Egalité et Réconciliation
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Pompiers, rentabilité, danger

Le 12 octobre 2013, devant 1 500 pompiers de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) réunis à Chambéry, le président François Hollande, dans le cadre de sa politique de petits cadeaux en vue des municipales 2014, s’engage à améliorer les conditions de vie des pompiers volontaires en favorisant leur accès aux logements sociaux à proximité des casernes, en revalorisant leur vacation, et en leur accordant plus de médailles. Officiellement, il s’agit enrayer l’érosion des vocations : moins 12 000 volontaires en 9 ans, principalement en milieu rural. Certes, en temps de crise, les patrons lâchent moins facilement leurs employés pour des interventions en journée (6 par mois en moyenne) ou des gardes de 12 heures (une par semaine maximum). Mais quand on creuse ce complexe dossier, on comprend qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus calculé. Et politique.

 

 

Une rentabilité forcée

Alors qu’il y a moins de pompiers aujourd’hui qu’il y a 100 ans, «  le nombre de catastrophes naturelles ne cesse d’augmenter. Jadis, il s’en recensait une ou deux par an. Aujourd’hui, c’est cinq ou six, et les leçons ne sont pas tirées. On est toujours sur le terrain du curatif » (Richard Vignon, président de la FNSPF, Le Monde du 28/12/2003, année de canicule puis de déluges).

La France compte 7 300 casernes rassemblant 252 000 pompiers, dont 79 % de volontaires, soit 195 000 hommes dévoués qui font 10 ans de service en moyenne, en 2 engagements de 5 ans. Le reste se partage en 40 000 professionnels et 12 000 militaires, ces derniers officiant à Marseille et Toulon (le Bataillon des marins-pompiers), mais surtout à Paris et Région parisienne (93, 92 et 94), région au statut spécial. Les sapeurs-pompiers volontaires (SPV) assurent 70 % des 11 000 sorties quotidiennes, quand ils le peuvent, partout sauf dans les grandes villes du pays. Car qui dit grande ville, dit gros matériel (plus de 4000 FPT, fourgon pompe-tonne, à 140 000 €, ou les EPSA, les « grande échelle », à 460 000 €), spécialisation pointue (risque NBC, GELD/incendies en tunnel, GRIMP/interventions en milieu périlleux, ou GMSP en montagne) et donc haute responsabilité, qui échoit aux sapeurs-pompiers professionnels (SPP).

Un reportage diffusé dans l’émission La voix est libre sur France 3 le 26 novembre 2011 montre le quotidien des pompiers de l’Ain : on en voit trois arriver en trente minutes sur site au lieu des six minutes théoriques. C’est-à-dire l’acceptation de départs décalés et en sous-effectifs, avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la sécurité. Selon le colonel Bernard Romatif du SDIS de l’Ain (service départemental d’incendie et de secours), donc pas vraiment un bolchevique, il manque 100 SPP et 1 000 SPV aux côtés des 2 500 du département ! Une majorité de volontaires, peu disponibles en journée, dans un département peu urbanisé, plombés par la diminution des budgets globaux et le non-renouvellement du matériel (parfois bloqué pendant deux ans pour faire des économies, et subissant de logiques pannes) décidé par les SDIS, impacte la « qualité service ».

Les SPV, malgré leurs 160 à 270 heures de formation, ne possèdent pas l’expérience des pros, qui bénéficient eux de 4 mois et demi, sans compter les stages et formations spécialisées (40 heures par an). On peut donc dire qu’il y a un pompier des villes et un pompier des champs.

Lorsque survient un accident complexe, du type usine chimique en feu, les SPV, même s’ils sont présents les premiers sur les lieux, en moyenne en 7 minutes (en réalité en 12 minutes maximum depuis la fermeture de 571 casernes rurales en 5 ans), appellent souvent en renfort un véhicule constitué de SPP. C’est le SDIS qui coordonne les 10 à 12 000 interventions quotidiennes de ces messieurs… dont 13 % de femmes. Les femmes, on reviendra dessus, mais pas pour parler des (heureusement rares) cas de viols ou parties fines, le sujet ayant déjà été monté en mayonnaise par le magazine Causette en 2012. Avec beaucoup de dégâts et de « restructurations » en interne.

De l’incendie de forêt à l’incendie social

« Nous sommes sollicités pour des chevilles tordues, des transports à l’hôpital et d’autres demandes bien farfelues, telle cette femme affolée par un cafard dans la chambre de sa fille, ou cette autre qui ne parvient pas à éteindre son téléviseur ! Autant de "bobos" qui peuvent nous empêcher d’être là pour un arrêt cardiaque. » (Le porte-parole de la BSPP, Le Monde, 4 octobre 2011)

Rappel : pour un arrêt cardiaque, les secouristes disposent de 5 minutes… Le pompier, qui s’engage en général pour lutter contre le feu, l’aspect prestigieux du métier, fait majoritairement… du secours à la victime, qui a explosé depuis les années 1990 (73 % des sorties en 2011), du fait du vieillissement de la population et de la désertification médicale dans les campagnes. Même si l’incendie (7 % des sorties) ou la catastrophe naturelle peut mobiliser énormément de sapeurs : jusqu’à 50 pour une usine, 500 dans le Var (avec 9 bombardiers d’eau), voire 9 240 sur la côte vendéenne après la tempête Xynthia (50 morts, 9 disparus) !

 

 

« Mercier pour lui c’est des couilles en or, et pour nous, c’est des nouilles encore ! » (Slogan anti-président du SDIS lors de la manifestation lyonnaise du 17 novembre 2011)

Explication : Michel Mercier, le président du Conseil général du Rhône, veut faire passer le délai de 6 minutes accordé aux SPV pour rejoindre leur centre d’intervention à 10 minutes, afin de les inclure davantage dans les interventions. Comprendre mordre sur le territoire des SPP…

Novembre 2011, deux manifestations rassemblant 5 000 sapeurs à Paris (3 novembre) et près de 700 à Lyon (17 novembre) jettent sur la place publique le malaise des pompiers : ceux qui aident les autres ont besoin d’aide ! Le grand public se rend alors compte que risquer sa peau pour sauver celle des autres ne rapporte pas grand-chose et que, globalement, les conditions de travail des pompiers se précarisent dans un environnement qui se détériore : la crise économique dévie leur vocation première. Comme nous le confie un vieux briscard avec 30 ans de métier :

« J’étais rentré chez les pompiers pour le feu… Ce qui n’est pas exaltant c’est d’être confronté à la misère sociale. »

Caillassages de cités, accidents de la route, tentatives de suicide, délires de clochards, chantages de malades… Effectivement, on est plus près de la voiture-balai que de l’incendie de forêt. Sans compter les millions d’appels débiles sur le 18 ou le 112, baptisés « pollutions ». Selon Le Figaro, un tiers des 22 millions d’appels annuels sont inutiles et engorgent les standards téléphoniques. Le vice-président de la FNSPF, Patrick Hertgen, qui siège au bureau de la conférence nationale des SDIS, renommera même les pompiers, de plus en plus sollicités dans les centres urbains, « le service public du dernier recours », palliant même la médecine d’urgence sociale.

