J’avais alerté il y a 2 semaines sur ce sujet dans ce billet : Comment le gouvernement s’apprête à baisser la mutuelle santé de 10 millions de salariés.
Je note avec plaisir que le Parisien a aussi bien vu le problème – la journaliste Christine Monin livre ici un papier de haute qualité, avec des sources que je n’avais pas creusées… (c’est ça le contre pouvoir de la presse quand il marche…)
Mais Marisol Touraine, imperturbable, continue par pure idéologie (aucun impact sur les finances publiques) à vouloir baisser la complémentaire santé d’au moins 10 millions de salariés (en espérant que les médecins baisseront alors leurs tarifs !), sans oser s’attaquer au sujet des dépassements d’honoraires des médecins…
Si vous travaillez dans une grande ou moyenne entreprise, qui vous couvre par une mutuelle, vous êtes très certainement concerné : adieu à tout remboursement au delà de 46 € à l’avenir (sécu comprise)…
Pour limiter les dépassements d’honoraires des médecins, le gouvernement s’apprête à plafonner les remboursements des complémentaires santé pour 10 millions de salariés.
C’est une mesure hautement polémique, qui pénalisera 10 millions de patients. Malgré les critiques réitérées de certains députés et l’opposition quasi unanime des professionnels de santé, le gouvernement devrait publier, courant novembre, un décret au contenu explosif. Il prévoit qu’à compter de 2017, les remboursements des dépassements d’honoraires par les complémentaires santé soient plafonnés à 100 % du tarif de la sécurité sociale. Soit 46 euros pour un généraliste ou un spécialiste autorisé à dépasser le prix fixé par l’Assurance-maladie (médecins dits de secteur 2) : 23 euros de tarif conventionnel et 23 euros de dépassement. Seuls les actes effectués par des praticiens ayant signé le contrat d’accès aux soins – un dispositif créé en 2012 qui a convaincu à peine 11 000 d’entre eux – y échapperont.
Les complémentaires qui ne se plieront pas à cette règle seront surtaxées. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, y voit un bon moyen d’améliorer l’accès aux soins : « Les complémentaires trop généreuses finissent par entretenir des honoraires trop élevés », déclarait-elle en mars dernier. Si l’intention est bonne – les dépassements s’élèvent à 2,4 milliards en 2013 –, le principe est alambiqué. « Au lieu de s’attaquer frontalement au problème, le gouvernement reporte la pression sur les patients », analyse Paul Dourgnon, économiste de la santé. « C’est une aberration ! s’exaspère Yan Le Men, de la Chambre syndicale des courtiers d’assurance (CSCA). Non seulement les tarifs des médecins ne baisseront pas, mais les patients devront payer plus ! » Les professionnels du secteur pointent les effets pervers de cette mesure.
1/ Une usine à gaz
La mesure va d’abord complexifier la tâche pour les entreprises : 500 000 d’entre elles devront renégocier leur complémentaire santé dans les trois prochaines années. Sans compter les nouveaux contrats qui seront signés dans le cadre de la généralisation des mutuelles d’entreprise à l’ensemble des salariés. Au total, 10 millions de personnes verront baisser leurs remboursements, dont 5 à 7 millions assez durement. « Les employeurs risquent de réduire les garanties au minimum, explique Yan Le Men. Pour le reste, les collaborateurs se débrouilleront. C’est une marche arrière pour la démocratie sociale dans l’entreprise ! »
2/ Des patients à l’amende
La mesure peut paraître indolore : les dépassements d’honoraires s’élèvent en moyenne à 56 % du tarif de la sécurité sociale, loin du plafond de 100 % fixé par le décret. « Ce n’est pas une contrainte forte », analyse Etienne Caniard, président de la Mutualité française, favorable à un plafonnement plus drastique, à 50 %. Mais ce chiffre masque d’importantes disparités. En Ile-de-France, près de 70 % des gynécologues ou des pédiatres dépassent 46 euros pour une consultation. « Fixer un plafond uniforme sur l’ensemble des contrats n’a aucun sens », pointe Frédéric Bizard, économiste de la santé et enseignant à Sciences-Po. Au ministère, on estime que ce plafond est juste : seuls 12,3 % des patients paieraient des dépassements supérieurs à 100 %.
Mais, selon la Chambre syndicale des courtiers d’assurance, « cette mesure va multiplier par 2,9, en moyenne, ce qui reste à la charge des Français (après les remboursements de la Sécu et de la mutuelle, NDLR). Avec de fortes disparités régionales et par spécialité. » Croire que les patients changeront de médecin parce qu’ils seront moins remboursés est illusoire. La santé n’obéit pas à la seule logique économique. « Pour soigner ses proches, on est prêt à s’endetter », souligne le professeur André Grimaldi, diabétologue à la Pitié-Salpêtrière. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), qui représente les patients, est remonté. « Les plus démunis seront pris en charge par la CMU, les plus aisés pourront payer et les classes moyennes qui vont trinquer »,tempête Christian Saout, son administrateur.
3/ Une médecine à trois vitesses
L’accès aux soins risque encore d’être fragmenté. « Plafonner les remboursements sans limiter les dépassements d’honoraires n’a pas de sens. Le gouvernement est en train de favoriser l’émergence d’une couverture maladie à trois étages. Seuls les très aisés pourront souscrire des surcomplémentaires coûteuses, explique Christian Saout, qui rappelle qu’une mutuelle pour une famille de quatre personnes coûte déjà 100 euros par mois. On est en train de détruire notre système de soins, universel et solidaire ! » « Mieux vaudrait interdire les dépassements d’honoraires trop élevés, reconnaît Etienne Caniard. Et réévaluer les montants remboursés par la sécurité sociale, gelés depuis des années. »
4/ Un système coûteux
Le dispositif ne rapportera rien à la Sécu. Pis, il pourrait même lui coûter. « Les médecins pourraient décider de recevoir certains patients mal remboursés pour moins cher (afin de rester sous le plafond, NDLR), mais plus souvent. Ce qui augmenterait le nombre d’actes remboursés », analyse Frédéric Bizard. Le décret envoie aussi un message négatif aux médecins : « C’est leur dire que les dépassements à 100 % sont normaux », déplore le professeur Grimaldi. « La mesure risque enfin d’augmenter les coûts administratifs des assureurs », ajoute Yan Le Men. Et de se répercuter sur les patients…
Source : Le Parisien Mag, 31 octobre 2014.