Malgré sa prophétie dans Les Échos en 2022, le mage Attali n’a pas vu venir le coup de sirocco populiste des USA, lui qui pourtant voit tout, sait tout, et dit tout aussi, même son contraire. Ce faisant, on est sûr de taper juste un jour. La voyante Élizabeth Teissier avait l’habitude de déposer des enveloppes cachetées un peu partout, et elle ouvrait ensuite devant huissiers celles qui disaient le futur, pas les autres...
Notre voyant se plante souvent, il prédit aussi, si on n’obéit pas à ses oukases, la guerre mondiale à chaque fin de semaine. Ça ne mange pas de pain, et si ça peut faire venir le machiah... À notre avis, et son machin et son gouvernement mondial à Jérusalem, c’est très mal barré.
Invité complaisamment sur BFM TV le 7 novembre 2024, alors qu’il ne représente rien, sinon quelques intérêts privés, le banquier des pauvres a donné son avis sur la situation actuelle, il est vrai chargée. Il est interrogé par Neila Latrous, qu’on va juger sur pièces : elle a intérêt à être mordante, c’est-à-dire journaliste, sinon elle peut fermer son compte X. C’est comme ça, aujourd’hui : le peuple des réseaux sociaux ne supporte pas l’obséquiosité et la désinformation, surtout devant des puissants qui se la pètent.
Dès la première question, qui ressemble à une présentation commerciale, on retient un rire : Jacquadit a écrit cent ouvrages dans sa vie... Et on n’en a lu aucun !
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Latrous : 62 % des Français se disent inquiets de l’élection de Donald Trump, ont-ils raison ?
Jacquadit : Oui et c’est en même temps une chance parce que être inquiet, ça veut dire prendre conscience des risques, qui seraient arrivés quoi qu’il arrive parce que, il faut regarder l’Histoire longue, et l’Histoire longue nous annonçait déjà un repli des Américains sur l’Amérique, une prise de conscience de l’Amérique de ses dangers, de tout ce qu’elle court comme catastrophes. Qui a commencé d’ailleurs avec Obama, qui a commencé à se replier, et donc Trump exacerbe, accélère ce mouvement, sans pour autant résoudre les grandes, ou annoncer qu’il va résoudre les grands problèmes de l’Amérique, qui restent aussi des tendances longues, la dette publique américaine. Avant même qu’il rentre en fonction, en janvier, la dette publique américaine va atteindre le plafond qui fait que on peut payer les fonctionnaires, sauf à prendre des mesures d’expédients comme ils l’ont fait à plusieurs reprises.
Donc il y a des tendances profondes de la société américaine qui va l’amener à être de plus en plus fermée sur elle-même, euh, oubliant le reste du monde y compris en laissant le dollar courir sa vie.
Latrous : Et j’ai lu avec attention ce que vous écrivez sur votre site Internet, sur le danger pour l’économie, pour l’Ukraine, pour l’environnement notamment, mais avant cela je voudrais revenir à une question que, que, que vous avez posée, précisément, sommes-nous préparés à un retour au pouvoir de Donald Trump, et cette question vous la posiez y a 2 ans et demi dans un texte prémonitoire que vous aviez publié et dont je vais vous relire ici quelques lignes puisqu’il est toujours disponible, ce texte, sur votre site. « Un Trump président en 2025 »… vous écrivez cela le 25 mai 2022, je précise pour ceux qui nous écoutent, « Un Trump président en 2025 serait très différent de ce qu’il a été la première fois, il aurait tout pouvoir sur les deux chambres de l’exécutif » écriviez-vous, « sur la Cour suprême et sur l’essentiel des médias ; on peut dire sans excès que les États-Unis auront cessé d’être une démocratie ».
Pour vous à l’heure où l’on se parle, l’Amérique n’est plus une démocratie ?
Jacquadit : Oui c’est pour ça que j’alertais dans cet article qui est paru dans Les Échos, en effet y a, y a plus de 2 ans, en disant, commençons à nous y préparer. À l’époque ça n’était qu’une hypothèse et aujourd’hui c’est une réalité. Malheureusement on n’a pas fait ça, on ne s’y est pas préparés.
Latrous : On ne s’est pas assez préparés ?
