Un Etat libéral ne se maintient pas tout seul. Non seulement en Suisse, nation née de la volonté collective, mais surtout ici, les gens doivent vouloir la maintenir. Et on ne peut vouloir que si l’on sait ce qu’on veut, si l’on est conscient des éléments qui fondent cette liberté particulière et sa capacité à développer la vie sociale. Face aux défis toujours nouveaux de notre époque, il faut sans cesse se demander ce qui doit être adapté et ce qui est inaliénable, ce qui ne doit pas être remis en cause.
Une telle réflexion sur les fondements d’une vraie vie sociale démocratique est primordiale face à une évolution dans la quelle, au nom de la mondialisation et avec la création d’organisations dites « internatio nales » comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’OMC, on soumet la vie entière au diktat économique ; dans laquelle les Etats nations perdent leur souveraineté, pendant que certaines institutions financières, de concert avec des sociétés transnationales sans éthique, sans responsabilité citoyenne et sans égards pour le bien commun nous dictent par le biais d’un lobbying financièrement puissant de plus en plus de lois.
Pour la Suisse cette réflexion revêt une importance existentielle, surtout en ce qui concerne ses relations avec l’Union européenne. Les mêmes mécanismes du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC, qui ont entraîné les pays en voie de développement dans la dépendance financière et dans l’endettement et les ont contraints à brader le bien public et les secteurs économiques rentables à des sociétés étrangères, fonctionnent aussi dans le cadre de l’UE. Le livre mentionné ci-dessous, « Konzern Europa », paru en 2001, montre de façon frappante comment le lobbying bruxellois des sociétés transnationales qui con tourne les structures juri diques étatiques des divers pays et leur impose, avec l’aide de la Cour de justice européenne, la prédomi nance des quatre « libertés » économiques, ce qui en traîne la même perte de la démocratie. Et l’endettement des Etats a pris depuis longtemps une ampleur critique.
Il est d’autant plus réjouissant de voir des milieux d’entrepreneurs inciter à une réflexion fondamentale sur la liberté, la responsabilité et les fondements du système politique suisse dans un ordre économique vraiment libéral et sur les relations de la Suisse avec le monde.
La brochure « Ja zur Schweiz. Denkanstösse für eine Erneuerung des Bundesbriefes » [Oui à la Suisse. Réflexions pour un renouvellement de la Charte fédérale] n’est pas l’oeuvre d’un seul auteur mais résulte d’une série de discussions entre des personnes de différentes générations et de diverses appartenances poli tiques. C’est dans le cadre de débats au sein de l’« Unternehmerforum Lilienberg » d’Ermatingen (TG) que la brochure a pris sa forme actuelle. Dans l’esprit d’une réflexion permanente sur ce que nous voulons, il serait souhaitable que ces réflexions soient largement re prises et débattues de manière pertinente.
Au vu de la situation actuelle, cette discussion ne souffre aucun délai. La perte de pouvoir des Etats nations en faveur d’institutions internationales qui sont soustraites au contrôle et à l’influence de l’opinion pu blique et dans les griffes de la haute finance et du pouvoir des multinationales, met en danger les principaux acquis de l’Europe : la reconnaissance de l’égalité de tous les hommes dont découle l’égalité devant la loi, l’Etat de droit, la situation des individus en tant que citoyens égaux en droit et la démocratie. L’Etat de droit libéral et démocratique incarne l’idée inscrite dans le droit que tout individu, en tant qu’être humain, doit pouvoir participer directement à l’organisation de ses conditions de vie la quelle n’a pas lieu dans un nirvana philosophique mais sur une base éthique et morale orientée vers le bien commun et le bien de l’individu. Le démantèlement des struc tures exi stantes des Etats nations, garants de la citoyenneté de l’individu et de ses possibilités d’influ ence sur la politique de l’Etat, réduit l’influ ence, règlementée par l’Etat, des citoyennes et des citoyens au profit des intérêts d’une partie de l’économie qui ne peut jamais défendre les besoins économiques des hommes. L’at taque contre l’Etat nation fait partie d’une stratégie de suprématie mon diale dont la réalisation est en œuvre.
Naturellement la Suisse, avec sa forme élaborée de participation et d’influence démocratique – la démocratie directe –, gêne ces planificateurs et leurs complices. Mais pour beaucoup d’autres, les citoyennes et les citoyens, elle est aussi un exemple de ce que n’est pas une puissance mondiale, mais une authentique démocratie, c’est-à-dire une structure édifiée de bas en haut qui garantit réellement la liberté et le bien-être pour tous. De ce point de vue, la question des fondements essentiels de la Suisse se pose naturellement dans d’autres pays, sous des formes qui leur sont propres : « Allons-nous, demande Jürgen Elsässer, continuer de vivre comme des provinces sous la tutelle d’un empire, dans la privation de droits, la guerre et la pauvreté, ou bien allons-nous revenir vers la démocratie et l’Etat nation, dont la Confédération est un exemple ? »