Comment rentabiliser en douce

« La ministre du Budget Valérie Pécresse a calculé qu’un fonctionnaire “coûte” en moyenne 1,5 million d’euros, en additionnant ses salaires et sa retraite sur plus de 40 ans de carrière. » (Le Monde, 1er décembre 2011)

Le changement de Sarkozy en Hollande ne changera rien à cette évolution : moins de pompiers avec moins de budget doivent assurer plus d’interventions, la règle des RGPP (révision générale des politiques publiques, c’est-à-dire le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, réforme jugée « brutale » par le député UMP Cornut-Gentille) ajoutant à la tension.

Dans le seul département du Rhône, on est passé de 90 000 sorties d’engins en 1990 à 122 000 en 2010, soit une augmentation de 30 %, avec une réduction de 40 % des effectifs !
Et au niveau national, une inflation de 18 % entre 1996 et 2006, avec 3,8 millions d’interventions annuelles. Les économistes libéraux y verraient un superbe bond de rentabilité. Mais c’est uniquement grâce à la conscience professionnelle des pompiers que ce tour de force est possible. Corde sur laquelle jouent et tirent les responsables politiques.

Déjà, en 1999, Alain Juppé, à l’origine de la départementalisation des unités de secours, transférant le pouvoir des maires aux préfets, avait compris tout l’intérêt de limiter la professionnalisation des pompiers au profit du volontariat, ce qui avait déclenché les grèves de 1999. Cependant, la crise des vocations de volontaires, qui affecte surtout les campagnes, a obligé les pouvoirs publics à embaucher des SPP, qui doivent en outre se spécialiser sur des matériels de plus en plus sophistiqués.
À ce propos, en octobre 2013, devant les congressistes et visiteurs de Chambéry, les nombreuses améliorations technologiques en matière de lutte contre les incendies ont fait fureur. Entre le réseau radio numérique Antares, qui permet d’envoyer des données graphiques en temps réel à tous les responsables de la chaîne de surveillance, en passant par les drones, les caméras à 180° filmant les zones à risques (système Prodalis instauré dans les Landes), et le simulateur de feux de forêt de Valabre, sans oublier le nouveau casque F1FX, plus léger et résistant (et plus cher, 245 €), les 40 000 SPP ont théoriquement de beaux jours de travail devant eux.

Le libéralisme au secours des secouristes

« Ce volontariat, au-delà de sa vertu civique exemplaire, est l’élément central du fonctionnement à moindre coût du service public de sécurité civile. » (Pascal Perrineau, IFRASEC, octobre 2013)

Justement, en conclusion du 120e congrès national des pompiers du 12 octobre 2013, réunissant à Chambéry les représentants de la FNSP (à qui les syndicats CGT, Sud, FSU et Solidaires, disant représenter 40 à 60 % des SPP, refusent la qualité de partenaire d’accord), ainsi que Manuel Valls (le ministre de l’Intérieur est aussi le ministre de la Sécurité civile), le président de la République a calqué ses recommandations sur un document pondu par le « think tank de la sécurité civile » : IFRASEC (ce n’est pas un jeu de mots), l’institut français de sécurité civile. Une vieille connaissance des chantres du libéralisme a été chargé de ce dossier brûlant : Pascal Perrineau, du CEVIPOF, centre de recherches politiques et sociologiques, issu du croisement entre Sciences Po et le CNRS. Pascal est entre autres expert auprès du Conseil de l’Europe et analyste de l’extrême droite...

 

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(Rapport de l’IFRASEC sur le volontariat)

 

« 72 % du potentiel opérationnel de jour et 81 % de nuit sont assurés par les sapeurs‐pompiers volontaires. » (En rouge dans le texte, IFRASEC)

La lecture du dossier est éclairante : ce « réformiste » libéral insiste étonnamment sur la nécessité de conserver ce maillage unique en matière de centres de secours, et de mettre un terme aux fermetures de petites unités (en dessous de 10 SPV) ! Une déclaration d’amour au service public… bon marché. Tout en martelant son intérêt absolu pour la vocation, le sens du sacrifice, bref, le volontariat, une aubaine pour les gouvernements successifs depuis 15 ans, qui font face à la fronde des professionnels. Perrineau ne cache pas qu’économiquement, le gouvernement a intérêt à appuyer le développement du volontariat, malgré le flou juridique franco-européen en matière de droit du travail sur le sujet. Hollande reprendra très exactement tous les points cruciaux du rapport. En mettant sous le tapis la fronde des SPP, qui, eux, coûtent cher. En effet, sur les 4,8 milliards de budget de la sécurité civile (soit 80 € par Français et par an, moins que la redevance télé), les SPV ne pèsent « que » 517 millions, pour 67 % des interventions…
Archi rentables, les volontaires. De là à caillasser les pros, il n’y a qu’un pas ?

Caillasseurs d’en bas, caillasseurs d’en haut

Trois pompiers sont agressés dans une cité de Toulouse. Réaction du colonel Patrick Toufflet, directeur du SDIS de Haute-Garonne : « Mettez-vous à leur place : vous venez aider, et vous prenez un coup de pied dans la tête. » (Le Monde, 15 août 2013)

L’aspect nouveau du métier, depuis les micro-émeutes des années 90, jusqu’au grand feu d’artifice sarkozyste de novembre 2005, ce sont les violences urbaines. La paupérisation du pays n’arrangeant rien. Ce dernier rempart de service public gratuit fonctionne 24 heures sur 24 : « On répond à beaucoup de détresse, comme la personne âgée qui tombe chez elle la nuit », nous dit un pro. Sans oublier les boules de pétanque qui tombent des fenêtres des cités, incidents à propos desquels les sapeurs reçoivent une formation, avec ordre de ne pas « répondre » aux provocations.

«  Quand j’ai commencé ma carrière il y a 30 ans on était protégés dans les cités par les grands frères parce qu’il y avait une espèce de respect de l’uniforme », précise le lieutenant-colonel Serge Hérard, président d’Avenir Secours, le 1er syndicat d’officiers.

