Si les sionistes ont des projets de domination mondiale, leurs projets viennent de connaître une mise au pas à cause d’une rivalité mesquine entre politiciens israéliens. Et voilà que ce recul mineur menace maintenant d’ébranler tout le schéma directeur. « Un clou vint à manquer, et le royaume fut perdu. » Une erreur minime peut avoir de lourdes conséquences, disait Eugène Scribe à propos d’un verre d’eau qui avait mis fin à une guerre trop longue.
Dans le cas particulier, le recul mineur, c’est l’échec de Netanyahou à former son nouveau gouvernement, après sa campagne électorale victorieuse. Les grandes conséquences, c’est l’effondrement de l’ambitieux « Deal du siècle » de Kushner/Trump. L’alliance entre Russie et Israël semble moins certaine ; et au-delà, le couronnement du Messie, en tant que Roi juif et de loin la première autorité spirituelle mondiale, semble reportée indéfiniment. Comme par un effet domino, ces plans ont commencé à échouer, l’un après l’autre.
S’adressant à la nation d’Israël dans un discours dramatique, et reconnaissant sa défaite après que la Knesset (le Parlement israélien) s’était dissoute sur insistance de Netanyahou lui-même, le « leader éternel » Benjamin Netanyahou a révélé les projets de rencontre trilatérale entre les chefs de la sécurité de Russie, des US et d’Israël. La Maison-Blanche a également confirmé la chose, pour le mois de juin 2019. Cette rencontre sans précédent était censée constituer le grand œuvre de Netanyahou, le couronnement de sa réélection pour la énième fois, la confirmation de son statut international.
Symboliquement, cette rencontre donnerait à Israël un rang d’égal à égal avec les deux superpuissances ; et on reconnaîtrait le talent unique du maître d’œuvre pour rapprocher les puissances hostiles, comme un dompteur qui amène en même temps un lion et un tigre au centre de l’arène. Même pour notre époque profane voire éprise de sobriété, une telle rencontre aurait une haute signification, bien au-delà de ce que nous souhaiterions en penser.
Au Moyen Âge, quand les gens étaient moins inhibés pour basculer dans l’ésotérisme, le supposé agenda des grands maîtres des deux ordres chrétiens directeurs, l’Occidental et l’Orthodoxe, comportant la rencontre avec leur féroce contrepartie, comme avec le Vieux de la Montagne, et cela à Jérusalem (parmi tous les lieux possibles !) aurait définitivement comporté le baiser à l’anus de Baphomet. Cette rencontre avec les juifs aurait concrétisé leur désir de couronner l’Antéchrist. Dans les deux cas, ils auraient fini sur le bûcher en face de Notre-Dame de Paris, sur l’Île aux juifs, comme Jacques de Molay.
Et si l’homme médiéval avait appris que la cathédrale vénérée de Paris avait brûlé récemment, il aurait considéré que l’affaire était réglée, même pour le sceptique le plus ardent. Les chevaliers du retournement de veste, héritiers des Templiers, avaient clairement tenté d’établir la domination juive éternelle sur les chrétiens, aurait dit un sage chrétien ; tandis que son contemporain juif aurait applaudi à la rencontre en tant que préfiguration de l’avènement prochain du Roi et berger de l’univers, pour guider le peuple d’Israël et les gentils bien obéissants.
De nos jours, à l’ère de la rationalité et des lois « contre » la haine, ces affirmations blessantes sont interdites, mais nous avons des âmes jugiennes, à l’ancienne, et nous continuons à interpréter le tonnerre et la foudre comme des signes d’en haut. Les symboles ont un sens et portent un message, que cela nous plaise ou non. Si vous êtes conditionné pour rejeter toute interprétation spirituelle, pensez à la programmation neuro-linguistique (NLP ou PNL) que comporte la Bible, ce livre auquel vous, vos parents et vos grands-parents ont été exposés. Une « rencontre à Jérusalem », ce sont des mots déclencheurs, pas seulement pour les croyants, mais aussi pour des matérialistes crasses « omni-niants ». Pour le dire simplement, les prophéties dont nous avons connaissance tendent à se réaliser. Les attentes du Messie vont bon train à Jérusalem.
