Les six mois de calme sur les marchés financiers semblent réussir à faire passer des vessies pour des lanternes. Dans un éditorial du Monde, le quotidien vespéral juge que « la survie de l’euro n’est plus en jeu » et ose même parler de « premiers signes positifs » en Grèce. Une cruelle erreur de jugement.
Un monde parallèle
Il faut vraiment lire ce papier du Monde, pour essayer de comprendre l’état d’esprit et la dégénérescence de la pensée d’une partie des élites. De manière intéressante, le papier commence par évoquer le fait que « la Grèce n’est plus l’épicentre de la crise financière » et qu’une agence a remonté de six crans la note de la Grèce. Au moment où le taux de chômage bat record sur record, il est piquant qu’un journal sensé être progressiste prenne les marchés comme boussole…
Plus fort encore, Le Monde évoque des « premiers signes positifs » pour la Grèce dans le fait que « le pays pourrait renouer avec la croissance en 2014 ». On salue l’emploi du conditionnel car cela fait des années que les prévisions concernant Athènes sont fausses. Celles d’il y a 10 mois, farfelues, ont largement été démenties par les faits. Quel est le poids d’une prévision très aléatoire pour 2014 face à l’augmentation quotidien du chômage et à la violente dépression du pays.
Ré-écrivons l’histoire
Le plus incroyable suit : « le salut des Grecs est bien sûr venu d’eux-mêmes : ils ont subi une purge sans précédent (….) la Grèce ne sortira pas de l’euro, quoi qu’il arrive. (…) M.Draghi a ensuite pu confirmer qu’il soutiendrait sans limite la monnaie unique. Cet été, donc, les Européens ont décidé que les marchés n’auraient pas la peau de l’eau ». Comment ne pas être effaré qu’un journal dit de gauche fasse des cures austéritaires une voie à suivre en citant la Grèce en exemple !
Pourtant, Paul Krugman et Joseph Stiglitz ont démonté la logique mortifère de ces politiques… Ensuite, une simple alternance en Grèce pourrait bien faire tomber cet incroyable château de carte. Il faudrait aussi rappeler au Monde que l’intervention de la BCE est limitée aux titres de faible maturité. Enfin, il est navrant que ce quotidien de référence verse dans la fable que les marchés voudraient la peau de l’euro, victime de ses propres carences, comme l’explique bien Paul Krugman.
Une pause dans la crise
Il est aussi assez incroyable que Le Monde ose proclamer la fin de la crise de la zone euro après tant de sommets qui l’avaient déjà annoncé, pour être démentis quelques semaines plus tard. Certes, les marchés sont calmes depuis six mois, mais c’est sans doute uniquement le signe qu’ils ont été rassurés sur le fait que les politiques européennes continueront à aller dans leur sens. Mais le fragile édifice européen est toujours à la merci d’un vote qui ébranlerait cette tour de Babel.
En outre, il est indécent de prendre le thermomètre de la crise sur les marchés financiers à un moment où les économies de la zone euro sont victimes d’une nouvelle récession, que le chômage s’envole, le pouvoir d’achat baisse, et les systèmes de protection sociale sont démentelés. Ce faisant, les défenseurs de cette Europe démontrent bien où sont leurs priorités, et ce ne sont pas les peuples, assurément. Pourtant, les réalités de l’économie ont toutes les chances de les rattraper.
Difficile de prédire le court de cette crise de la zone euro, loin d’être finie comme Roubini l’affirme. Comme je l’avais annoncé, elle peut durer car les dirigeants en place feront tout pour sauver une création à laquelle ils ont lié leur destin, même s’ils doivent torturer les peuples à cette fin.