L’adhésion palestinienne à la Cour Pénale Internationale (CPI) a mis en branle une série d’événements aux conséquences d’une grande ampleur potentielle, tant pour Israël que pour les Palestiniens.
Al-Araby – Le week-end dernier, le Fatah a posté sur sa page Facebook une image du Premier ministre Netanyahu à côté d’une potence, avec la légende : « Prochainement... », accompagnée des plateaux de la balance qui figure dans le logo de la CPI à La Haye. C’est certainement le destin que beaucoup de Palestiniens souhaitent à Netanyahu pour ces prochains mois.
La semaine dernière Mahmoud Abbas, le Président palestinien, a donc signé non sans réticence la demande d’adhésion au Statut de Rome, pavant la voie pour devenir membre de la CPI, après l’échec du vote au Conseil de Sécurité de l’ONU sur une résolution mettant fin à l’occupation pour 2017.
Mais les loyalistes du Fatah, le parti d’Abbas, risquent d’être déçus. Il y a bien des obstacles à éliminer avant que quiconque en Israël, sans même parler du Premier ministre, ne vienne à la barre de La Haye sous l’accusation de crimes de guerre.
Le premier test concerne les nerfs d’Abbas. Il faut 60 jours pour que la demande d’adhésion à la CPI prenne effet. Entre-temps, Israël et les USA – qui n’ont pas signé le Statut de Rome - exerceront sur lui toute la pression possible pour changer le cours des choses. Au Conseil des ministres de dimanche dernier, Netanyahu a annoncé qu’Israël allait retenir les taxes et droits de douane mensuels qu’il collecte au profit de l’Autorité Palestinienne (AP) d’Abbas et qu’il doit lui reverser [1] .
Vu l’état médiocre des finances de l’AP, c’est une rétorsion qui se fera bientôt ressentir. Abbas a balayé le coup d’un revers de main, masquant son désespoir diplomatique d’un mépris désinvolte : « Maintenant, voilà les sanctions – c’est bien. Il y a escalade – c’est bien … mais nous continuons à avancer » a-t-il dit. Israël menace de rajouter d’autres punitions cette semaine. Ou comme l’exprimait un ancien Ministre des Affaires étrangères : « Israël va passer du mode défense au mode attaque ».
Cela comprend un plan pour impliquer les puissants lobbies israéliens à Washington afin d’assurer le renforcement de la législation prescrivant au Congrès de retenir quelque 400 millions de dollars d’aide à l’AP au cas où les Palestiniens entament réellement à La Haye des actions relatives à des crimes de guerre israéliens.
Israël veut impliquer Abbas
En outre, Israël menace d’avoir recours à sa propre collecte de renseignements, indubitablement colossale, contre Abbas et ses fonctionnaires AP, les impliquant eux aussi dans des crimes de guerre. Israël pourrait tenter de poursuivre des cadres palestiniens, y compris Abbas lui-même, devant les tribunaux US, lesquels dans le passé se sont montrés disposés à soutenir des plaintes anti-palestiniennes en matière de terrorisme.
En septembre, un jury de New York avait sanctionné l’Arab Bank basée en Jordanie pour avoir passé dans les territoires occupés de l’argent caritatif destiné à aider des familles pauvres, arguant que c’était soutenir le « terrorisme ».
Au Conseil des ministres, Netanyahu a mis en garde : « Ceux qui doivent répondre devant une cour criminelle, ce sont les chefs de l’Autorité palestinienne, qui ont conclu une alliance avec les criminels de guerre du Hamas ». Un de ses fonctionnaires notait également qu’ils avaient « pas mal de munitions à utiliser contre Abbas ».
Un analyste israélien, Barak Ravid, a suggéré que l’objectif pourrait consister à créer « un équilibre de la terreur », ranimant le principe de la Guerre froide de destruction mutuelle assurée : « Chaque côté bombarderait l’autre de ses plaintes jusqu’à ce qu’il ne puisse plus respirer ».
Un type d’action que Netanyahu répugnerait à poursuivre à cette occasion est de surajouter des constructions de colonies. Ç’avait été la réponse israélienne en 2012 quand les Palestiniens remportèrent un vote onusien améliorant leur statut. Mais les retombées diplomatiques auraient servi de leçon à Israël, et il ne pointera pas spécialement une extension des colonies comme mesure de rétorsion.
Persuader la Cour Pénale Internationale
L’obstacle suivant sera de persuader la CPI d’ouvrir une enquête sur Israël. Jusqu’à présent, les Palestiniens ont eu peu de succès auprès de la CPI, mais les précédentes allégations de la Cour pour justifier son inertie ne sont plus valides aujourd’hui. Début 2012, la CPI avait abandonné une investigation sur une plainte palestinienne relative à des crimes de guerre commis pendant l’agression israélienne contre Gaza en 2008-2009, au motif que la Palestine n’était pas un État reconnu. Ceci a changé avec le nouveau statut onusien de la Palestine dans le courant de cette même année.
Et en novembre, le procureur de la CPI, Fatou Bensouda, a interrompu une enquête sur un commando israélien contre le bateau d’aide Mavi Marmara qui avait tué neuf militants humanitaires. L’action avait été rendue possible uniquement parce que le bateau était enregistré aux Commores, signataires du Statut de Rome. Bensouda arguait que les morts de militants n’étaient pas « d’une gravité suffisante » pour justifier l’intervention de la CPI.
Mais maintenant – avec un nombre bien plus important d’exemples disponibles en tant que membre de la CPI, y compris l’attaque contre Gaza l’été dernier, qui a tué plus de 500 enfants – les Palestiniens devraient être en mesure de trouver des cas mieux admissibles.
