Certains de mes amis, qui se reconnaîtront, se sont récemment étonnés de me voir figurer parmi les signataires de la pétition lancée par Paul-Eric Blanrue pour demander l’abrogation de la loi Gayssot.
L’un est surpris que j’aie signé cette pétition, alors que j’explique à qui veut l’entendre, depuis plusieurs années, que le « révisionnisme » est un combat secondaire, qui fonctionne, auprès d’une partie de la Résistance française comme un piège à bière : on y entre, on s’y fait marquer, on s’identifie à sa marque, on s’y perd, on y perd la tête, et l’on oublie pour finir que les vrais combats concernent l’avenir, et non le passé.
A cet ami je réponds : ce n’est pas parce qu’un combat est secondaire qu’il faut refuser d’y participer, l’important est de ne pas en faire une question centrale. J’ai signé cette pétition parce que j’estime que la loi Gayssot est liberticide ; mes opinions concernant la question du révisionnisme sont ici secondaires (à vrai dire, je pense que les « révisos » ont tort sur l’essentiel).
Ce qui est en jeu en revanche, c’est la possibilité de penser l’histoire. Il s’agit de soustraire un fait historique au domaine de la Mémoire sacralisée. Il s’agit d’énoncer que le Vrai n’est pas produit par le Pouvoir, mais par la Critique. Ce qui est en jeu, c’est la liberté ; « La liberté, » disait Orwell, « c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre, tout le reste suit » ; eh bien, il faut faire en sorte que le reste suive. En somme, le sujet n’est pas central, mais il est réel : ce n’est pas au Parlement de décréter la vérité historique, ou bien et qu’on nous le dise franchement, nous sommes soumis à un nouveau totalitarisme. Voilà de quoi il s’agit.
L’autre est choqué que j’aie signé à côté de certains auteurs réputés antisémites, alors que, hem, j’aurais peut-être quelques difficultés à prévoir s’ils parvenaient un jour à s’emparer du pouvoir.
A cet autre ami, je réponds : tout d’abord, si quelque chose aujourd’hui est de nature à faire progresser l’aversion à l’égard de nos compatriotes ayant des origines juives, c’est précisément la loi Gayssot. Il serait temps de se souvenir que la première phase d’un mécanisme victimaire est toujours la sacralisation de la victime. Il n’y a pas de loi mémorielle aux USA et, sauf erreur de ma part, la haine anti-juive n’y est pas plus développée qu’en France, au contraire.
La loi Gayssot crée une catégorie spécifique de la Mémoire, soustraite à la critique, soustraite au libre examen ; dans cette catégorie, on enferme symboliquement une spécificité juive ainsi réputée irréductible et, d’une certaine manière, supérieure. Comment ne pas voir que cette judéomanie n’est que le reflet, et bientôt le contrepoids justificateur, des judéophobies de toutes obédiences ? Comment ne pas voir que ce différencialisme dépolarisé, qui ancre la supériorité symbolique dans l’avilissement insurpassable, est éminemment réversible, et qu’il peut, demain, construire une nouvelle figure du Juif radicalement étranger, sorti de la francité et même, pourquoi pas, de l’humanité ? Il faut le dire : le point commun entre un judéomane et un antisémite, c’est leur commune obsession. Lutter contre cette obsession, c’est donc lutter autant contre la judéomanie que contre l’antisémitisme.
Mais à cet autre ami, je réponds surtout, et plus profondément, qu’il ne s’agit pas ici de raisonner en tant que l’on serait, ou pas, une personne tout ou partie « d’extraction juive ». Ce qui est en jeu derrière la question de la loi Gayssot, c’est le principe d’égalité des citoyens devant la loi. Comme il est évidemment impossible de sacraliser toutes les mémoires (ne serait-ce que parce qu’elles sont parfois antagonistes), la sacralisation d’une mémoire, n’importe laquelle, introduit dans le droit français un principe d’inégalité tout à fait contraire à notre tradition.
On ne peut pas être la Nation de l’Egalité et le pays des exceptions mémorielles. Il arrive toujours un moment où entre la France et le reste, il faut choisir : en ce qui me concerne, je choisis sans hésiter la France. Et puisque la loi Gayssot constitue un privilège mémoriel, ce que j’ai demandé en signant cette pétition, c’est l’abolition d’un privilège. C’est de cela qu’il s’agit, beaucoup plus que d’une « question juive » dont je reste convaincu qu’elle trouvera sa réponse dans l’inexistence de sa formulation.
Quant aux thèses des « révisionnistes », en elles-mêmes, j’avoue qu’elles m’intéressent assez peu. C’est une querelle d’historiens.