Jacquadit : Non, pas du tout, on s’est pas préparés du tout, à cette hypothèse. Les États-Unis, si on s’était préparés, la meilleure préparation eût été de se lancer d’urgence dans la construction d’une armée européenne, d’une industrie de la défense européenne, de se doter des moyens de ne pas dépendre des États-Unis en matière de militaire. On l’a pas fait du tout, même si on l’a fait de façon… homéopathique.
C’est pas une démocratie, non. Quand vous avez un président qui a tout pouvoir, qui a laissé entendre, est-ce qu’il le fera ou pas, que c’était la dernière, il a dit, c’est la dernière élection présidentielle, ça veut dire, je suis là pour toujours. Je pense pas qu’il pourra le faire.
Mais quand il donne plein pouvoir à un complotiste sur la santé, à un industriel de génie mais, euh, qui a décidé de détruire officiellement, de remplacer le tiers de la fonction publique américaine et de réduire d’un tiers le budget américain, ce qui est impossible sans, sans, sans mesures véritablement antidémocratiques, donc d’en finir avec par exemple le système de santé, le système de, qui va mal, le système éducatif, le système… postal, enfin le, peut-être même une partie de l’armée, c’est, c’est, c’est, c’est pas possible de faire ça d’une façon démocratique. Alors évidemment le fait que Elon Musk soit là va donner aussi des moyens technologiques à une sorte de, de dictature démocratique, parce qu’il a en effet tous les pouvoirs parlementaires qui vont masquer ça sous le couvert d’une démocratie.
Latrous : J’aimerais qu’on examine, Jacques Attali, un par un, les risques et les sujets pour la France, pour l’Europe, vous dites risques mais vous dites aussi opportunités. Puisque vous évoquez Elon Musk je vous propose de commencer par exemple sur l’économie, par ce que prévoit Donald Trump précisément sur le sujet de la course à l’innovation, donc soutenu effectivement par Elon Musk, qui se propose de déréguler, déréguler, déréguler, donc ça veut dire des lois plus souples par exemple sur l’intelligence artificielle ou sur les médias sociaux, ça c’est un risque pour la démocratie ?
Jacquadit : Ben c’est, c’est, c’est un risque pour la démocratie, c’est, ça veut dire que le vrai pouvoir n’appartient plus à Washington, il appartient à la Silicon Valley, à ceux qui dirigent ces entreprises et qui imposent une dérégulation absolue, qui va être, d’ailleurs ça avait été un grand débat entre Elon Musk et Thierry Breton, entre les Européens et les Américains, les Américains de la Silicon Valley.
Latrous : Qui ne souhaitent pas de régulation.
Jacquadit : D’aucune sorte. Or, cette régulation est absolument nécessaire, non pas pour brider le développement qui est évidement souhaitable, mais pour empêcher que ce développement aille jusqu’à, euh, la, la, la, la, le développement de l’armement, euh, qui échappe aux humains, d’une intelligence artificielle qui échappe aux humains, une intelligence artificielle c’est un outil extraordinairement positif mais, mais le fait d’utiliser les fakes news comme l’a fait Elon Musk dans cette campagne en faisant des faux messages, alors est-ce qu’il est derrière, sans aucun doute, des faux messages de, euh, Kamala Harris, ciblés sur des populations en, en, en faisant dire à Kamala Harris exactement ce que cette population n’a pas envie d’entendre, c’est-à-dire, voilà, elle va faire ça contre vous, aux, aux, aux propalestiniens des messages, euh, sionistes fanatiques et réciproquement des messages propalestiniens quand il s’adressait à une audience, euh, juive. Et ceci dans, sur tous les milieux. On peut imaginer ça maintenant qu’il est au pouvoir, monsieur Musk est au pouvoir, d’une façon, qui fasse de la vérité un, une, une, euh, une, une dimension tout à fait annexe de l’exercice de, de, de leurs responsabilités.
Latrous : Mais est-ce que c’est un risque pour l’innovation européenne par exemple ? Parce que les entrepreneurs européens disent « l’Europe a plutôt tendance à réguler avant d’innover », aux États-Unis on pousse les innovateurs d’abord.