Néanmoins de telles investigations, à supposer qu’elles aient lieu, seront lourdes et longues, en particulier parce qu’Israël sera activement non-coopératif, tout comme il l’a été en bloquant l’accès à Gaza aux enquêteurs de l’ONU sur les crimes de guerre.
Et pendant ce temps, les États-Unis ne vont pas manquer de faire pression en coulisse sur le tribunal de La Haye pour que soient rejetées les plaintes portées par les Palestiniens. On peut s’attendre à ce qu’ils menacent le financement de la CPI et passent à l’épreuve de force, exactement comme l’ont fait les membres du Conseil de Sécurité la semaine passée pour s’assurer qu’une résolution palestinienne visant à mettre fin à l’occupation n’emporte pas la majorité nécessaire.
La nature politique de la CPI ne doit pas être sous-estimée. Jusqu’à présent, ses actions ont ciblé uniquement des dirigeants africains, de ceux considérés comme ennemis des USA et de l’Occident.
Les experts en droit international notent qu’il sera extrêmement difficile pour la CPI de soutenir des actions contre des dirigeants d’un état largement considéré aux États-Unis et en Europe comme une démocratie de style occidental. Cela risquerait notamment d’encourager des comparaisons inconfortables entre le comportement d’Israël et celui des USA et du Royaume-Uni au Moyen-Orient. Si Netanyahu ou Tzipi Livni doivent passer en procès, pourquoi pas Obama ou son prédécesseur George W. Bush ? Les dirigeants étatsuniens sont tout aussi coupables de leur part d’assassinats ciblés par drones ordonnés par Washington au Yémen et au Pakistan ou de leurs programmes d’extraditions et de torture.
L’immunité face aux poursuites
Israël a toutefois de bonnes raisons d’être mécontent.
Que des actions soient finalement intentées contre des Israéliens ou non, la menace de charges de crimes de guerre est susceptible d’agir comme une contrainte, générant une atmosphère de doute, de circonspection et de peur sur le terrain au sein des forces de sécurité israéliennes.
Ce n’est pas une affaire vis-à-vis de laquelle Israël, avec son tropisme militaire de créer la dissuasion en terrifiant ses voisins arabes pour les soumettre, peut se permettre la moindre complaisance. Comme le notait le professeur de droit Aeyal Gross de Tel Aviv, la menace de la CPI est suspendue plus lourdement au-dessus des Israéliens que des Palestiniens. Les combattants palestiniens sont peu enclins à craindre des poursuites de la CPI étant donné « qu’ils risquent déjà d’être assassinés par Israël ou de subir de longues peines de prison s’ils sont capturés. Au contraire, les Israéliens ont joui d’une immunité face à des poursuites pour les actions d’Israël ».
En plus de ce problème, s’il veut être sûr de prévenir une enquête de la CPI, Israël devra démontrer qu’il a mené de façon crédible ses propres investigations et qu’il est prêt à poursuivre ses propres soldats, notamment ses commandants, sur la base de charges graves. Jusqu’à ce jour, même les soldats les plus subalternes ont joui d’une immunité quasi totale pour leurs actions et Israël a refusé de coopérer avec des enquêteurs indépendants.
Quand Israël a annoncé une série d’enquêtes criminelles sur son attaque de Gaza l’été dernier, qui fit plus de 2 000 tués palestiniens, des civils pour la plupart, il a été sévèrement critiqué par des ONG locales défendant les droits de l’homme. Les deux plus respectées d’entre elles, B’Tselem et Yesh Din, ont refusé de coopérer, arguant que ces investigations n’étaient que du « blanchiment ».
Jusqu’ici les autorités israéliennes n’ont fait qu’approuver 13 enquêtes sur les événements de l’été mais la plupart concernent des incidents mineurs ou isolés généralement commis par des soldats débutants. Cinq de ces enquêtes concernent des allégations de pillage : des soldats ayant volé de l’argent ou des biens dans des maisons palestiniennes.
Cela va devoir changer, ne serait-ce que pour sauver les apparences.
De même, les menaces brandies par Netanyahu et par d’autres autorités israéliennes contre Abbas sont à double tranchant. Si les autorités israéliennes ont averti que la demande d’adhésion palestinienne à la CPI va ouvrir une « boîte de Pandore », il se peut bien que tout atteinte contre Abbas et l’AP finisse par ricocher sur Israël. On a longtemps suggéré qu’Abbas conspirait activement avec Israël contre le Hamas – y compris la rumeur qu’il avait été consulté de près lors de l’attaque israélienne sur Gaza en 2008-200. Exposer une telle collaboration pourrait tout simplement aggraver les problèmes d’Israël.
En tout cas affaiblir l’AP – que ce soit en l’impliquant dans des crimes de guerre ou en lui retirant son financement – risque de provoquer sa banqueroute, ce qui obligerait Israël à supporter à nouveau tout le poids des coûts militaires et financiers de l’occupation. C’est pour cette raison que le Département d’État américain a exprimé ce lundi son opposition au refus israélien de rétrocéder les revenus des taxes aux Palestiniens, disant que cela menaçait « la stabilité » de la région.
L’adhésion des Palestiniens au tribunal de La Haye pourrait également servir de signal fort à destination des groupes qui tentent d’utiliser le principe de la juridiction universelle dans leur propre pays, notamment plusieurs pays européens importants qui ont déjà incorporé cette législation. Cela serait même plus souhaitable si jamais il apparaissait que la CPI est soumise à des pressions pour omettre de poursuivre des responsables israéliens. De hauts responsables israéliens n’en craindraient que davantage encore de visiter ces États, par peur d’y être arrêtés...
Et enfin, l’accès des Palestiniens à La Haye influera encore plus sur la bonne volonté des États-Unis, puisqu’ils seront forcés publiquement de sauver Israël des conséquences de ses propres excès militaires, y compris les pires.