L’académie suédoise a remis le prix Nobel de littérature à l’écrivain Patrick Modiano. Dans son communiqué, l’institution a indiqué l’avoir récompensé pour son « art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».
En effet la plupart de ses romans (une trentaine), depuis le premier La Place de l’étoile (Gallimard, puis Folio) en 1968, jusqu’au dernier, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (Gallimard), en passant par le « goncourisé » , Rue des boutiques obscures (Gallimard, puis Folio), ont pour thème la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement Paris sous l’Occupation.
Fils d’un juif qui aurait versé dans la collaboration avec l’occupant allemand et d’une traductrice à la Continentale (une société de production cinématographique créée en 1940 par Joseph Goebbels), devenue actrice après la guerre, Patrick Modiano, né en 1945, va fréquenter très jeune le Tout-Paris des lettres, où il est introduit par l’écrivain Raymond Queneau, qui est un ami de sa mère. Ce dernier sera d’ailleurs son témoin lors de son mariage avec Dominique Zehrfuss, fille de l’architecte Bernard Zehrfuss (la CNIT à la Défense, l’Unesco à Paris) qui, elle, avait pour témoin André Malraux.
Parrainé par Queneau dans les cocktails donnés par les éditions Gallimard, il publie à 23 ans La Place de l’étoile (Gallimard, 1968). On notera que la version que l’on trouve aujourd’hui en librairie a été largement caviardée au fil de rééditions successives et des passages considérés comme homophobes ou antisionistes ont disparu. Dans l’édition originale, on pouvait par exemple lire ce passage qui a été coupé à partir de l’édition de 1985 :
« Les juifs n’ont pas le monopole du martyre ! On comptait beaucoup d’Auvergnats, de Périgourdins, voire de Bretons, à Auschwitz et à Dachau. Pourquoi nous rebat-il les oreilles avec le malheur juif ? Oublie-t-on le malheur berrichon ? le pathétique poitevin ? le désespoir picard ? »
Traduit en 36 langues, Patrick Modiano est donc considéré comme un dépositaire de la sacro-sainte « mémoire ». Marianne (1er février 1999) résumait parfaitement le rôle objectif de Patrick Modiano :
« Avant les historiens et l’américain Paxton, avant les cinéastes et Shoah, l’œuvre majeure de Claude Lanzmann, avant le travail théorique de Levy (l’idéologie française) et de Finkielkraut (La mémoire vaine), Modiano, grâce à sa littérature, s’est obstiné non pas à nous expliquer, mais à nous raconter. Des histoires. Une histoire. L’Histoire. »
Marqué par Le Mémorial de la déportation des juifs (1978) de Serge Klarsfeld (1978), Modiano va entretenir une correspondance épistolaire avec ce dernier pendant près de vingt ans qui prendra fin à la suite de la publication par Patrick Modiano du roman Dora Bruder (1997). Serge Klarsfeld lui enverra sèchement :
« L’enquête telle que vous la narrez, tient plus du roman que de la réalité, puisque vous m’effacez et Dieu sait pourtant que j’ai œuvré pour découvrir et rassembler des informations sur Dora et vous les communiquer. Comment avez-vous pu me faire disparaître ? »(Le nouvel Observateur du 12/01/2012)
Côté politique, Patrick Modiano ne s’exprime pas beaucoup, même s’il a collaboré discrètement au processus d’immigration massive en France en signant la pétition pour « les sans-papiers de l’église Saint-Bernard » et pour l’abolition du code de la nationalité et l’abrogation des lois Pasqua-Debré en 1996.