, les partis ou la liberté de la presse.
En outre, Bachar al-Assad avait officiellement et symboliquement levé l’état d’urgence en vigueur depuis près d’un demi-siècle – même si évidemment les troubles n’ont guère permis une concrétisation de cette annonce – et prononcé une amnistie générale s’étendant à tous les détenus politiques.
A ceux qui critiqueront les limites de cette démocratisation du régime, on répondra que dans un contexte politique intérieur et extérieur marqué par l’instabilité et les dangers d’une conflagration sanglante, le pouvoir de Damas ne pouvait prendre le risque de laisser s’installer les germes d’une situation à l’irakienne, où se donneraient libre cours toutes les dérives communautaires et religieuses centrifuges, attisées par l’étranger. Le pouvoir, mais aussi avec lui tous les Syriens, quelles que soient leurs positions, sont condamnés à la prudence et à la modération : en Syrie, le mot d’ordre ne peut être que « Evolution et non révolution » !