Il s’agit ni plus ni moins que de l’une des plus importantes escroqueries de ce début de siècle. Et ses victimes ne sont ni des particuliers ni des banques, mais tout simplement certains États européens. Préjudice pour la France : entre 1,5 et 1,8 milliard d’euros, et environ 5 milliards d’euros pour l’Europe, selon le substitut du procureur de Paris, Bruno Nataf. “À ce niveau-là, ce n’est plus de la fraude, c’est carrément le jackpot !”, commente un spécialiste des affaires financières…
“Cette escroquerie à la taxe carbone, c’était couru d’avance !”
Le marché visé est celui des échanges de quotas du CO2 institué par le protocole de Kyoto et mis en œuvre à partir de 2005. Afin de limiter les émissions industrielles de dioxyde de carbone, le dispositif a alloué gratuitement aux entreprises des permis d’émettre du CO2, mais en quantité limitée. En cas de dépassement de ces quotas, elles peuvent acheter des droits aux sociétés moins polluantes et qui disposent donc de permis d’émettre en excédent. Ce gigantesque marché de la taxe carbone est actuellement infiltré par la criminalité organisée, qui a rapidement compris le parti à tirer d’une fraude à la TVA. Par l’intermédiaire de sociétés basées à l’étranger, les escrocs achètent hors-taxes des droits à émettre, qu’ils revendent en France TVA incluse. Une fois la vente conclue, les escrocs disparaissent dans la nature sans avoir reversé le montant de la taxe au fisc !
“Cette histoire d’escroquerie à la taxe carbone, c’était couru d’avance ! Il était évident que le banditisme allait se précipiter sur ce type de trafic !”, déplore, fataliste, un magistrat rhônalpin, qui fustige “l’imprévoyance du législateur”.
La semaine dernière, un important dossier de ce type est d’ailleurs venu devant le tribunal correctionnel de Paris : selon le parquet, qui a requis sept ans d’emprisonnement pour le principal prévenu, le montant de l’arnaque réalisée par cette équipe serait de 43 millions d’euros…
Affaire Neyret : le cas Alzraa
En marge de ce dossier parisien apparaît le nom d’un escroc lyonnais présumé : celui de Stéphane Alzraa, “ami“ de Michel Neyret, le n° 2 de la DIPJ de Lyon écroué à la Santé depuis deux semaines. Mis en examen pour corruption et trafic d’influence, Stéphane Alzraa a également été écroué dans l’affaire Neyret. Suspecté (avec un autre suspect, son cousin Gilles Bénichou), d’avoir été protégé et informé par Michel Neyret en échange de renseignements et de “services” tels que le prêt de voitures de luxe ou le paiement de voyages au Maroc, l’homme n’a pas vraiment le profil du “baltringue”. Car lui et Bénichou (dont l’oncle était un indic’ de Neyret), sont soupçonnés d’être en relation très étroite avec le grand banditisme, et notamment des trafiquants de drogue internationaux. Réinvestir les gains faramineux de l’escroquerie à la taxe carbone dans de grosses commandes de stupéfiants : lorsque l’on possède les “bons” réseaux au sein de la pègre, la manœuvre peut s’avérer très rentable.
“Entre escrocs et trafiquants qui ont fait leurs preuves, des contacts s’établissent"
Car, à un certain niveau, tout le monde se connaît dans le Milieu. “Il s’agit, si j’ose dire, d’un ensemble de compétences transversales, qui captent, analysent et échangent des informations sur les opportunités du moment, par exemple dans le domaine de l’escroquerie, où les risques encourus sont faibles et la rentabilité très forte”, analyse Thierry Colombié, spécialiste de la criminalité organisée en France. Selon lui, le réinvestissement des produits de l’escroquerie dans les stupéfiants ou dans d’autres secteurs lucratifs n’est pas une pratique marginale : “Escrocs et trafiquants, quand ils ne cumulent pas les deux fonctions, sont toujours en contact. Un escroc qui dispose d’un gros volume de cash peut prendre une participation dans une commande de drogue. Sur des volumes importants, de l’ordre de la tonne de cocaïne par exemple, il n’y a en général pas d’entourloupe. Tout le monde a intérêt à ce que l’association réalise des profits et perdure. Arnaquer un associé, c’est déclencher une guerre, attirer l’attention des policiers, en somme faire capoter l’entreprise !