Pierre (prénom modifié), SPP :

« Pour moi ici [en province] c’est de la rigolade avec ce que j’ai connu là-haut, la cité de la Caravelle à Saint-Denis, la cité du Luth à Gennevilliers. Leur langage c’était “nique ta mère”, moi je faisais pas attention je répondais pas, et y avait pas de surenchère. Chez nous y en a qui jouaient les héros et qui les bousculaient un petit peu… Après, c’était une escalade, les feux de vide-ordures... On était certains que la nuit on sortait. On était 5 ou 8 sur intervention et il y en a 50 qui arrivaient autour. À l’époque la police pouvait entrer, c’était avant 91, avant les premiers caillassages. Maintenant elle peut venir, mais ça peut faire qu’envenimer les choses. En 2005 il fallait venir quand même pendant les émeutes. »

Yvan (prénom changé), SPP syndiqué : « Il faut faire le job car il n’y a pas de zone de non-droit. » Même si parfois répondre démange certains jeunes sapeurs. Assimilés à des représentants de l’État, comme les gendarmes ou les policiers, les pompiers ne bénéficient plus des NBI (nouvelles bonifications indiciaires) que connaissent d’autres fonctionnaires des zones urbaines sensibles, comme les gardiens de piscine ou de HLM. Prime qui a été retirée en juillet 2006, par décret.

« Sarkozy, ça suffit, nous on risque notre vie ! » (Slogan de la manif des pompiers le 25 septembre 2006 à Paris)

Le corps des pompiers souffre donc, au-delà de l’opposition pros/volontaires que les pouvoirs publics ne manquent pas d’exploiter (leurs fonctions étant globalement complémentaires, géographiquement et techniquement), d’un manque de reconnaissance du politique – Claude Guéant avait refusé de recevoir la délégation des représentants de grévistes en 2011 – et d’une dégradation de leurs conditions de travail dans un environnement social de plus en plus dur.

Un courage mal récompensé

Question légitime d’un SPP :

« C’est pas la misère des délinquants c’est la misère des pauvres gens… Quand vous intervenez pour la misère sociale au quotidien, comment assister une population en détresse quand vous sapeur-pompier êtes déjà dans une situation précaire du fait de la réforme de la filière ? »

La rémunération des pompiers, c’est déjà un malaise : de 1 398 € brut pour un sapeur 2e classe (2 100 avec 15 ans d’ancienneté), jusqu’à 4 079 € brut pour un colonel. Qu’ils agrémentent d’indemnités de responsabilité ou de spécialité, sans oublier le logement par nécessité de service. Un régime indemnitaire qui peut apporter un bonus de 50 % aux SPP… en milieu de carrière. S’ils reconnaissent eux-mêmes qu’il ne peut y avoir 200 000 pros en France, les SPP ont découvert le 20 avril 2012 les charmes de leur nouvelle grille indiciaire. En 2001, la réforme de la filière permettait à tous de pouvoir passer sous-officiers, un alignement par rapport à la fonction publique territoriale (FPT). La montée en grade des échelons ayant été remplacée par les concours (carrière plus rapide) et les examens (la voie plus lente, par le choix hiérarchique). Les fameuses grilles indiciaires paraissant attractives (grâce aux grades), mais au prix de la disparition de primes spécifiques.

 

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(Rapport de l’IFRASEC sur le volontariat)

 

« Depuis février 2009, cent pompiers professionnels partis à la retraite n’ont pas été remplacés, et aucune embauche n’est prévue avant 2013. Cette politique généralise la précarité. Des pompiers volontaires occupent des postes de pompiers professionnels, c’est une atteinte grave à notre statut. » (L’intersyndicale des SPP de Lyon, 06 décembre 2010)

C’est bien le politique qui transforme doucement, à l’image des titulaires de La Poste remplacés par des contrats privés, des postes de SPP en SPV, moins chers, mais moins formés. Les volontaires touchent une vacation non-imposable, et peuvent effectuer jusqu’à 600 heures de gardes postées par an, soit une par semaine. Une garde payée 35 à 75 % de la vacation en journée, 100 % le dimanche, et jusqu’à 200 % la nuit. Justement, le président Hollande vient de leur offrir un cadeau royal : les officiers volontaires émargent à 11,31 € de l’heure (augmentés à 11,43 € le 1er janvier 2014), les sous-officiers à 9,12 € (puis 9,21 €), les caporaux à 8,08 € (puis 8,16 €), et enfin les sapeurs à 7,52 € (puis 7,60 €), sans oublier les bonus de 50 % le dimanche et 100 % la nuit. Pour les gardes, 9 % de la vacation en cas d’astreinte à domicile et pour les formations, 50 à 75 %. Une sorte de flexisécurité avant l’heure.

Payés en grades et médailles

Pro ou volontaire, vous l’aurez compris, on ne devient pas pompier par amour de l’argent. Et même si un SPP engrange un maximum d’indemnités et de primes (issus de l’article 117), il ne peut compter que sur une montée en grade lente et soumise à conditions… hiérarchiques, par le système des remarques sur les notations, qu’il contresigne.

 

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(Rapport de l’IFRASEC sur le volontariat)

 

Les SPV, depuis la nouvelle modernisation de la filière de septembre 2012, peuvent devenir SPP 2e classe sans concours, un accès « limité et encadré », mais doivent toujours justifier de 3 ans d’ancienneté, une garantie de qualité. Les autorités font miroiter une professionnalisation qui en réalité ne concerne que 0,5 % du personnel volontaire, soit 1 000 postes environ.
Concours qui a été, sous pression des syndicats, rétabli pour les pros, ce qui n’est pas du goût des jeunes SPP :

« Ceux qui demandent à ce qu’il y ait des concours n’en ont pas passés. Eux ils sont passés sergents en temps et en heure sans concours mais par contre ferment les portes derrière… »

Passer caporal prend désormais 5 ans, sergent 15 ans (au lieu de 8), et 20 ans minimum pour passer adjudant.

Un vieux briscard :

« Ces dernières années on a encensé les volontaires au maximum et on a mis dans la presse que les pros étaient contre les volontaires. Le problème n’est pas les volontaires, mais la précarisation du métier. »

Petite perversité du système : certains SPP mettent un terme à 15 ans de carrière pour continuer en… SPV, tandis que de nombreux SPP viennent du volontariat, et que d’autres sont à la fois SPP et SPV ! Rarement pour l’argent, la plupart du temps par amour du métier. Toujours est-il qu’on voit de plus en plus de SPP compléter leurs maigres revenus officiels par un second travail au noir : bâtiment, restauration, sécurité…
Cette pression sur les rémunérations réelles s’est alourdie d’une pression sur la « compétitivité » des pompiers, qu’ils soient pros ou volontaires, réunis dans la même galère : plus de sorties avec moins de personnels. Si l’on n’a pas encore atteint le point de rupture, c’est surtout, au-delà du sens du sacrifice de ce corps remarquable, grâce à une gestion informatique à flux tendu des interventions entre casernes voisines. Pour exemple, avant 1982, les pros travaillaient toujours à trois. Paris, qui fait office de laboratoire national avec sa Brigade, a testé le binôme (pendant vingt ans !), qui a ensuite été généralisé à toute la France à partir des années 2000. Idem pour le matériel : si les dix ans de tests sont concluants, on retrouve l’innovation partout.