Il y a quelques jours, quand la Journée de Jérusalem israélienne (anniversaire de la conquête de la ville en 1967) est tombée le même jour que la fête la plus importante à la fin du Ramadan, la Nuit du destin, pour les musulmans, les juifs se sont rendus dans la cour de la mosquée d’Al-Aqsa pour y prier. Habituellement, les juifs ne sont pas autorisés à pénétrer dans cette cour la dernière semaine du Ramadan. Après quelques escarmouches, les soldats israéliens ont déclenché un raid sur la Mosquée. « Heureusement nous allons bientôt pouvoir prier là, sur notre lieu sacré », s’est écriée Miri Regev, une sioniste religieuse et ministre fort populaire de la Culture dans le gouvernement de Netanyahou. Ces mots ont été interprétés comme une attente de la prise imminente de la mosquée, de sa destruction, et de l’édification du Temple juif sur ses ruines.
La rencontre trilatérale annoncée s’insère très bien dans le schéma de ces attentes. Une rencontre publique de cette teneur sans précédent serait interprétée comme le soutien des super puissances au coup de maître de Bibi, et à la mise à genoux des gentils. Le représentant US, c’est Mr John Bolton, un zélote sioniste, un homme obsédé par son adoration des juifs, qui est capable de dire tout et son contraire pour faire plaisir à son public israélien. Il est connu pour avoir une influence prépondérante sur le président Trump, et il a été décrit comme son « cerveau », choisi par les agents secrets pour contrôler le président flamboyant.
Côté russe, on a Mr Nicolas Patrouchev, un vieil ami de Mr Poutine. Il a hérité de la position culminante dans les services secrets (le FSB) après que Poutine l’a quittée pour entamer son ascension jusqu’à la présidence. Il est considéré comme un sinistre individu à la vision aussi limitée que son imagination, qui lit ses discours sur un prompteur, par exemple. Il n’est donc pas réputé pour improviser, pour réfléchir vite, ou pour ses talents de négociateur. Ce qui est excellent. Un improvisateur peut se laisser entraîner au large au moment où c’est la dernière chose dont on puisse avoir besoin. Patrouchev va s’en tenir au script, disent ses collègues. Au ministère des Affaires étrangères russe, les diplomates sont désolés de ce choix, mais il en irait de même avec tout autre élu qui ne soit pas un diplomate de carrière.
Les Israéliens se réjouissent d’avance à l’idée que la rencontre favoriserait une plus grande alliance renouvelée avec la Russie, contribuerait au virage de Moscou vers le bord US, contre l’Iran. Mais c’est très improbable. La Russie est amicale avec Israël, et veut instaurer des liens amicaux avec les US, mais sans cesser d’obéir à ses propres intérêts nationaux.
La semaine dernière, lors du « Davos russe », le Forum économique de Saint Pétersbourg, le président Poutine a réitéré les principaux points de son mémorable discours de Munich en 2007. Il a émis sept revendications, ce qui ne laisse planer aucun doute sur son désagrément face à la main lourde américaine, avec les tentatives US pour se servir du dollar comme d’une arme, de même que de Google, de Facebook et de tout savoir faire, comme dans le cas de Huawei. « Des États qui antérieurement invoquaient les principes de la liberté de commerce, de la libre concurrence, ont commencé à parler le langage des guerres commerciales et des sanctions, des raids économiques flagrants, de l’intimidation, de la rétorsion, de l’élimination des concurrents par ce qu’on appelle les méthodes non mercantiles », a-t-il dit. Ce ne sont pas les termes de quelqu’un qui n’attend qu’un signal pour rejoindre l’entourage US.
Certes, il y a d’autres signes moins plaisants.
Le « Bolton russe », Mr. Eugene Satanovski, à la tête d’un think tank pro-israélien, autrefois à la tête d’une entité juive sioniste, et qui s’exprime abondamment à la télévision russe, a été nommé conseiller du ministre de la Défense Mr Sergueï Choïgou Sa nomination est venue directement du Kremlin, à la surprise générale du corps ministériel.
Un ecclésiastique russe en vue, Fr Chapoline, a exprimé sa satisfaction du contrôle israélien sur Jérusalem, dans les colonnes de la Nezavisimaya Gazeta.
Au même moment, les missiles 3-000 russes n’ont pas fait opposition aux bombardements israéliens en Syrie.
