Alors que s’achève le synode sur la famille, Aline Lizotte estime que l’on risque d’aller en pratique, non vers un « divorce à la catholique » mais vers une sorte de conception protestante de la liberté de conscience.
Aline Lizotte est docteur canonique en philosophie et directrice de l’Institut Karol Wojtyla. D’origine canadienne, elle est l’une des références internationalement reconnues dans l’Église catholique sur les questions d’éthique conjugale et de la sexualité. En philosophe, elle analyse les résultats du récent synode sur la famille.
Le Figaro : Même s’il n’a pas pris position pour éviter un vote négatif d’une partie des évêques, le synode a suggéré au pape, et cela a été voté, que la question de la communion des divorcés remariés ne soit plus réglée par un oui ou par un non, mais à travers un « discernement » au cas par cas, selon des critères préétablis par l’Église : est-ce une évolution notable de la théologie morale catholique ?
Aline Lizotte : Les numéros 84, 85 et 86 de la relation synodale sont pour le moins confus sinon ambigus. On n’y parle pas directement d’interdiction ou de permission de communier, mais de trouver les divers modes d’intégration en vue d’une meilleure participation à la vie communautaire chrétienne.
Parmi ces différents modes d’intégration, il y aurait la permission de devenir parrains, de faire la catéchèse, de lire les textes à la messe, bref, de participer aux actes qui préparent à la vie sacramentelle.
Mais il y a aussi la possibilité de communier. Jean Paul II n’était pas allé aussi loin. Tout en refusant fermement la possibilité de participer à la communion, il avait, lui aussi, bien affirmé que les divorcés faisaient partie de la communauté chrétienne - ils n’étaient pas excommuniés - et qu’ils devaient s’unir à la prière de l’Église, participer au sacrifice eucharistique et prendre part aux œuvres de charité sociales.
Aujourd’hui le numéro 84 du document final va plus loin, puisqu’il parle de « dépasser » les « exclusions » dans le domaine liturgique, éducatif, pastoral et … « institutionnel ». Ce mot est vague mais il est très important car il peut tout désigner dans l’Église. Qu’est ce qui empêcherait en effet un divorcé remarié de devenir diacre…
Quant au numéro 85, il exagère une distinction capitale pourtant clairement établie par Jean-Paul II et qui appartient depuis toujours à la théologie morale : cette distinction, exprimée dans Veritatis Splendor (nos 54-64) et dans la somme théologique de saint Tomas d’Aquin Ia-IIae, q.18, a.3, permet de faire une différence entre ce qui est « objectif » dans un choix moral et ce qui dépend des « circonstances ». Mais, le document final donne, aux circonstances, une importance démesurée qu’elle n’a pas dans l’équilibre classique de la théologie morale.
On introduit donc un déséquilibre ?
On veut donner plus de place, désormais, aux circonstances. Or la distinction classique montre qu’il y a des actes moraux qui sont objectivement graves, même si, effectivement, certaines circonstances, propres à la personne, permettent d’en diminuer la responsabilité, voire de l’annuler.
Il y a donc une différence entre la réalité objective d’un acte et ce que l’on appelle « l’imputabilité » de l’acte, sa charge morale, si je puis dire, qui repose, ou non, sur les épaules de celui qui a commis cet acte. C’est ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Église catholique (no 1735). Jean-Paul II a d’ailleurs appliqué cette distinction au discernement pastoral des pasteurs et des confesseurs lors de la direction spirituelle des consciences.
Et cette distinction – appliquée à l’échec d’un mariage et le divorce – éclaire la culpabilité dans la conscience morale. Car une chose est une séparation qui aboutit à un divorce dont l’auteur a tout fait pour plaquer son conjoint en l’abandonnant à sa solitude avec la charge de ses enfants ; une autre chose est l’état du conjoint « ainsi répudié » qui a tout tenté pour conserver son engagement matrimonial et qui se trouve acculé à un état de vie, difficile ou quasi impossible. Un état dont il ne porte pas la responsabilité. C’est une victime.