Le briscard :

« Ils embauchent pas, et ils font venir des sapeurs pompiers volontaires en masse en garde postée de 12 heures, de nuit ou de jour, ce qui fait des emplois de professionnels supprimés... On prend ceux qui coûtent le moins cher. Mais le problème, c’est qu’ils n’ont pas de notion du temps de travail. »

 

La caserne, c’était mieux avant

Au niveau de la caserne, la restriction budgétaire a fragilisé la sécurité, sans que le public ne s’en aperçoive, sauf en cas de manifestation… préventive. Voici le descriptif que nous fait un pro des effectifs en hommes et matériels de sa caserne urbaine. C’est un peu technique, mais c’est la réalité :

« On a une première équipe avec 2 personnes dont le chef de garde, ils partent à la VLR (véhicule liaison radio), véhicule de commandement avec un conducteur. Un groupe de 3 personnes avec un chef, sergent ou adjudant, conducteur et équipier. Un groupe de 3, et un équipier. Un groupe de 3 qui dessert l’échelle, et au mieux un dernier groupe de 3 mais ça c’est pas souvent, avec chef-conducteur-équipier, c’est le FPT, le fourgon pompe-tonne, destiné aux feux. Ces deux groupes de 4 sont dédiés en premier au VSAV (véhicule de secours et d’assistance aux victimes), eux sont en ambulance, VSAv1 et VSAv2 toute la journée ils ramassent, tac tac tac ! »

« Après, si jamais il y a un FPT qui sonne, il y a un des 2 groupes de 3 qui décroche et part avec eux en VSAV et VID (véhicule d’interventions diverses). Donc si ça sonne à “départ lourd”, il reste à la caserne 4 mecs, et si une ambulance part en centre-ville, il n’y a plus personne ! L’officier de garde est là mais… il n’y en a pas toujours. Si ça sonne “FPT échelle”, il reste 2 mecs qui ne peuvent rien faire ! Et la nuit des fois tu enlèves ces 2 derniers, soit 9 de garde seulement pour un secteur d’autoroutes et d’usines. Les renforts de volontaires ? On ne peut pas compter sur eux car globalement la journée ils sont au boulot. Nous des fois il nous manque un groupe, et ça, c’est au mieux ! »

Et avant ?

« Avant les gars étaient affectés à un engin. Tu avais un groupe VSAV complet, un second groupe VSAV complet, un groupe échelle, un groupe FPT de 6, et un autre groupe FPTGP de 6. »

Et au niveau matériel ?

« Au niveau matériel c’est bien mais au niveau humain ça a baissé : on n’a pas assez de monde pour remplir le camion, donc on fait un peu tout. Il suffit qu’on sonne un départ lourd, plus une spécialité qui chez nous est GELD (groupe d’exploration longue durée), ceux qui sont intervenus sous le tunnel du Mont Blanc, eux partent à 4 mais il leur faut un FPT de soutien… En fait tout le monde part ! Et à ce moment-là il ne reste que l’échelle, en place. »

La gestion risquée de la sécurité civile

Un SPP :

« Nous si on voulait vraiment faire la grève du zèle à respecter les consignes de sécurité, on appellerait systématiquement des renforts. »

La force du SDIS, pour pallier ce genre de catastrophe potentielle (des secours qui n’arrivent pas faute d’effectifs), c’est la gestion informatique régionalisée des sorties. Lorsqu’une caserne est « à poil », c’est le central qui s’y colle, sinon la caserne 2, ou la 3… Une gestion centralisée au CTA (centre de traitement des alertes) ou au CODIS (centre opérationnel départemental) qui dispose d’un écran avec toutes les feuilles de gardes. Ils sonnent un engin, et si l’ordinateur « voit » que dans la caserne 1 il n’y a personne, il passe à la caserne 2… et élargit le rayon d’intervention au fur et à mesure. Parfois, ce processus peut prendre 15 minutes. Par exemple, les jours de neige, tout fonctionne au ralenti, et tous les effectifs sont décalés. Mais il y a toujours un secteur vide. C’est le jeu des chaises musicales… avec la sécurité du public au bout.

« Il suffit alors d’un départ pour l’aéroport (un crash d’avion tous les deux mois), qui nécessite au bas mot 20 véhicules et tous les effectifs. Dans ce cas, le CTA n’a plus de solution », nous affirme le sous-officier GELD pour son département. Notez que c’est le préfet en personne qui décide des effectifs dans chaque cadre opérationnel, dont les casernes reçoivent le calendrier tous les 15 jours. Comme on le voit, une gestion probabiliste, basée sur des statistiques, et sur le fil du rasoir… Et s’il prend à une caserne de faire une manœuvre de groupe, en mobilisant un véhicule, c’est toute la chaîne d’intervention qui est potentiellement fragilisée. En conséquence, le nombre de sollicitations augmentant pour un personnel plus resserré, les pompiers effectuent moins de manœuvres d’entraînement. Le système impacte la qualité de la formation. Il faut bien trouver une variable d’ajustement.
Sans oublier les départs à la retraite non-remplacés, que les socialistes ont dénoncés sous la droite, sans y toucher une fois au pouvoir. Le problème, c’est que les pompiers ne produisent rien, mais qu’ils sont gérés comme une entreprise. Produire de la « sécurité », ce n’est pas quantifiable. Même Pascal Perrineau le reconnaît. Sauver une vie, ça a quel prix ? Les personnes sauvées par les pompiers comprendront.

Lutte des classes chez les pompiers

Il y a deux failles, plus ou moins ouvertes : volontaires/pros, et sapeurs/officiers. Précision : les grades n’ont pas la même valeur chez les pompiers que chez les militaires, ils sont là plus pour la grille des salaires, les grades s’effaçant devant les fonctions. Ceci étant dit, l’explication (syndicale) du malaise qui a déclenché les manifestations de 2011 est qu’avant, il fallait 8 ans pour passer sergent, maintenant jusqu’à 15 ans de service. Des nominations qui peuvent se faire « au copinage » car les commandants conservent une part des nominations « au choix ». La hiérarchie peut théoriquement faire ce qu’elle veut pour « raison (ou nécessité) de service », qui est injustifiable. Quand un sapeur est muté, c’est pour raison de service. Avant, il pouvait effectuer toute sa carrière dans la même caserne, désormais la direction « remue tout le monde pour casser les noyaux », éviter que les hommes soient soudés, et lutter contre les arrangements (c’est pourquoi les aubergines ne sont pas affectées à un quartier fixe). Effet pervers : en intervention les pompiers se connaissent moins qu’avant.
La hiérarchie reste donc immuable, malgré la sous-officiérisation des sapeurs : jusqu’à major, ce sont des gars qui bossent sur le terrain. Au-dessus, ce sont des administrateurs, opérationnels et financiers. Qui n’ont pas forcément fait du terrain : un futur lieutenant qui sort d’IUT peut se retrouver chef d’agrès « en stage » dans une ambulance, ou en doublure dans un véhicule de commandement, alors qu’il est moins expérimenté que les hommes qu’il dirige… Sauf s’il sort de l’ENSOSP, l’école qui forme les officiers à Aix. Un SPP en grève fin 2011 :

« Ils disent les pompiers sont tous égaux… Et un volontaire rentré en même temps que moi passe sergent avant moi. »

Comme on le voit, il y a de la frustration, à la base.

