Pierre Lagaillarde est parti au paradis des mousquetaires.
Il y a déjà cinquante-six ans qu’un jeune lieutenant parachutiste, ancien président de l’AG des étudiants d’Alger avait, le 13 mai 58, en prenant d’assaut l’immeuble du Gouvernement général à Alger, sonné le glas de la IVème République.
Cet évènement, mais personne n’aurait pu alors le croire, sonnait aussi, après le tocsin de la guerre d’Algérie, le glas de l’Algérie française, livrée quatre ans plus tard par le gouvernement du Général de Gaulle aux fellagas pourtant battus sur le terrain militaire et révolutionnaire.
Ce 13 mai 58, nous descendions les Champs-Élysées, ceints de nos écharpes tricolores, décorations pendantes et bérets de paras, à la tête des militants du Front national des combattants suivis d’une poignée de conseillers municipaux gaullistes, dont le Docteur Devragne et Madame Janine-Alexandre Debray, mère du militant gauchiste Régis Debray.
Nous ne savions rien des évènements d’Alger, car à la même heure, nous nous heurtions (ou plutôt, nous étions heurtés) aux crosses des gendarmes mobiles sur le pont de la Concorde.
Ce jour-là, dans les rues d’Alger, une foule enthousiaste des patriotes défilait, toutes races, toutes religions confondues dans le même cri d’espérance « Vive l’Algérie française ».
Le Général de Gaulle, appelé par le Général Salan, lança « Je vous ai compris » et à Mostaganem « Vive l’Algérie française ». Le Président Coty, lui, abandonnait alors les destinées de la France.
Hélas, hélas, cette grande espérance n’allait pas tarder à être trahie.
La IVème République était remplacée par la Vème après le référendum constitutionnel de 1958.
Aux élections législatives, j’étais élu, en individuel, député du 5ème arrondissement de Paris, l’Algérie élisait des députés français, Pierre Lagaillarde était élu député d’Alger avec sur sa liste Ahmed Djebbour, qui avait été grièvement blessé par le FLN après sa candidature législative Front national des combattants à Paris en 1957. Les élus d’Alger se constituèrent en groupe à l’Assemblée.
Les discours du chef de l’État s’éloignaient rapidement des promesses de l’Algérie française et, le 16 Septembre 59, ce fut celui de l’autodétermination.
En janvier 60, une grande manifestation réunie à l’appel de Pierre Lagaillarde, Jo Ortiz et Jean-Jacques Susini, tourna au drame. Des manifestants et des gendarmes furent tués.
Pierre Lagaillarde se retrancha avec ses partisans dans les facultés, défendues par des barricades.
Quelques jours plus tard, les parachutistes, dont les chefs avaient pourtant assuré les Pieds-Noirs de leur appui, provoquaient la reddition du camp retranché.
Le député Lagaillarde était arrêté et emprisonné à la Santé. Adoré de ses hommes, ce condottiere était un solitaire. Député, il marchait seul longtemps, suivant les quais de Seine.
En prison, je lui rendis visite et lui suggérais d’être candidat aux élections cantonales au mois d’avril.
Il annonça sa candidature. Le Général de Gaulle fit voter une loi d’exception pour le lui interdire.
Je sollicitai son père puis sa mère qui refusèrent, mais Babette, sa femme, professeur de physique au lycée d’Alger, accepta de constituer une liste qui comportait 4 musulmans sur 10.
J’animai cette campagne, m’étant rendu à Alger comme rapporteur du budget de la guerre, le gouvernement fit pression sur le Président de la Commission de Défense nationale, François Valentin, qui transmit en me laissant libre de faire ce que je pensais juste.
Il se trouva, hélas, cinq listes de Pieds-Noirs pour se présenter contre la liste présentée par le député en prison !
L’Armée, elle-même, témoigna de son hostilité.
Ahmed, collant des affiches de Babette, fut abattu en plein midi, devant l’hôtel Alety par une patrouille de militaires français.
À la cité Mahieddine, le capitaine de Germiny m’insulta et me menaça, après avoir mis un paquet de bulletins de vote dans l’urne.
Rien n’y fit. Le soir du dimanche, la liste de Babette était élue avec 92 % des voix.
Hélas, les 4 conseillers musulmans, élus fidèles, seront plus tard égorgés.
Le lendemain, dès l’ouverture de l’Assemblée, je déposai une motion de libération de Lagaillarde mais qui fut battue de quelques voix. Néanmoins, dans la foulée, le Tribunal militaire mettait Lagaillarde en liberté provisoire.
Pierre en profitera pour gagner Madrid où il allait résider désormais.
Je l’y rencontrai encore une fois avec le Général Salan et Jean-Jacques Susini à la Torre de Madrid.
Je ne l’ai plus jamais revu. Mais j’ai toujours conservé de lui l’image du mousquetaire dont il avait l’allure et l’âme.
À Dieu Pierre.
Jean-Marie Le Pen
Photo : Pierre Lagaillarde à gauche, Jean-Marie Le Pen à droite (1959).