Jacquadit : Oui, alors il faut pas caricaturer, l’Europe a aussi des grandes entreprises, par exemple il existe une entreprise d’intelligence artificielle en Europe qui est aussi bonne sinon meilleure que les entreprises américaines, qui s’appelle Mistral, qui n’a pas du tout été empêchée par, euh, euh, la régulation et qui devrait se développer d’avantage si elle avait encore plus de moyens, c’est un exemple, parmi beaucoup, beaucoup, beaucoup d’autres. Donc, euh, non, euh, pour l’instant les régulations européennes n’empêchent pas le développement. Ce qui empêche le développement c’est que on n’a pas de politique industrielle, on ne concentre pas les moyens, il y a aux États-Unis des institutions qui existent et qui d’ailleurs ont été développées, sous tous les présidents, et en particulier par Biden sous le nom de IRA, euh, qui…
Latrous : C’est un paquet de mesures protectionnistes pour promouvoir les industries américaines ?
Jacquadit : Énorme ! Voilà, qui, qui, qui était énorme. Nous n’avons pas l’équivalent en Europe, ça existe mais de façon extrêmement faible. Donc, nous n’avons pas les moyens, plus exactement l’argent existe parce que les emprunts…
Latrous : On n’arrive pas à les mettre ensemble.
Jacquadit : On n’a pas la cohérence d’ensemble, on se disperse, on n’a pas de politique industrielle. Tout est dans le rapport Draghi.
Latrous : Et ça, Jacques Attali, pardon, rapport Draghi, l’ancien commissaire européen qui propose, je précise pour nos auditeurs, d’avoir un paquet commun de 800 milliards d’euros par an, pour pouvoir précisément que l’Europe puisse défendre ses industries.
Jacquadit : L’argent existe, on a les bras mais on n’a pas la tête.
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Bon, on arrête là un instant. Ensuite, Latrous évoque l’augmentation possible des droits de douane sur les produits européens qui entrent aux USA, soit 20 %, une grosse taxe, et la dérégulation sur le sol américain pour attirer les entrepreneurs. Un programme à la fois protectionniste et attractif fait pour baisser la dépendance à la Chine et dans une moindre mesure à l’UE. Mais pour cela, l’Amérique doit réussir à rapatrier une partie de sa production industrielle partie en Asie depuis 1972, et surtout, faire en sorte que les produits nationaux, fabriqués et vendus aux States par des ouvriers bien payés, ne soient pas hors de prix pour le consommateur américain... On sait par exemple que Walmart, le premier employeur du pays, est en quelque sorte le comptoir de vente de la Chine aux États-Unis.
Latrous a l’air de connaître son sujet, mais pas tant que ça : quand on sait que Jacquadit a été le chantre de toutes les dérégulations en France depuis l’ère Sarkozy, avec ses 300 propositions qui sont de l’uberisation avant l’heure, on se dit que le mec n’a pas peur du parjure. Heureusement qu’il n’est pas aux USA mais en France, pas devant une commission sénatoriale féroce mais devant une journaliste de BFM TV qui n’a pas de mémoire, ou pas de connaissances.
Quant aux élucubrations sur les complotistes et la démocratie qui n’existera plus sous Trump... On rappelle à ce socialiste-banquier qu’il a été de tous les gouvernements ou presque depuis 40 ans, en qualité de conseiller, évitant les coups en n’étant pas ministre, évitant aussi la réprobation populaire, c’est plus sage, hein.
Jacquadit était par exemple conseiller de Mitterrand en 1981 lorsque les socialistes avaient tout pouvoir, sur la Chambre et bien sûr à Matignon et l’Élysée. A-t-il parlé de fin de la démocratie à l’époque ? Plus près de nous, le PS, encore lui, avait toutes les cartes en main en 2012 sous Hollande, un autre poulain d’Attali, avec en prime le Sénat. Bref, Jacquadit nous prend pour des cons.
La suite, c’est le cas allemand, avec son recul industriel, mais Jacquadit n’aborde pas la question énergétique russe – donc les sanctions suicidaires de l’Occident – et la responsabilité de Biden, évidemment, dans la guerre contre l’UE. Attali craint sans le dire un réveil nationaliste allemand, qui se profile aux élections de mars 2025, surtout avec la crise en cours. Un schéma à la 1929-1933. La solution, pour Jacquadit, c’est d’appliquer le rapport Draghi, soit le rapport Attali mais à l’échelle européenne.
Le moment rigolade, c’est quand Latrous propose que Macron incarne la résistance européenne à l’Amérique de Trump... Là, sa note est passée brutalement sous la moyenne. Vous êtes bien sur BFM TV, vous pouvez couper votre machine à désinformer.