La tentation de professionnaliser le volontariat

 

Une autre raison de la tension pros/volontaires, c’est le feu. Les volontaires, de par leur répartition géographique, ont un accès privilégié aux incendies. Pendant que les SPV arrosent les pinèdes en flammes, les SPP se tapent la misère sociale et la bobologie en ville, qui vire parfois au grotesque : mal de dos, coupure au doigt, gastro-entérite, inondation de salle de bain ou de femme très seule… Pour aller sur un feu de forêt, le pro doit posséder la formation FDF1 ou 2, et disposer d’un véhicule approprié dans le centre concerné… Ce qui est improbable en centre-ville. Or, selon un SPP, un SPV peut toucher 1 500 à 1 800 € par semaine sur un feu…

Inversement, les volontaires appellent souvent des renforts… professionnels, lorsque l’intervention devient trop technique. D’où le contentieux, symbolisé par le syndicat FNSP, qui représente logiquement une majorité de volontaires, soupçonné de mettre « son grain de sel dans les carrières des pros ». Cerise sur l’incendie, un adjudant volontaire peut commander à des pros ! Les directions, elles, sont accusées de se servir des volontaires pour faire pression sur les pros. Un problème qui ne se posait pas quand les effectifs pros étaient suffisants : avant, on n’appelait jamais de volontaires en renfort sur un secteur pro.

 

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(Rapport de l’IFRASEC sur le volontariat)

 

Un SPP rappelle les conséquences de ce choix politique :

« Ils essayent de mettre de plus en plus de volontaires, mais ont de plus en plus de mal à les recruter, parce qu’on veut qu’ils soient de plus en plus formés. Pour les former autant que nous, il faudrait que les patrons les lâchent plus longtemps, mais c’est la crise… Quand on est pro, sur ton lieu de travail, on est disponible 24 heures sur 24. Alors que les volontaires ils sonnent, au bout de 6 minutes si y a personne à la caserne on sonne une autre caserne, soit 12 minutes plus le temps d’appel… Une fois ça a duré 30 minutes avant que quelqu’un parte. »

Rendre le métier plus attractif pour les volontaires, les intégrer dans les centres urbains, les pousser à se professionnaliser techniquement, et leur donner plus de responsabilités, cela crée des tensions avec les employeurs, et avec les pros. Le risque majeur de l’augmentation de ces sollicitations étant d’accélérer la démotivation des volontaires, qui tiennent rarement plus de 10 ans. Et beaucoup de nouveaux lâchent au bout de 6 mois. C’est ce qu’on appelle l’effet de ciseau.

Après les fractures direction/sapeurs et volontaires/pros, n’oublions pas la fracture anciens/jeunes chez les SPP. Induite par la réforme, qui oblige les jeunes à passer des examens, alors que la progression se faisait à l’ancienneté et plus rapidement pour les anciens. « Les trois-quarts des syndicalistes ne sont pas concernés par la réforme parce qu’ils sont déjà passés adjudants », nous révèle une source… non-syndiquée. Quand la gestion des pompiers est passée de la commune au département (SDIS) en 1999, certains avantages sociaux ont disparu, mais les anciens ont conservé les leurs. Rien n’est simple.

Vocation contre vacation ?

Sans dévaloriser l’esprit de sacrifice et la vocation des volontaires, qui y laissent leurs nuits, leurs week-ends, leurs vacances, et parfois leur vie, ce sont les pros, pourtant minoritaires, qui forment la colonne vertébrale d’un corps des pompiers qui ploie sous des contraintes de plus en plus fortes. Le pro, disponible 24 heures sur 24, formé à des techniques spécialisées, intervient en général en 6 minutes, même si le sénateur et président du SDIS 69 Michel Mercier a voulu faire passer ce délai à 10 minutes fin 2010. Refus des syndicats, qui y ont vu une mise en danger de la population et des sapeurs. Un allongement qui permettrait, selon le colonel Serge Delaigue (directeur du SDIS du Rhône), d’avoir « plus de volontaires disponibles » et d’augmenter ainsi « la qualité des secours ». Une déclaration qui a allumé la mèche.

Sébastien Lambert, secrétaire de la CGT des SPP du 35 :

«   Comme on est confronté à de grandes difficultés sur le terrain, on essaie de nous faire porter un discours anti-volontaires. Mais, eux, ils en ont marre. Dans les faits, on les professionnalise de plus en plus, on leur demande plus de tâches.  »

Le pouvoir politique, par le biais des SDIS, avantage clairement les volontaires. Le discours du président de la République va dans le sens de la « rentabilisation » et d’une « libéralisation » cachée du métier : professionnalisation du volontariat, et précarisation du professionnalisme… Moins de CDI syndiqués, plus de flexibles ? L’objectif présidentiel est de repasser de 195 000 à 200 000 volontaires avant la fin du quinquennat. Et d’en dénicher 5 000 parmi les jeunes, les « représentants de la diversité », les femmes (7 % chez les pros, 20 % chez les volontaires, en lorgnant avec envie sur les 18 % de la gendarmerie), et les services civiques, qui donnent seulement 471 pompiers sur 40 000 !

 

 

Et pour les SPV chômeurs, il existe même un service d’aide à l’emploi ou à la mobilité.
Pour trouver ces 5 000 futurs SPV, les autorités proposent de doubler le quota de Légion d’honneur, d’ouvrir l’accès à la hiérarchie (les SPV représentent 80 % des effectifs et 22 % des officiers), de transformer une partie des 26 600 jeunes sapeurs-pompiers de 11 à 18 ans en volontaires (la moitié des 12-16 ans étant des filles), tout en conservant l’exception française du volontariat malgré la pression européenne. La FNSPF applaudit, la CGT siffle.
Rémy Chabbouh, de l’intersyndicale CGT-Sud-FA-CFDT : « La fédération nationale des sapeurs pompiers qui ne représente en aucun cas les sapeurs pompiers professionnels… ne représente rien du tout pour nous ! » (La voix est libre, France 3)

Contre-attaque de la CGT dans une lettre ouverte au président de la République, le 28 octobre 2013 :

« Ses dirigeants, souvent hauts gradés des sapeurs-pompiers de métier, sous couvert de défendre le volontariat qui subit depuis des années une réelle crise des vocations, instituent sciemment une main-d’œuvre à bas coût. Celle-ci, répondant aux exigences des présidents des SDIS, employeurs publics, dans le cadre de politiques budgétaires toujours plus contraignantes, s’éloignant de fait d’un service public de qualité. Nos collègues sapeurs-pompiers volontaires, salariés, rémunérés moins de 10 euros de l’heure sans cotisations sociales, à qui, certains SDIS imposent la réalisation de gardes opérationnelles postées, masquent le manque d’emplois publics de sapeurs-pompiers professionnels. »

La menace européenne

Décidément, la France est le pays des conflits : après les conflits de classes et de statuts dans le corps des pompiers, le conflit droite/gauche entre syndicats, et le conflit intergénérationnel, voici le conflit France/Europe.