Surgit alors cette question cruciale : cette personne – homme ou femme – en se remariant commet-elle un péché « d’adultère » qui, en tant que péché, l’entraînerait à s’éloigner de la communion ? Et peut-on la juger de la même manière que son conjoint qui l’a plaquée et qui s’est remarié ?
Que répond sur ce point le Synode ?
Sur ce point la relation synodale est loin d’être claire…Elle est même ambiguë !
Pourquoi ?
Nous sommes, en effet, face à deux actes objectivement différents : Une chose est de ne pas se juger coupable, au for interne, c’est-à-dire dans sa conscience, de l’échec de son mariage et même d’aller jusqu’à la conclusion intime que ce mariage était invalide. Autre chose est de s’appuyer sur cette seule conscience – même assisté par un conseiller spirituel, voire d’un évêque – pour prendre la décision de se remarier. En se disant, en somme, je ne suis pas coupable – en conscience – de l’échec de mon mariage, j’ai même la conviction intime que mon premier mariage est invalide ; en me remariant, je ne commets donc pas un adultère ainsi je peux communier. Or, et c’est là le fond du problème, la condition de commettre, ou de ne pas commettre un adultère, ne dépend pas uniquement des conditions intérieures du jugement de conscience mais elle dépend de la validité, ou de la non validité du premier mariage.
Ce qui ne relève pas uniquement du for interne de l’un des conjoints, ou, autrement dit de sa seule conscience profonde, mais du for externe, c’est-à-dire des critères objectifs de la loi ! Donc, déterminer de la validité ou non, d’un consentement – fondateur du mariage – n’est pas une question de conscience qui n’appartiendrait qu’à un seul des deux conjoints. Ce sont les deux personnes qui sont engagées. Il ne s’agit pas simplement de se dire : « Je sens, j’ai toujours pensé, que mon mariage n’était pas valide »... Certes, la conscience peut-être loyale, mais elle peut-être aussi objectivement erronée. En ce sens, il est inexact de dire comme le proclame Mgr Cupich, l’archevêque de Chicago, que la conscience est toujours inviolable.
Je parle donc d’ambiguïté parce que les critères donnés au n°85 du document final du synode sont justement prévus pour aider la personne, son confesseur et même son évêque à juger de la droiture et de l’honnêteté de sa conscience. Mais, je regrette, ces critères ne sont pas suffisants pour conclure avec certitude de la validité ou de la non validité du premier mariage.
Quels risques voyez-vous ?
Agir dans ce sens va conduire à mettre en place une sorte de système de « consulting spirituel », de coaching interne qui aideront les consciences à ne plus se sentir coupables d’un remariage. Fortes de leur subjectivité elles estimeront avoir le droit à un remariage en bonne et due forme. Ce n’est pas par hasard que Jean-Paul II, pour énoncer l’interdiction de la communion pour les divorcés remariés, avait bien pris soin d’établir cette distinction qui démontrait que « l’examen de conscience » dont parle aujourd’hui le document final n’est pas suffisant pour évaluer la situation objective et la situation du conjoint lésé.
Cette ouverture, doublée de la facilitation des procédures d’annulation canonique du lien du mariage décidée par le pape François en septembre dernier, ne contribue-t-elle pas à créer, dans l’opinion, l’idée que l’Église vient d’inventer le « divorce catholique » ?
