Egalité et Réconciliation
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Sens et conséquences de la visite d’Annan à Téhéran

Alors que Kofi Annan, venant de Damas où il trouvé un nouveau terrain d’entente avec Bachar al-Assad, est arrivé à Téhéran hier pour renforcer le consensus régional sur le processus de paix syrien, le ministre iranien des Affaires étrangères a accordé un entretien à l’agence Reuters.

Rien de nouveau ni de surprenant, à vrai dire, dans la position exprimée, au nom de son pays, par Ali Akbar Salehi : soutien au plan Annan sur la base du refus de toute ingérence étrangère et de l’autodétermination du peuple syrien.

Dénonciation appuyée, aussi, des vrais fauteurs de violence : pour le chef de la diplomatie iranienne, « une bonne partie » des rebelles sont ni plus ni moins que des « terroristes » soutenus par l’étranger. « Beaucoup de gens de pays différents affluent (en Syrie) et prennent les armes contre le gouvernement », « beaucoup d’armes arrivent illégalement en Syrie ».

Pas surprenant non plus la façon dont les gens de Reuters interprètent et utilisent les paroles d’Ali Akbar Salehi. Parce que celui-ci, interrogé sur l’avenir politique de Bachar fait cette réponse de bon sens : «  Aucun dirigeant n’est éternel donc, dans le cas de M. Bachar al-Assad, il y aura une élection présidentielle en 2014 », Reuters titre son article « Aucun dirigeant n’est éternel, déclare Téhéran à propos d’Assad » ! Sous-entendu : Téhéran prend ses distances avec Bachar.

Les mois passent, les journalistes français ne changent pas : par conformisme ou par conviction, ils continuent d’orienter – quitte à la déformer – l’actualité syrienne pour la faire aller dans le sens de l’Histoire, du moins celui qu’ils imaginent inéluctable. Combien de fois les moindres déclarations de responsables russes ont été elles aussi sollicitées, tronquées, surinterprétées pour faire croire au lâchage tant espéré de Bachar par son principal allié, comme pour obliger ce dernier à se conformer lui aussi à la doxa médiatique ! À chaque fois nos fabricants d’opinion sont démentis par les intéressés et par les faits, mais, apparemment, ils sont incapable de « décrocher » de la désinformation atlantiste, un drogue dure !

Qui défend, au fait, le dialogue et la paix, et qui veut la guerre ?

Revenons au vrai monde, et à ce qu’a vraiment dit le chef de la diplomatie iranienne. Des choses assez raisonnables, plus raisonnables que les menaces et roulements de tambour des Américains et de leur suite : « Mon message à tous les pays susceptibles de jouer un rôle dans ce contexte est d’être très prudents pour ne pas aggraver la situation ». Mais « aggraver la situation », Américains, Britanniques, Français, Wahhabites ne font que cela depuis des mois !

Ali Akbar Salehi a d’ailleurs envoyé un autre signal d’apaisement, du côté du détroit d’Ormuz dont certains responsables iraniens avaient laissé entendre qu’ils pourraient le fermer au trafic de pétrole issu du Golfe, en réaction à l’embargo européen sur les exportations pétrolières iraniennes : « Si l’Iran se voit interdire l’accès au Golfe persique pour quelque raison que ce soit, alors il réagira de manière appropriée. Mais je ne pense pas qu’une telle situation se produira » a dit le responsable iranien.

Comme quoi la mesure, le dialogue, la désescalade ne sont pas vraiment du côté que suggèrent fortement les médias d’ici. Au contraire, et depuis au moins vingt ans, qui conditionne l’opinion occidentale pour la préparer à des guerres contre un adversaire diabolisé à longueur de temps ? Et qui, hier ou avant-hier, a attaqué, bombardé, ravagé l’Irak, la Serbie, l’Afghanistan, la Libye, qui a imposé par la fore u autre président à la Cote d’Ivoire, qui a imposé la partition du Soudan ? Qui a encouragé les provocations anti-russes du gouvernement géorgien ? Et qui aujourd’hui menace et déstabilise par activistes interposés la Syrie, mais aussi le Liban ? Et qui cherche toujours la confrontation avec l’Iran ?

Avec nos médias on est plus que jamais dans la « novlangue » du 1984 de George Orwell : la paix c’est la guerre. Et Hillary Clinton c’est le droit des peuples !

Une visite qui est aussi une défaire de l’Ouest

Pour en revenir à l’Iran – et à la Syrie – Kofi Annan doit donc s’entretenir ce mardi 10 juillet avec Ali Akbar Salehi mais aussi avec Saeed Jalili, secrétaire général du Conseil suprême de la Sécurité nationale. « Je suis ici pour voir comment nous pouvons travailler ensemble pour aider à régler la situation en Syrie » a déclaré l’émissaire de l’ONU à son arrivée à Téhéran.

Cette visite est déjà en elle-même un sacrilège aux yeux de l’administration Obama et de ses suiveurs européens, ni Washington, ni Londres, ni Paris ne voulant entendre parler d’une entrée officielle de Téhéran dans le jeu diplomatique autour de la Syrie. Pas étonnant dans la mesure où c’est l’Iran qui est visé derrière la Syrie par ces mêmes capitales occidentales.

La visite d’Annan en Iran est donc un signe objectif – peut-être ponctuel- d’autonomie des Nations-Unies vis-à-vis des États-Unis. Et c’est aussi un signe supplémentaire que la « main », dans cette affaire, est plutôt passé du côté du pôle anti-OTAN et anti-Washington.

Que va dire Annan aux dirigeants iraniens ? Déjà, il leur donnera officiellement, comme il l’avait annoncé, un « compte rendu » des négociations et décisions obtenues à Genève le 30 juin par le « Groupe d’action sur la Syrie », groupe dont l’Iran avait été exclu, malgré l’appui russe et chinois, à cause du « véto » occidental. De ce point de vue, on imagine qu’une Hillary Clinton doit pratiquement considérer Kofi Annan comme coupable d’ »intelligence avec l’ennemi » !

Ensuite, certainement, Annan demandera aux dirigeants iraniens de peser de tout leur poids sur leur allié syrien, telle une « Russie régionale », pour lui faire accepter concrètement les points du plan de paix . Mais là, outre que ce sera quand même le gouvernement syrien qui décidera en dernier ressort, les Iraniens exigeront certainement d’Annan des assurances sérieuses, officielles, écrites et signées des inspirateurs syriens et étrangers des bandes armées. Et là, répétons-le, ce n’est absolument pas gagné.

Mais incontestablement le centre de gravité de la décision géostratégique sur la Syrie s’est nettement déplacée vers l’Est, ces derniers temps. Comme quoi il peut y avoir une morale, même dans ce domaine !