Le risque majeur qui menace le système de secours français vient de l’Europe. Le syndicat FA/SPP (autonome) a déposé une plainte qui a conduit les autorités européennes à imposer pour début 2014 sa directive à la France, qui ne respecte pas pour les SPP la loi des 1 607 heures de travail annuel, heures supplémentaires non-comprises (les SPP effectuant largement le maximum de 47 x 48 = 2 256 heures). Sans oublier l’imposant travail du volontariat. Or, ces temps de travail varient selon les SDIS, selon que les pompiers sont logés ou non en centre d’incendie et de secours (CIS). Le potentiel opérationnel sera donc touché, ainsi que la rémunération des agents. Il s’agit d’aligner définitivement les pompiers, qui font un métier à risques (c’est seulement en juillet 2004 que les députés ont reconnu « le caractère dangereux du métier de sapeur-pompier »), sur les autres fonctionnaires de la FPT (fonction publique territoriale). Sachez qu’en cas de garde de 24 heures, le SPP se voit appliquer un coefficient de minoration (à l’inverse d’un SPV), ce qui est interdit par la directive. Une « réforme » européenne qui contrarie l’État car elle l’oblige à embaucher des SPP, ce qu’il ne veut ou ne peut plus faire. À moins de trouver encore plus de volontaires. Si l’Europe n’interdit pas ce statut un peu trop… français !

Le mutisme des autorités

Un seul officier (un capitaine) était présent lors de la manifestation lyonnaise du 17 novembre 2011. Personne, au ministère de l’Intérieur, à la direction et à la sous-direction des sapeurs-pompiers, à la cellule Communication, au Conseil social, au cabinet du directeur général, à son secrétariat, ni le directeur de cabinet de la Sécurité civile, ou l’officier de communication de la Sécurité civile, ne daignera répondre à nos questions pendant ces grèves. Personne, sauf un haut gradé, représentant le premier syndicat d’officiers, Avenir Secours, qui pèse 60 % de la catégorie.
Selon lui, la refonte de la filière en 2001 était nécessaire, afin de se rapprocher des filières techniques traditionnelles. Occasionnant des changements toujours difficilement acceptés par la base syndiquée, formée de deux parties, parfois antagonistes : les réformistes, et les durs. Depuis 2010, la moitié des organisations syndicales de SPP (comme FO) se sont rapprochées de la FNSPF, sur le protocole d’accord, signé par l’État (en la personne de Claude Guéant). L’autre moitié, représentant les syndicats de SPP plus radicaux, a voulu aller plus loin dans le social, et a refusé la petite avancée. Se retrouvant piégés par leur « stratégie de lutte des classes ». Car ils considèrent les officiers comme des nantis.
« Ils n’acceptent pas le verre à moitié plein. » (Avenir Secours à propos des syndicats durs)

Selon cet officier, les sapeurs de base étaient les grands gagnants de la réforme, avec un volet social pour la « C » (catégorie de fonctionnaires, correspondant aux sapeurs-pompiers non-officiers) plus important que pour la B et la A. Mais ils en voulaient encore plus, avec « trop d’incidences financières ». La frustration des SPP s’est alors cristallisée contre la réforme, en un « amalgame d’insatisfactions »…
Une étude de Force ouvrière montre un pourcentage d’encadrement chez les SPV inférieur à celui des SPP, et pour les deux réunis très inférieur à celui de la FPT (4,5 contre 22 %). La catégorie C est surdimensionnée par rapport à la B, ce qui explique pourquoi les sapeurs de base vont parfois jusqu’à s’encadrer eux-mêmes, sans en avoir la formation.
Ceci confirme la difficulté grandissante du métier, que les officiers admettent, et sa dangerosité, toujours pas reconnue, mais contrebalancée par l’article 117, qui « traduit » cette spécificité en dérogations avantageuses. Les officiers, payés pour « tenir » les hommes d’en bas, subissent les restrictions budgétaires d’en haut. Entre le chien et l’os, ils doivent faire accepter les évolutions de gestion à un effectif professionnel toujours plus pressurisé. Les officiers n’ont donc pas vu les manifestations de 2011 (celles de 2013 étant centrées sur le temps de travail) comme « une grève des sapeurs contre les colonels ». Car malgré toutes ces tensions, grâce à une discipline stricte, le corps des pompiers reste soudé. Heureusement pour nous. Mais pour combien de temps ?

Y a-t-il des pompiers pour sauver les pompiers ?

Les sapeurs, eux, continuent à écoper le navire social qui prend l’eau. Leur saturation ou leur souffrance étaient jusqu’à présent contenues et absorbées en interne, par la solidarité de groupe, ou diluées dans l’action. Désormais, elles s’expriment. Après les feux de voitures en 1999 à Vénissieux, un collectif de sapeurs a tenté d’aller vers les jeunes. Mais cette expérience de formation, avec l’idée que « l’on ne caillasse pas ceux que l’on connaît », n’a pas enthousiasmé les professionnels.
Réaction de l’un d’entre eux :

« Moi, je ne suis pas assistante sociale, notre mission c’est d’assurer des secours d’urgence, pas de nous occuper des enfants des autres ; que les politiques n’attendent pas de nous qu’on fasse leur travail ! »

La réponse choisie devant la violence grandissante lors d’interventions dans les cités, est de s’adapter : on utilise des engins 4x4 à vitres renforcées pour pouvoir franchir les trottoirs et échapper plus rapidement aux caillassages ! Les sapeurs de la Brigade de Paris (qui commence à signer des contrats de réservistes, comme dans la gendarmerie) bénéficient désormais d’une cellule psychologique, dirigée par Nelly Lavillunière, qui déclare au Monde du 15 août 2013 :

« Une plus grande attention est portée aux souffrances psychiques. L’époque où l’on faisait défiler les nouvelles recrues devant les pendus pour les aguerrir est révolue. […] Le taux d’usure professionnelle est important. Je perçois en consultation de la souffrance, un ras-le-bol, un regard négatif sur le monde. Mais pas de perte de sens de leur mission comme chez les enseignants ou les policiers. Il y a peu de suicides parmi les pompiers. »

Quand les suicides de pompiers augmenteront, ce sera le signal qu’on a passé la ligne rouge. En attendant, le libéralisme économique, dangereux quand il est appliqué au service public de la sécurité civile, est peut-être la future catastrophe naturelle.