Pour l’Église catholique le problème auquel elle doit faire face n’est pas celui des divorcés remariés mais celui de la crédibilité de son mariage. En quoi sa doctrine du mariage a-t-elle encore une influence sur la vie des gens et même sur ses propres fidèles… Mais d’où vient le problème ? Vient-il du changement sociétal, assez impressionnant, ou vient-il des insuffisances d’une pastorale inadéquate ? On pensait la doctrine acquise, on s’aperçut que ce ne l’était pas. Dans cette perspective, il faut bien comprendre que le problème des divorces remariés apparaît comme un cas type, sur lequel on réfléchit comme sur un cas le plus difficile à résoudre. On a espéré le résoudre uniquement par la voie pastorale… sans changer les affirmations doctrinales. Mais cela touche à la quadrature du cercle car la pastorale découle de la doctrine ! Elle est, en prudence, son application. Changer une pastorale sans changer de doctrine dans les points essentiels de cette doctrine, c’est un problème impossible à résoudre. La doctrine de l’Église catholique est en effet claire et ferme : un mariage validement célébré (ratum) et consommé (consumatum) est indissoluble. J’ajoute que la facilité que donnent les législations civiles, divorce à l’amiable, pacs, admission du concubinage, rend l’engagement absolu et pour toute la vie moins tentant. Les difficultés conjugales s’amoncelant on recourt donc à une législation civile pour rompre un mariage et même en contracter un second ou un troisième. Mais, en doctrine, ces mariages, sont pour l’Église, « nuls » au sens juridique et aucun ne rompt la validité du premier mariage si ce dernier est déclaré valide.
Si l’ouverture qu’amorce ce synode sur le jugement de conscience, jointe à la facilité des procédures qui sera mis en vigueur par le Motu Proprio Mitis Iudex Dominus Iesus e Mitis et Misericors Iesus du 8 septembre 2015, pour l’obtention d’un décret de nullité on risque d’aller en pratique, non vers un « divorce à la catholique » mais vers une sorte de conception protestante de la liberté de conscience. Car la conscience, comme je viens de l’expliquer, ne peut pas seulement se fonder sur le seul ressenti qu’elle perçoit, ou non, de la gravité de ses actes, mais sur des critères objectifs de la loi morale.
L’Église, sur ce point, manque-t-elle de « cœur » comme l’a dit le pape ? N’est-elle pas trop dure en ne parlant que de « loi » ? Sur quoi l’Église se fonde-t-elle, au juste, pour affirmer qu’un premier mariage, s’il est valide, donc librement consenti et pour la vie, est par nature indissoluble ? Et pourquoi ne peut-elle pas évoluer sur l’indissolubilité du mariage ?
L’Église peut évoluer sur des questions qui découle de son droit propre. Ainsi elle évolue sur beaucoup de questions : réformes liturgiques, réforme de la pénitence pendant le carême, réforme sur les fêtes de préceptes, reforme sur l’état clérical, reforme sur l’exercice de l’autorité dans l’Église (collégialité), reforme de procédures sur les demandes de décret de nullité du mariage, réforme sur les vœux de religion.
Depuis Vatican II, on a vu s’abattre une somme de réformes qui ont façonné de façon directe notre comportement extérieur vis-à-vis de Dieu et notre agir communautaire envers nos frères. Les réformes ont d’ailleurs été tellement importantes qu’il a fallu réécrire et promulgué une nouveau Droit Canon (1983).
Mais il y a des domaines qui ne sont pas du droit de l’Église. D’abord parce qu’aucun pape n’a fondé et ne fonde l’Église. C’est toujours Jésus-Christ qui bâtit son Église. Ensuite parce que le Christ a laissé à l’Église des moyens de participer à sa vie, à sa prière, à son mystère de salut, moyens qui sont liés à sa volonté : ce sont les sacrements et leur substance sur lesquels l’Église n’a aucun pouvoir. Il faut toujours de l’eau pour baptiser ; il faut toujours du pain et du vin pour une consécration eucharistique ; il faut toujours une accusation orale des péchés – on ne peut faire cela par correspondance ou par Internet – pour recevoir le sacrement de la Réconciliation. Enfin il faut toujours que l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, pour qu’un consentement matrimonial ait valeur de sacrement. Cette substance sacramentelle n’appartient pas à l’Église.
Ainsi, le mariage que Dieu a institué est hétérosexuel, monogame, indissoluble et ouvert à la vie. Ces propriétés du mariage, l’Église ne les invente pas, elle les reçoit du Christ lui-même. Si elle peut changer la discipline, par exemple, l’âge de la première communion, le ministre du baptême, les conditions de l’onction des malades etc ; elle ne peut changer la substance du sacrement. Or, l’indissolubilité fait partie essentiellement du sacrement du mariage.. Et sur cette question l’Église n’a aucun pouvoir d’en changer.