Ce jeudi matin 16 février, Alan Juppé rencontre à New York son homologue russe Sergueï Lavrov, « en marge d’une rencontre sur l’Afghanistan« , pour tenter de lui vendre les derniers produits diplomatiques occidentaux en stock comme le « Groupe des Amis de la Syrie« , les « couloirs humanitaires« , sinon le déploiement de casques bleus.
Y croit-il vraiment ? On espère pour lui que non.
Renforcement de la Russie, déclin de l’OTAN
Le site plutôt sarkozyste et « libéral-occidental » Atlantico passe la parole à ce sujet à Philippe Migault, chercheur à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) et spécialiste des relations entre Russie et Europe en matière d’armement, d’aéronautique, d’espace et d’énergie.
Et Migault est formel : « Très clairement nous n’avons aucun moyen de pression sur la Russie« . Les Occidentaux, des deux côtés de l’Atlantique, explique-t-il, croient qu’ »à partir du moment où Paris, Londres et Washington font les gros yeux, Moscou cède« .
« Mais nous ne sommes plus à l’époque de Boris Eltsine. La Russie est de nouveau une puissance qui monte avec une santé économique certaine« .
Et Migault de rappeler que la Russie n’a pas digéré le cas libyen où « nous avons dépassé de très loin le mandat donné par les Nations-Unies« .
Atlantico pose la question d’une nouvelle guerre froide entre Occident et axe russo-chinois. Philippe Migault pense qu’une économie mondialisée ne permet pas une confrontation durable et sérieuse : en ce qui concerne les échanges commerciaux et singulièrement dans le domaine de l’énergie, dit-il, « nous avons autant besoin des Russes qu’ils ont besoin de nous« .
Et Migault fait un parallèle entre l’OTAN, « qui n’est plus qu’une structure moribonde » qui donne de la voix pour prolonger son existence – et qui n’est pas un bloc uni -, à la Russie qui étend son influence un peu partout grâce à des partenariats économiques ou militaires.
L’OTAN moribonde ? Sans doute, mais une bête blessée est, on le sait, dangereuse.
Le blues syrien des « néocons »
Un peu dans le même ordre d’idées, Reuters a publié le 15 février une analyse des possibilités des Etats-Unis relativement à la crise syrienne. Possibilités dont le titre de l’article donne une idée : « Les Etats-Unis impuissants face aux violences en Syrie« .
Reuters entend démontrer d’abord que sur le dossier syrien, Washington est, en dépit des déclarations sévères d’Obama et de Clinton, nettement en retrait par rapport à Paris ou Ankara, au discours – et aux mesures – beaucoup plus agressifs.
C’était déjà le cas, après tout, pour la Libye où c’est Sarkozy et Cameron qui se sont chargés de l’essentiel du « sale boulot ». Interrogé à ce sujet, Steven Heydemann, spécialiste de la Syrie à l’Insitute of Peace, une fondation américaine crée et financée par le Congrès américain, estime que la stratégie de Washington vis-à-vis de Damas, c’est « trop peu trop tard » et que cette hésitation, à l’en croire, « crée des tensions croissantes au sein de l’administration Obama« .
Bien sûr, Heydemann peut exprimer l’impatience des néocons qui aimeraient en découdre avec Damas comme ils le firent, en d’autres temps, avec Bagdad.
Mais il semble que l’embarras de l’administration Obama soit cependant réel : comment continuer une escalade verbale sans passer à l’acte ? Et comment passer à l’acte à l’approche d’une élection présidentielle difficile ?
Reuters l’écrit en toutes lettres : « Pour l’administration Obama, le dilemme reste entier : comment soutenir les opposants syriens sans créer des problèmes supplémentaires dans une région si sensible, en pleine tension sur le nucléaire iranien et à l’approche de l’élection présidentielle américaine« ?
Oui, comment ? Reuters pose la question cette fois à Mona Yacoubian, une autre spécialiste d’un autre think-tank américain, le Simpson Center.
La réponse, d’un point de vue « otanesque », n’est guère encourageante : « La vérité, aussi dure à admettre soit-elle, c’est que nous n’avons pas beaucoup d’options réalistes à notre disposition » constate Mona Yacoubian qui dresse un rapide état des options disponibles :
Des sanctions économiques supplémentaires ne seraient pas adaptées « car elles mettraient du temps à produire de l’effet alors que des massacres se déroulent quotidiennement (sic, notre spécialiste est elle aussi de la mouvance néocon) ».
Alors une intervention militaire ? Selon Mona Yacoubian, le Pentagone ne veut pas en entendre parler « en raison de la complexité de la situation en Syrie« , où les divisions religieuses et ethniques mais aussi la « forte urbanisation » ne faciliteraient pas l’action des « boys« .
Et Mona Yacoubian ajoute à ces difficultés, le déficit de « cohérence interne » de l’opposition, « et en particulier de l’ASL« , qui « suscite pour l’instant plus de questions que de réponses » : bref, il semble qu’on soit inégalement convaincu par l’efficacité et la représentativité de l’ASL de part et d’autre de l’Atlantique !
Reuters indique cependant que du côté des Républicains, on est moins « mou du genou » que l’administration Obama et les Démocrates, citant la surenchère belliciste du sénateur John McCain, challenger malheureux d’Obama en 2006.
Mais pour l’heure, il ne reste donc aux Américains que la carte d’une négociation difficile avec les Russes : Reuters cite un « ancien officiel américain » selon qui ‘administration Obama chercherait à convaincre l’opposition radicale syrienne d’accepter une médiation de Moscou visant à établir un cessez-le-feu, préalable à l’organisation d’élections.
Mais comme le note l’agence anglo-saxonne en conclusion, il est douteux que ces manœuvres convainquent les Russes d’abandonner leur allié syrien.
La tendance serait donc plus que jamais, chez les atlantistes des deux bords de l’Atlantique, au « blues post-Conseil de sécurité ».