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23 Commentaires

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  • #730296
    Le 17 février 2014 à 19:22 par Gonzo
    Pompiers, rentabilité, danger

    J’oubliais ma demande concerne le concours SPPNO (non officier). Merci

     

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  • #730300
    Le 17 février 2014 à 19:26 par gubs
    Pompiers, rentabilité, danger

    Chapeau bas pour cet article !! détaillé, rigoureux, du journalisme/ Merci

     

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  • #730344
    Le 17 février 2014 à 20:01 par solaine
    Pompiers, rentabilité, danger

    Mais regardez ! Le président François Hollande fait une quenelle de 50, non de 150 et avec le sourire. Houéééééé !
    En revanche, il ne faut pas que Jaku (le chef de la Licra) voit ça, sinon il ira se plaindre cette fois-ci auprès de Bibi en direct de la maison-mère... là, j’aimerais pas être à la place du président car ça va gueeeuuuler bien foooorrrrt...
    Une chose est sûre, le président François Hollande est un quenellier et il n’a pas fini de nous surprendre. Et ça j’achèèèèèète !
    Quenellement vôtre !

     

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  • #730455
    Le 17 février 2014 à 21:59 par comment..
    Pompiers, rentabilité, danger

    Le niveau des quelques premiers commentaires focalisés sur la quenelle de Hollandie est assez bas.

    L’article met les projecteurs sur un problème grave : la sécurité civile et les pompiers.

    Ces gens sont hautement respectables. Et dans l’ère du High-Phone et des choses faciles à obtenir, on a tendance à l’oublier un peu vite.

    L’administration des SDIS est victime des décisions politiques désastreuses des divers gouvernements qui se sont succédés

    Ils ont voulu faire du zèle en installant ANTARES, et ça a seulement contribué à faire circuler de l’argent

    Il y a une sale ambiance entre SPP et SPV que les pompiers font tout pour cacher

    Il y a même des casernes où certains ne veulent pas aller faire leur garde de SPP

    Certains SPV, quand ils entendent les camions avec des SPP, sont dégoutés parce-que pour des raisons budgétaires(argent), on envoie parfois des pro. faire des interventions qui pourraient être faites par des volontaires en raison de leur plus grande proximité de certains accidents , surtout dans les campagnes où il reste parfois encore des casernes qui n’ont pas encore fermé, mais que l’état aimerait fermer

    La république laïque, est en train de détruire les pompiers, et plus généralement les institutions de France, afin d’envoyer tout cet argent où chacun sait

     

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  • #730531
    Le 17 février 2014 à 23:24 par samuel
    Pompiers, rentabilité, danger

    Impressionnant votre article, vous avez certainement du y passer plus de temps que la plupart de nos médias sur n’importe quel sujet plus illusoirement prioritaire du quotidien ! Cela explique bien des choses sur le malaise des pompiers et encore ils obtiennent bien plus la gratification de la société, que certaines forces de l’ordre tout autant sollicités physiquement et moralement, mais qui se demandent parfois quel est le premier sens de leur devoir pour les banquiers US ou le pays. Comme certainement sur certaines missions aucunement prioritaires pour mieux maintenir la cohésion sociale. A ce propos la pratique suivante chez les pompiers ne pourrait-elle pas mettre la vie d’autrui en danger, déjà au niveau de ceux qui préfèrent fermer les portes derrière, comme dans bon nombre d’autres secteurs de la société malheureusement et cela à tous les niveaux.

    « Ceux qui demandent à ce qu’il y ait des concours n’en ont pas passés. Eux ils sont passés sergents en temps et en heure sans concours mais par contre ferment les portes derrière… »

    Mais c’est normal les bonnes places ne se partagent plus comme jadis chez les artisans, ah tous ces petits sergents et en plus ils sont les premiers à aucunement vouloir renvoyer l’ascenseur ou la grande échelle, mais bon si demain ils manquent de bras ils l’auront bien cherchés, touche pas également à mon Pote comme dirait coluche dans un sketch.

     

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  • #730640
    Le 18 février 2014 à 06:04 par Dani
    Pompiers, rentabilité, danger

    Sauver une vie, ça a quel prix ?
    tout est bien résumé dans cette phrase, bientôt ils devront privilégier les quartiers riche vive l’Europe, vive les lobbies, vive la ploutocratie...

     

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  • #730723
    Le 18 février 2014 à 10:27 par Mars
    Pompiers, rentabilité, danger

    Bonjour à tous,
    Cet article très complet (merci encore toujours ER pour ce boulot incroyable) me fait bondir. Oui, il oublie l’histoire et le sens humain.
    J’ai 6 ans et 4 mois à la Brigade de Sapeur pompier de Paris (incorporé en 1993). En 1998, je rentre dans les volontaires alors en manque dans mon département d’ile de France. En 2008, Je dois quitter les volontaires car je suis mandaté en temps que Maire adjoint jeunesse, sport et sécurité.

    Dès mon arrivé en CPI (centre de première intervention) exclusivement volontaire. Tous ce passé bien. Le SDIS fait pression sur nous pour monter des gardes en centre de secours pro. Ce que certain d’entre nous font. Arrivant la-bas, je vois beaucoup de clivage (gradé et non gradé, pro et volontaire, pompier civil et brigadeux, jeune et vieux pompier). J’ai voulu être pro et j’ai été confronté au magouille des concours. J’ai préféré trouvé un emploi en 24/96 mieux payé que les pros, même si mon cœur saigne. Oui car j’estime qu’il faut avoir du cœur pour faire un bon pompier. Et que, pour moi le meilleur pompier est celui qui lorsque la sirène retenti arrête son activité pour aider les autres (altruisme). Tel, l’agriculteur quittant son tracteur en plein champ pour intervenir sur son voisin pris de malaise dans sa salle de bain.
    C’est bien exemple d’un volontaire que je prends. Car je connais trop bien la mentalité d’un brigadeu, d’un pro et d’un volontaire. Et que dans c’est trois familles ils y a des bons et des mauvais.

    Vous parlez d’argent, parlons en. Quand je vois l’Essonne s’équiper d’une EDIS (Ecole departementale d’incendie et de secours) à prix d’or, pour pouvoir devenir une école nationale. ce que tous les SDIS (service départementale d’incendie et de secours) réfusent. Car ils souhaitent tous formater, oui formater leur pompier a leur politique.
    Quand je vois un pompier pro muté du var en ile de France, a qui on oblige à refaire une formation FDF1 et 2 (Feu de Forêt). Quand je vois un brigadeu qui CEP (conducteur d’engin pompe) à qui on redemande, quand il vient être volontaire, de repasser son CEI (conducteur d’engin incendie) et quand il passe de nouveau pro c’est rebelotte il doit encore repasser son CEI. Sachez vous qui n’êtes pas pompier que toute les formations sont communes et identiques. Les pros et volontaires sont mélangés et effectues les mêmes formations, ensemble.Seul la formation de base qui condensé sur plusieurs mois pour les pros et éclaté pour les volontaires sur plusieurs stages.

