Les sociologues, contrairement à l’optimisme politique ambiant, s’inquiètent du résultat d’un sondage régulièrement poursuivi depuis 1989 effectué entre le 15 et le 18 octobre, portant sur un échantillon de 1736 personnes, à partir de 18 ans, à propos de leur perception de l’islam français.
Ce n’est point qu’une majorité soit contre la religion, ou contre une présence d’autant plus acceptée qu’elle est peu marquée, presque invisible ou justement admise comme étrangère : c’est effectivement en terme d’hospitalité que le peuple musulman de France est accepté, car la foi religieuse ou sa manifestation est non pas perçue en soi mais liée à une immigration essentiellement africaine.
Et dans les conversations populaires, toute identité musulmane, surtout asiatique ou bosniaque, par exemple, est appréciée relativement à son rapport avec l’islam maghrébin ! C’est cette nuance qui recèle le danger d’une mésentente ou d’un raidissement, surtout venant de la jeune génération, au tempérament indiscipliné et qui rejette aussi facilement qu’elle accepte une situation, d’après le principal ou exclusif critère du confort.
Reprenons les pourcentages établis, dont on peut déduire un clivage progressif, au fil des ans, entre musulmans et non-musulmans, selon le critère de cette « religion de la République » ou laïcisme, formulable en terme d’indifférence ou d’intolérance de la foi manifestée.
43% des personnes interrogées sont opposées à l’édification de mosquées, contre 22% en 2001, 63% au port du voile dans la rue (32% en 2003) – et 45% se disent hostiles à l’élection d’un maire d’origine musulmane dans leur commune, contre 35% en 2001. 67% (contre 33% en 2001) des Français considèrent aussi que les Musulmans, essentiellement nord-africains, ne sont pas bien intégrés dans la société française. Ils sont 68% à estimer que cette mauvaise intégration vient du refus des Musulmans de s’intégrer et 52% - ce qui est plus redoutable - à l’attribuer à de trop fortes différences culturelles.
La réaction partisane sous-estime la nature de ces réponses, car elle y voit l’effet d’une propagande de « la droite » ou de l’extrémisme national qui, en effet, se renforce de l’activisme sioniste se confondant – comme un caméléon - avec l’arbre dont il prend la couleur ; c’est le cas de M. Alpenmüller, de l’Humanité ex communiste, interrogé à France-info, qui proteste avec raison, on le lui accorde, contre les propos démagogiques de François Coppé sur le croqueur de « pain au chocolat » en cours de récréation, victime du Ramadan ! Encore ce journaliste, athée avoué, proteste-t-il contre les discriminations anti-islamiques en soulignant qu’il est incroyant et que les religions l’indiffèrent !
Or il est sûr que les politiques ne font qu’exploiter un terrain et que la France décline vers une fracture non seulement sociale, comme on le disait au temps de Chirac - mais ethnique (le terme de race étant mal connoté), ressuscitant ainsi dans l’hexagone un sentiment analogue à celui de l’opposition anti-africaine du temps de la Quatrième République, qui faisait, par exemple des Algériens, des demi-français et suspectait leur personnalité entachée de fanatisme !
Jusqu’où cet état de l’opinion influera-t-il le cours de la politique internationale ? Car avant de classer les causes, ce qui est de l’ordre scientifique, il faut en tirer les conséquences pratiques immédiates : un renforcement de l’agressivité en politique étrangère est prévisible. Ce qui faisait la coopération franco-arabe et plus généralement franco-musulmane, dont témoignent de nombreuses institutions, était le dégagement français de toute domination coloniale, l’indépendance de ces Etats libérés de la présence coloniale ou protectrice, et leur volonté de vivre.
C’est l’échec et de cette relation et aussi de la capacité des pays du Maghreb à trouver une formule étatique et sociale rapportée à l’islam et à la justice qu’il enseigne, qui cause le malaise français, français musulman aussi. Est-ce à dire qu’une intégration soit difficile, impossible ou lente ? Tout dépend ce que l’on entend par ce terme. Si intégration signifie dissolution, cela est naturellement impossible, irréaliste. Mais la sagesse eût consisté à accepter d’abord une existence, avant de construire un modèle utopique et d’immigré et d’islam.
A ce dernier est posé le dilemme offert par le républicanisme français au christianisme : accepter de diminuer sa visibilité ; en l’acceptant, ce dernier a réduit sa place, son importance et anéanti sa crédibilité dans la jeunesse. Le choix est l’affaiblissement, voire la clandestinité, ou la mise hors la loi. La mort est alors le terme d’une agonie. L’islam, au contraire, se maintient, et c’est cette « idée », et non pas la réalité de banlieues insupportables et indignes d’un pays, qui gêne le sondé. Car si dans notre histoire, nous avons bien eu l’avertissement jamais respecté de Voltaire de ne pas faire de l’athéisme (qu’il rejetait) une religion, avons-nous pu entendre d’un chef d’Etat ou de parti, ce que l’élève du même Voltaire, le roi en Prusse, Frédéric II (1744-1786), préconisait à un catholique désirant entrer dans ces Etats, savoir qu’il suffit d’être honnête : « et que si des Turcs et des payens venaient, et voulaient des mosquées et des églises, nous les leur bâtirions » ! Là encore, un modèle à suivre, sinon c’est le déchirement au profit des vautours qui courent notre Ciel français !