Il apparaît que les Israéliens avaient embringué les Russes dans l’ambitieux projet de rencontre avec la promesse de faire lever les sanctions US sur la Russie. Pour commencer, il est assez douteux qu’Israël soit en mesure de tenir une telle promesse. Poutine est un homme d’État très expérimenté, et il ne prendrait pas une promesse US pour argent comptant. Surtout après l’échec des pourparlers entre Trump et Kim à Hanoï, mais avant non plus. De toute façon, Poutine voudrait ne plus être sous le coup de sanctions, mais pas au prix d’avoir à céder sur toutes les exigences US.
Les Israéliens veulent neutraliser l’Iran, parce que la République islamique d’Iran est le seul pays restant pour défendre la mosquée d’Al-Aqsa. Amman, Ryad et d’autres capitales arabes ne prendraient pas les armes contre Israël si Netanyahou décidait de démolir la mosquée. Les Palestiniens se battraient, mais ils n’ont pas d’armement. La dernière victime juive d’une attaque palestinienne a été blessée par des ciseaux. L’Iran a des armes et veut protéger la mosquée. Est-ce que Netanyahou peut convaincre Poutine de neutraliser l’Iran, ou de faire pression sur l’Iran pour qu’il se désintéresse de la Palestine ? Ce serait un exploit digne d’un magicien.
Et nous arrivons au point capital. Au lieu de recevoir les envoyés des deux superpuissances avec le faste convenant à un presque Roi des juifs, Bibi devrait les rencontrer en tant que chef d’un gouvernement de transition en attente de nouvelles élections et d’un procès tout à fait possible. Avec un pareil statut, il vous est difficile de convaincre un banquier de vous accorder un prêt pour acheter une nouvelle voiture, sans parler de convaincre Poutine pour un renversement d’alliance, et de persuader Trump de renier le Christ.
Dans la foulée, le gendre au visage enfantin Kushner, de concert avec le beau-père Trump, avait prévu de sceller son deal du siècle. Mais ils auront bien du mal, le Trump versatile et l’inexpugnable Netanyahou, à faire fonctionner le piège. Trump menacé de destitution et Bibi face à de nouvelles élections et à une enquête policière n’ont aucune chance. Et c’est probablement une bonne chose, par ailleurs. La Russie et la Chine ont décidé de rester en retrait. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a refusé le deal, de son côté, et le flop de cette vaste fraude empêchera que la Palestine paye les pots cassés.
Le contenu de l’accord envisagé n’avait pas été officiellement révélé ; tout ce dont nous disposons, c’est d’une fuite dans un journal proche de Netanyahou et financé par Seldon Adelson, disant que cela avait fuité du ministère israélien des Affaires étrangères. Suspendez, mes chers lecteurs, votre incrédulité ! Même si ce morceau de rêve éveillé ressemble à un devoir de vacances rédigé par un lycéen, il n’est nullement inspiré par la bienveillance. Il y est dit que les US abattront (textuellement kill) les dirigeants palestiniens qui n’accepteront pas le plan, mais qu’auparavant, la Palestine sera sanctionnée à mort, et que tous ses alliés se verront interdire d’acheter, de vendre ou de faire don aux Palestiniens de quoi que ce soit.
Le projet envisage une entité palestinienne désarmée de façon permanente qui paiera Israël pour sa « protection ». Toutes les colonies israéliennes restent inviolables, et sont considérées comme faisant partie d’Israël. Israël contrôlera chaque arrivée et départ de l’entité appelée « Nouvelle Palestine ». Jérusalem reste juive. Gaza sera reliée à la Cisjordanie par un pont de 30 km sous contrôle israélien. Ce pont sera financé par ... la Chine. Une usine de dessalement de l’eau pour Gaza sera payée par ... le Japon. Même sans tenir compte de la menace de flinguer les Arabes désobéissants, cela serait tout simplement grotesque. Si bien qu’il n’y a rien à regretter, dans l’abandon de cette « tractation » éminemment bizarre.
Le Président Trump a compris qu’avec Bibi devant affronter un procès et une campagne pour la réélection, il n’a aucune chance d’avancer sur son projet, ou sur aucun autre, d’ailleurs. « Israël est dans une pagaille totale, avec ses élections », avait dit Trump aux journalistes. « Il faut qu’ils se mettent d’accord ». Bibi a été élu, « et voilà que maintenant tout est à recommencer ? Cela ne nous plaît pas du tout », a dit Trump.