     

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    • #730994
      Le Février 2014 à 15:45 par Mars
      Pompiers, rentabilité, danger

      suite

      Et de plus quand on voit le nombre de brigadeux qui intègre le volontariat. Ce texte explique que les pros sont appellés par les volontaire pour parfaire le travail. Stop, Chez les pompiers civiles (pros et volontaires), les volontaires sont bridés dans les spécialités comme les plongeurs, le GRIMP (Groupe de recherche en milieux périlleux, etc...). En effet bon nombre de volontaires sont motivés par spécialités. Mais la kommandantur pro ne le souhaite pas. Je prends comme exemple le volontaire, qui à comme passion l’escalade et qui champion régional ou le passionné de spéléologie. Et ils souhaite tout 2 intégrer le grimp. On va leurs dire que pour le moment il n’y a pas de place (bien oui ils sont volontaires), ou bien qu’ils n’ont pas les prérequis comme le stage SD (sauvetage déblaiement). Bref, ils vont devoirs attendre de pouvoir faire ce stage SD. Un an, deux ans après, ils refont leur demande pour le Grimp. Toujours des réponses identiques, un beau jours parce qu’ils auront bien embêtés leur chef de centre, ils partiront pour faire l’IMP1 (formation d’intervention en millieux périlleux). ce stage IMP1, n’est qu’une sensibilisation. car il faut être IMP2 pour partir en intervention. Et bien c’est 2 volontaire n’auront jamais la possibilité d’aller à l’IMP2 et encore moins à l’IMP3.
      Un autre exemple, Le SDIS souhaite monter une EDIS plus performante sur les exercices de feu. Un volontaire leur explique que lors de ses voyages personnels il a visite un caisson incroyable qui permet de simuler les BACKDRAFT et les FLASHOVER. Les pros intéressaient, lui demande d’intégrer un groupe de réflexion. Lui proposant par la suite de la mise en place de former les pros à ce nouveau dispositif. Lui s’investie à fond dans ce projet, transmets tous les documents, coût financier, rentabilité des risques. Bilan, les officiers pros prennent le dossier. Et le volontaire n’est plus au courant. Et a l’EDIS, il voit juste surgir un beau caisson.
      Allez un dernier exemple pour vous. Un département non équipé d’une équipe de recherche Cynotechnique. Un volontaire ayant un beau malinois qu’il entraine à ses heures perdu. Porpose la mise en place de ce projet. Bref, après beaucoup de travail. Lui aussi sera écarté. Et les pros paraderont en méprisant les volontaires.

      J’arrête la. Je pense que vous l’aurez compris.

      Je remercie ER d’avoir publie mon commentaire. Je ne sais comment remercier ER pour toute la LUMIERE que vous me transmettez. Très amicalement.

       
    • #731832
      Le Février 2014 à 08:50 par mizuno
      Pompiers, rentabilité, danger

      c’est bien dommage, tu n’es pas tombé dans le bon département. preuve encore une fois que l’on est loin d’une mutualisation au niveau national des modes de fonctionnement.

       
  • #730877
    Le 18 février 2014 à 13:49 par Soralien
    Pompiers, rentabilité, danger

    Existe-il un corps de métier de la fonction publique ou il fait encore bon vivre ?
    très bon article , 1398 euros , de qui se moque t-on bordel ?

     

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  • #731223
    Le 18 février 2014 à 19:25 par Fanch
    Pompiers, rentabilité, danger

    Merci pour cet article assez complet, même s’il serait intéressant d’approfondir chacun des thèmes abordés... pour ceux que cela intéresse en tout cas !

    Etant SPV, on se rend compte d’un ressentiement assez paradoxal entre pros et volontaires. Je m’explique. Il est assez rare de voir un volontaire au même niveau opérationnel qu’un pro. D’entrée de jeu, les pros ont des tests physiques plus poussés, des formations plus engagées et la volonté (perverse ?) de "faire mieux" que les volontaires au quotidien. De plus, les SPV n’ont pas tous la possibilité de se former autant que les SPP, par manque de temps simplement : ils ne sont pas pompier à plein temps, il ne faut pas l’oublier. Malgré tout, l’organisation de "cohabitation" SPP/SPV et les diverses situations opérationnelles imposent de travailler ensemble. L’idée serait donc que les pros fassent bénéficier les volontaires de leur expérience afin d’être en mesure de compter parfaitement sur eux à l’instant T. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas...
    On sent bien flotter cette exaspération des SPP de voir de plus en plus de SPV devenir des "prolontaires" (ce qui est tout à fait normal) avides de prendre des gardes et de l’expérience (ce qui est aussi normal) en attendant de passer un concours à 1 poste pour 100 candidats (ce qui est moins normal)...

    Autre constat, les hommes du rang (sapeurs, caporaux et sous-officiers) pointent facilement leurs officiers du doigt, qui ne sont relégués qu’au rang d’administratifs subissant également ces réformes (mais avec des plus gros salaires !).

    Dans tous les cas, officiers ou non, professionnels ou volontaires, l’engagement reste le même : se mettre au service de la population (et faire des gros feux !). Le fait de supprimer des postes de pros ne fait que renforcer ces sentiments d’amertume !

    @ Gonzo : http://www.interieur.gouv.fr/Le-min...

     

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    • #731994
      Le Février 2014 à 12:26 par Muller
      Pompiers, rentabilité, danger

      Bonjour. Bravo pour ton commentaire. il est juste et sans détour. J’étais SPV puis je suis devenu SPP mais avec le double status. Je suis vraiment déçu par mon métier et des valeurs imposé à leur actuelle puisque nous sommes dans de l’économie et pas dans la qualité, l’égalité, la transparence ou encore la mutabilité au sens humain bref non conforme au devoir du service public. Bonne analyse de ta part.

       
  • #734113
    Le 20 février 2014 à 19:25 par jojo
    Pompiers, rentabilité, danger

    C’est un très bel article que vous nous sortez la, bravo.
    Le corps des pompiers est un métier à part, ils ne se plaignent pas de leur situation contrairement aux autres institutions sinistrées de la république et c’est une surprise d’apprendre qu’ils sont dans le même état pour le citoyen lambda.
    C’est scandaleux que notre société en soit à tolérer l’agression d’une équipe de pompiers par manque de solutions pour changer ce type de comportement honteux. Il faut vraiment être un sociopathe en puissance pour agresser un pompier. C’est extrêmement révélateur de la perte de tous types de repères moraux de la société occidentale.
    Bon courage à vous.

     

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