En janvier 1971 je publie dans la Nouvelle Revue française (p. 67-75) un article sur « Les divertissements d’Isidore [Ducasse] ». Michel Polac [photo ci-contre] m’invite à la télévision. Il jubile. Quelques extraits des Chants de Maldoror ont suffi à mettre en joie le public venu assister à l’émission cependant que, sur le plateau, des représentants de l’intelligence critique paraissent offusqués. Je viens de révéler que Les Chants de Maldoror par le Comte de Lautréamont et Poésies I et II sont en réalité, deux fantaisies bouffonnes.
À la sortie, Polac me conseille de revenir la semaine suivante afin de recueillir sur place des échos de l’affaire et pour prendre connaissance du courrier des spectateurs. Là-dessus, m’accompagnant vers la sortie, il me demande, l’air gourmand, si je ne possèderais pas dans ma besace un autre sujet du même genre sur l’esprit de mystification et ses victimes consentantes. De but en blanc je lui réponds :
« Oui, sur les chambres à gaz. »
Il blêmit, il s’étrangle. Sa collaboratrice, elle aussi d’origine juive, en est toute retournée.
La semaine suivante, je reviens sur place et me glisse dans le public. Polac, sa collaboratrice et leur entourage m’aperçoivent comme le serpent, la mangouste. Je ne me rappelle plus trop bien la suite (que j’ai dû consigner dans une notule) mais je me souviens qu’on a refusé de m’adresser la parole et de me communiquer le courrier reçu.
L’année suivante, dans le dernier chapitre de ma thèse, je passerai en revue un certain nombre de mystifications littéraires, historiques, scientifiques et autres parmi lesquelles je place les canulars du Gascon Isidore Ducasse. Je rappellerai « les mystifications politiques ou historiques destinées à nourrir la haine d’un pays contre un autre » et, en particulier, j’évoque, au début de la Première Guerre mondiale, le bobard des enfants belges aux mains coupées par les Uhlans (voy. A-t-on lu Lautréamont ? Gallimard, NRF, Les Essais, 1972, p. 338). Après quoi, non sans de lourds et prudents sous-entendus, j’ajouterai :
« La Seconde Guerre mondiale a suscité des mythes encore plus extravagants mais il ne fait pas bon s’y attaquer. Une entreprise comme celle de Norton Cru, si on l’appliquait à la dernière guerre, serait encore prématurée, semble-t-il. Certains mythes sont sacrés. Même en littérature ou en histoire, on court quelque risque à vouloir démystifier. »