De fait, les deux grands projets de Bibi, la rencontre trilatérale à Jérusalem et le Deal du siècle, se sont effondrés, dès lors qu’il n’est pas parvenu à constituer son gouvernement. Ces vilains projets, ce n’est pas la gauche israélienne qui les a gâchés, ni l’extrême droite US, ni les chrétiens orthodoxes russes. C’est la faute d’un homme seul : Avigdor Lieberman, un politicien israélien, à la tête d’un petit parti représentant les Israéliens russes. On aurait du mal à l’aimer, mais il a saboté ou du moins remis à plus tard l’avènement du Messie juif, autrement dit l’Antéchrist.
Je le comparerais volontiers avec Gollum, la créature révoltante et traîtresse qui suivait Frodon dans Le Seigneur des anneaux. Alors que Frodon mettait en œuvre sa tentative folle de s’emparer de l’anneau pour son usage personnel, Gollum a sauvé la quête. Il a tranché le doigt à Frodon, puis il est tombé dans la Rivière de feu d’Orodruin. Et Gandalf de conclure : « Même Gollum pouvait encore servir à quelque chose ».
Lieberman a fait couler le montage de la coalition de Netanyahou, mais non pour la moindre bonne ou honnête raison, ni par compassion envers les Palestiniens : c’est juste le contraire ; il voulait bombarder Gaza et la raser ; ce n’est pas non plus par haine de la corruption, car il n’est pas moins corrompu que Netanyahou ; sa raison déclarée (il proclamait qu’il s’opposait à la domination par les juifs religieux) ne tient pas la route, dans la mesure où il a voté avec les partis religieux tout au long de sa carrière, et cela même contre les intérêts des Russo-Israéliens qui lui donnaient leurs votes. À la fin, on lui offrait tout ce qu’il pouvait vouloir, mais il insistait sur un point qui ne valait pas un kopeck, du point de vue de ses électeurs ; il voulait que tous les étudiants en droit religieux juif fassent leur service militaire. L’armée n’en voulait pas, les électeurs russes s’en fichaient complètement, et les jeunes juifs renâclaient, prêts à mourir plutôt que de rejoindre l’armée.
Il agissait par dépit. Netanyahou ne le traitait pas avec le respect qu’il estimait lui être dû ; il se sentait utilisé et sous-estimé. À la fin, il a refusé toutes les offres tentantes de Netanyahou, et le voici plongeant dans l’Orodruin avec toute la Knesset.
Ce farouche dépit semble être quelque chose de très juif. Le Second Temple avait été détruit pour la même raison, (שינאת חינם) dit le Talmud (Yoma 9b). R. Yohanan (BT Gittin 55b) détaille toute l’histoire de Kamtza et de Bar Kamtza, dont l’inimitié acharnée causa la guerre contre Rome, et la destruction du Temple qui s’en suivit. R. Yohanan b. Torta (PT, Yoma 4b (1:1) renchérit en disant que le Second Temple fut détruit à cause de l’amour de l’argent et de la haine aveugle.
L’amour de l’argent et la haine aveugle entre dirigeants israéliens ont de nouveau joué leur rôle, en donnant un coup d’arrêt à un processus extrêmement dangereux, juste à temps. L’édification du Troisième Temple est probablement reportée, comme c’est arrivé plusieurs fois dans l’histoire. L’occasion la plus mémorable s’était présentée à l’époque de Julien l’Apostat, qui avait permis aux juifs de reconstruire leur temple ; ils commencèrent à l’édifier, mais un tremblement de terre survint et mit à bas le projet. Lieberman aura été moins spectaculaire que le tremblement de terre, mais tout aussi efficace.
Pour mes lecteurs qui ne se satisferaient pas de l’explication par le dépit illimité, je peux vous offrir une autre version qui circule en Israël. On dit que Lieberman avait fait cela en suivant docilement les ordres du rusé Poutine. Poutine n’était pas chaud pour se laisser pousser par Netanyahou et Trump à agir contre l’Iran ; il ne voulait pas se quereller avec ces deux dirigeants non plus, par ailleurs. Il aurait donc activé Lieberman et torpillé le nouveau gouvernement Netanyahou.
Se non è vero, è ben trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé.