Dix soldats français viennent de mourir en Afghanistan, ce qui porte le total des pertes officielles à 26 tués (les pertes réelles sont probablement plus élevées, l’armée française ne communiquant pratiquement pas sur les opérations des forces spéciales). Cette tuerie a brutalement mis sous les feux de l’actualité une guerre jusque là presque oubliée, livrée depuis maintenant sept ans par nos soldats, dans un pays qui n’a historiquement jamais fait partie de notre zone d’influence. Soudain, l’opinion s’est rendu compte que l’armée française livrait bataille, que des milliers de nos soldats étaient engagés, et qu’il s’agissait d’une vraie guerre, qui engendrerait de vraies pertes.
Il n’est donc pas inutile de revenir sur les conditions d’engagement de la France dans ce conflit. Pour adopter la bonne attitude sur le plan politique, il faut en l’occurrence se pencher sur le détail d’un affrontement complexe, à l’égard duquel il faudra nous garder de toute prise de position à l’emporte-pièce.
La raison officielle du conflit en cours est l’asile octroyé par les Talibans à Oussama Ben Laden, asile qu’ils auraient, aux dires des Américains, garanti à l’intéressé y compris après les attentats du 11 septembre. Il semble extrêmement probable que cette raison officielle ne soit qu’un prétexte. Les Talibans ont été soutenus pendant les années 90 par les services spéciaux pakistanais, alors alliés des Américains. Lorsqu’ils s’emparèrent du pays, ce fut avec l’aval tacite des USA. Or, à cette date, les Américains savaient parfaitement que les Talibans, musulmans sunnites fondamentalistes, financés par les réseaux salafistes saoudiens, entretenaient des liens étroits avec la nébuleuse Al-Kaïda. On a du mal à croire que les services américains, après avoir financé et soutenu un mouvement qui se revendiquait ouvertement du Jihad anti-occidental, aient brutalement découvert, le 11 septembre 2001, le caractère anti-américain de ce mouvement. Ce scénario paraît tout simplement absurde.
En réalité, le scénario le plus crédible ramène le conflit aux véritables enjeux stratégiques de la région : à savoir principalement le pétrole (37 % de l’énergie utilisée dans le monde) du Moyen Orient (60 % des réserves mondiales prouvées), et secondairement le gaz naturel (24 % de l’énergie utilisée dans le monde) d’Asie Centrale (15 % des réserves mondiales prouvées) et, à nouveau, du Moyen Orient (35 %). L’Afghanistan est frontalier du Turkménistan et de l’Ouzbékistan (12 % des réserves mondiales de gaz naturel), et de l’’Iran, position clef pour assurer le contrôle des réserves énergétiques du Golfe Persique par l’Occident. L’Afghanistan est donc, pour les USA, une case centrale du « grand échiquier » eurasiatique. Contrôler l’Afghanistan, c’est indirectement contrôler, ou en tout cas se mettre en mesure de contrôler, environ 60 % des réserves mondiales d’hydrocarbure, et partant, à peu près 35 % de l’énergie disponible dans le monde, sur la base des consommations énergétiques actuelles. C’est un levier stratégique formidable – le seul, à vrai dire, sur lequel l’empire US puisse espérer jouer, dans les deux décennies qui viennent, pour freiner la montée en puissance de la Chine, et ainsi éviter de perdre à long terme le leadership mondial.
Au regard de ces enjeux, pour comprendre le conflit afghan, il faut remonter à la fin des années 90. Après l’effondrement de l’URSS, les compagnies pétrolières américaines acquièrent environ 75 % des droits d’exploitation sur les gisements pétrolifères et gaziers des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Pour acheminer ce gaz et ce pétrole d’Asie Centrale, les Américains soutiennent un mouvement qu’ils espèrent instrumentaliser : les Talibans, qui prennent le pouvoir à Kaboul. Le soutien américain est indirect, mais la CIA envisage d’aller plus loin. En 1997, l’US army entreprend des exercices communs avec la toute jeune armée ouzbek : le thème en est une intervention commune dans le nord de l’Afghanistan, territoire principalement tadjik, alors en rébellion contre les Talibans pachtouns, que soutient le régime d’Islamabad, à l’époque totalement inféodé aux USA. En 1998, la compagnie américaine Unocal entre en négociation avec le tout jeune régime taliban : il s’agit de tracer un oléoduc partant du Turkménistan et débouchant, via l’Afghanistan et le Pakistan, sur l’océan indien. Ce tracé présente, aux yeux des Américains, l’avantage de contourner l’Iran et la Russie, deux puissances bien décidées à ne pas se laisser inféoder aux seuls intérêts américains. Au début de 1998, on peut croire que l’Amérique va réussir à coloniser l’Asie centrale, parachevant un plan qui lui donne la maîtrise du destin énergétique de la planète.
C’est alors que surviennent les attentats anti-américains au Kenya et en Tanzanie, attentats attribués à Oussama Ben Laden. Les USA exigent des Talibans qu’ils leur livrent Ben Laden : ceux-ci refusent. Dès lors, les négociations piétinent, et le projet d’oléoduc via l’Afghanistan semble devoir être abandonné. Deux thèses sont soutenables concernant ces évènements : dans une première thèse, Ben Laden lance les attentats avant le blocage des négociations entre USA et Talibans, et dans cette thèse, il est utilisé par les réseaux saoudiens, lesquels veulent empêcher les USA de se dégager de leur dépendance pétrolière à l’égard des pétromonarchies du Golfe. Dans une deuxième thèse, Ben Laden lance les attentats après que les négociations USA/Talibans soient entrées en phase critique, auquel cas il est probablement utilisé par la CIA pour construire une stratégie de la tension devant soit faire plier le régime taliban, soit permettre son remplacement manu militari. A ce stade, il est impossible de savoir laquelle de ces deux thèses est la bonne. Peut-être aurons-nous un jour le fin mot de l’histoire, quand les dossiers de la CIA s’ouvriront. Au reste, une thèse composite est envisageable : étant donné les liens entre la famille Bush et les milieux dirigeants saoudiens, il n’est pas exclu qu’une partie de l’oligarchie américaine ait joué en l’occurrence contre son camp.
Quoi qu’il en soit, dès 1999, les USA entament une campagne de déstabilisation visant le régime taliban. Les anciens alliés se déchirent, et la CIA, après avoir financé les Talibans via le régime pakistanais, cherche à leur substituer un gouvernement fantoche plus docile.
Survient le 11 septembre 2001 : c’est l’occasion que les Américains cherchaient pour occuper militairement le Moyen-Orient, et réaliser ainsi le « coup du berger » qui, avant même que ne commence vraiment la partie d’Echecs, leur permettra de mater la Chine. En novembre-décembre 2001, le régime taliban est défait militairement. Profitant de la diversité ethnique afghane, les Américains soutiennent à présent l’Alliance du Nord, un regroupement de chefs tribaux principalement tadjiks, farouchement opposés aux Talibans, principalement pachtouns. Il n’est pas inintéressant de noter à ce propos que deux jours avant les attentats du 11 septembre, un commando a assassiné en Afghanistan le commandant Massoud, principal leader de la résistance à l’occupation soviétique et dans l’ensemble soutenu par les européens.
Le déroulement chronologique de l’opération Enduring freedom (invasion de l’Afghanistan) confirme que cette action est d’abord une entreprise américano-britannique, dont les européens sont plutôt tenus à l’écart – ce qui n’est pas le cas de toutes les puissances. L’Inde et la Russie sont indirectement parties prenantes. L’Inde, parce qu’elle a intérêt à réduire l’influence pakistanaise en Afghanistan pour détourner Islamabad du front du Cachemire, fournit du renseignement. La Russie, sans laquelle rien ne peut se faire en Asie centrale, est alors au bord du krach financier intégral : sans doute son appui à la présence américaine en Ouzbékistan constitue-t-il une monnaie d’échange.
Il faut rappeler ici qu’à la différence de l’invasion de l’Irak deux ans plus tard, Enduring freedom s’inscrit dans le cadre du multilatéralisme, officiellement du moins. Dans la foulée des attentats du 11 septembre, l’ONU vote une résolution condamnant le régime taliban. La France ne s’y oppose pas, une opposition frontale étant, à ce moment-là, difficilement envisageable – d’une part parce que l’émotion provoquée par le 11 septembre la rendrait difficilement justifiable, d’autre part parce que le régime taliban est objectivement indéfendable. Mais notre pays va jouer, dans l’affaire afghane, une partition étrange, qu’il convient de bien analyser pour saisir toutes les ambiguïtés de la présence française à Kaboul.
La participation française à l’opération Enduring freedom n’est, semble-t-il, au départ pas souhaitée par les Américains. Ceux-ci ne font en tout cas rien pour la favoriser. Les troupes françaises doivent intervenir dans des conditions rocambolesques, à travers l’Ouzbékistan (ce qui n’a pas pu être possible sans le feu vert de Moscou). Cette intervention a semble-t-il pris de court les Américains, qui ne la croyaient pas possible.
Ici, plusieurs interprétations sont possibles. On peut supposer qu’une partie de l’appareil d’Etat français, pro-Américain, a milité pour une participation directe de la France, intégrée dans la coalition américano-britannique. Mais il est aussi possible, et même probable, qu’une autre partie de l’appareil d’Etat, gaulliste par tradition, a vu dans la participation française un moyen d’interférer avec la politique américaine en Asie centrale, et ainsi d’empêcher la mainmise complète des Américains sur la région. En somme, on peut se demander qui la France est allé combattre en Afghanistan, au départ.
Comment savoir ? C’est un jeu extraordinairement complexe qui se joue là-bas, un jeu dans lequel se superposent des conflits ethniques locaux (pachtouns/tadjiks), des affrontements nationaux entre puissances moyennes désireuses de s’imposer régionalement (Pakistan/Inde/Russie) et l’affrontement mondialisé entre les USA, leurs alliés plus ou moins fiables et bien sûr, en arrière-plan, la Chine (qui a une frontière commune avec l’Afghanistan). On nous a vendu la guerre d’Afghanistan comme un western à la John Ford, avec un scénario bien huilé où les méchants oppriment les gentils et dans lequel la cavalerie vient au secours des opprimés. Mais en réalité, il s’agit d’un western à la Sergio Leone, un film brutal, construit sur l’affrontement entre des antihéros cupides et cyniques – un de ces films où il n’y a pas de bons, rien que des brutes et des truands.
*
Depuis 2001, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Plusieurs évènements sont survenus, qui ont changé la donne sur le terrain, à l’échelle régionale, à l’échelle mondiale, et aussi en France.
Sur le terrain, on a confirmation du caractère décidément incontrôlable de l’Afghanistan. Ce pays retardataire est d’une certaine manière impossible à occuper, parce qu’un occupant ne peut s’imposer qu’en contrôlant ou détruisant les infrastructures – or, il n’y a pas d’infrastructures en Afghanistan (raison pour laquelle les forces de la coalition se retrouvent dans la situation inédite d’un occupant qui développe le pays dominé, un développement préalable étant le seul moyen de rendre le pays contrôlable).
Les USA se retrouvent avec sur les bras un petit Vietnam, et par certains côtés, leur mésaventure n’est pas sans évoquer les problèmes rencontrés, il y a un quart de siècle, par l’occupant soviétique. Certes, les rebelles ne peuvent pas gagner. Mais comme il est impossible de les défaire, les USA se retrouvent dans la situation d’un joueur qui a misé beaucoup pour contrôler une case, et qui se rend compte qu’elle va lui coûter très cher à occuper – plus cher, même, qu’elle ne lui rapportera. L’objectif des Américains, en déstabilisant la région, était probablement de susciter de multiples petits foyers de conflit justifiant le maintien permanent de bases militaires encerclant la Russie, verrouillant l’accès aux ressources stratégiques convoitées par la Chine, utiles éventuellement pour frapper l’Iran. Encore faut-il, pour que cette stratégie soit rentable, que le terrain soit effectivement contrôlé, et que le coût de la présence militaire n’excède pas les bénéfices stratégiques retirés de l’opération.
Il semble que ce ne soit pas le cas. Le coût du développement du pays serait considérable, s’il devait être conduit à terme. L’Etat afghan est, depuis novembre 2006, officiellement au bord de la faillite. Militairement et économiquement, l’actuel pouvoir afghan est tenu à bout de bras par l’occupant. Si l’OTAN s’en va, les Talibans reprendront Kaboul presque immédiatement, de l’avis de tous les spécialistes.
Il faut dire que le terrain afghan facilite la guérilla. Il n’y aurait que 10.000 combattants permanents dans l’ensemble des groupes talibans – et pourtant, les 30.000 hommes de la coalition ne parviennent pas à réduire ces rebelles insaisissables. Inventeurs de la tactique de la « guerre des essaims », les rebelles afghans savent à merveille frapper et se disperser, souvent en se fondant dans la population. Cette tactique « hit and run » pose des problèmes insurmontables aux forces d’occupation étatusniennes, exactement comme elle avait déconcerté les troupes soviétiques, dans les années 1980. En outre, une coalition hétéroclite s’est constituée, associant d’anciens ennemis, aujourd’hui réunis par leur commune détestation de l’occupant, de sorte que les troupes de l’OTAN sont loin de n’affronter que des Talibans. Des rebelles pachtounes ethniques se mêlent au combat, et au fond on ne sait semble-t-il plus très bien qui on combat. C’est un bourbier, un affrontement chaotique, à la fois militaire et politique – une situation très complexe, qui rappellera aux Français l’absurde guerre d’Algérie.
C’est pourquoi, à partir de 2006, les USA ont modifié la nature de la guerre afghane. Confronté au coût croissant de leurs guerres, ils décident de sous-traiter une bonne partie du théâtre d’opération afghan à divers membres de l’OTAN. Une force dite « International Security Assistance Force » se déploie à travers le pays, avec un contingent français non négligeable. Jusque là, le rôle des alliés non britanniques était limité à fournir un soutien anecdotique (forces spéciales françaises) et, surtout, financier (forte mise à contribution du Japon). A partir de 2007, l’Afghanistan est une guerre occidentale, et non plus seulement américano-britannique.
Cette guerre se poursuit, sans qu’on en voie l’issue – et il est malheureusement impossible de savoir exactement comment elle se déroule, en réalité.
Le premier acte du gouvernement de Hamid Karzai, une marionnette imposée par les USA après leur conquête, avait été de signer un accord pour le passage d’un oléoduc traversant le pays. Il est intéressant de noter que nous avons très peu d’informations sur l’état d’avancement des travaux, ainsi que sur l’attitude des divers groupes rebelles à l’égard de cet oléoduc en construction (ouverture prévue : 2014). Beaucoup d’informations nous manquent pour comprendre la partition réelle jouée par les divers acteurs. Ce qui est certain, c’est qu’il doit y avoir, à Pékin, à Moscou, peut-être aussi à Ryad, des gens qui n’ont pas forcément envie que cet oléoduc fonctionne, trop vite et trop bien. Il serait bigrement intéressant de savoir quels groupes, Talibans ou autres, ont éventuellement perturbé ce projet, et avec quels moyens, financés par qui. Malheureusement, nous ne le savons pas. Tout comme nous ne savons pas, à ce stade, comment il faut interpréter la recomposition politique en cours au Pakistan. Faut-il y voir le signe que l’Amérique va reprendre en main cet allié de moins en moins fiable, ou bien s’agit-il du commencement de la fin pour l’aventure neocon ? A ce stade : mystère.
Ce qu’on peut en dire, en tout cas, c’est que la guerre d’Afghanistan ne peut être comprise que mise en contexte.
Face à la crise afghane et à la demande d’implication émanant de Washington, les réactions des puissances européennes ont été, pour une fois, homogènes bien que non coordonnées. L’engagement allemand est important (comparable à celui de la France), mais le Chancelier Angela Merkel semble peu désireux de l’accroître. Il n’est pas inintéressant, à ce propos, de remarquer que la valse d’hésitation allemande sur l’Afghanistan est jouée au moment précis où l’Allemagne s’est rapprochée de la Russie pour négocier d’importants contrats de livraison de gaz naturel, via les gazoducs russes. Tout se passe comme si les Allemands cherchaient au fond à garantir leur approvisionnement en hydrocarbures, sans s’aliéner ni les Américains, ni les Russes.
C’est peut-être le même genre de problématique qui explique la volte-face de Nicolas Sarkozy concernant l’Afghanistan. Après tout, même si le personnage est caractérisé par un atlantisme déchaîné, il est aussi inféodé aux milieux d’affaires français, et on peut supposer, étant donné les enjeux réels, que ces milieux d’affaires pèsent dans un sens, ou dans l’autre, selon les circonstances. D’où peut-être ces citations comiques :
Sarkozy candidat : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. (...) Il y a eu un moment donné, pour aider le gouvernement de M. Karzai, où il fallait faire un certain nombre de choix, et le président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. »
Sarkozy Président, un an plus tard : « Pourquoi on est ici ? Parce qu’ici se joue une partie de la liberté du monde (NdA : hahaha). (...) Je vous dis en conscience que si c’était à refaire, je referais le choix qui m’a amené à confirmer le choix de mes prédécesseurs d’envoyer l’armée française ici. »
*
Pour la dissidence française, c’est à l’aune de ces enjeux géostratégiques qu’il faut analyser la présence française en Afghanistan. Cela n’implique pas que nous devions cautionner l’engagement de nos soldats dans une guerre absurde, où nos intérêts vitaux ne sont pas directement engagés. La pétition proposée par l’association Egalité & Réconciliation est à cet égard tout à fait justifiée. Mais cela implique en revanche que nous devons être extrêmement prudents dans le traitement de cette affaire, dans la manière dont nous tournerons notre refus de voir la France inféodée aux intérêts impérialistes américains. Il se peut que nous ignorions des éléments importants, et donc : soyons habiles dans les positions que nous prendrons.
La présence française en Afghanistan ne plaît pas à tout le monde, c’est l’évidence.
Le déroulement de l’embuscade où sont morts dix de nos compatriotes doit par exemple nous mettre la puce à l’oreille. Les soldats rescapés se sont étonnés de la lenteur de la réaction du commandement. Il a fallu plus de quatre heures pour que des renforts parviennent aux troupes accrochées au sol, ce qui est étrange étant donné les moyens héliportés et d’appui feu aérien dont dispose l’OTAN. Les frappes aériennes, lorsqu’elles ont été délivrées, ont paraît-il touché les Français, et pas seulement les Talibans. Les tirs des soldats afghans présents ont eux aussi touché nos compatriotes. Tout cela peut évidemment résulter d’un classique cafouillage opérationnel, mais aux dires des spécialistes, il est plus difficile d’expliquer qu’aucune force de réaction rapide n’ait été mise en veille avant le déclenchement d’une opération qu’on savait très risquée.
Selon une loi qu’il a fait adopter via la révision constitutionnelle, le Parlement doit se désormais se prononcer par vote sur tout engagement militaire qui se prolonge au-delà de quatre mois. Cela va nous valoir un débat parlementaire sur l’Afghanistan. Il faudra être très attentif aux positions qui seront prises à cette occasion par les divers acteurs, et en particulier, scruter les éléments que la hiérarchie militaire, peut-être, prendra sur elle de laisser filtrer.
Il s’agit de savoir si la dissidence française est capable, par son comportement, par les analyses qu’elle saura produire et faire partager, de démontrer qu’elle s’est définitivement guérie d’un certain idéalisme nunuche – idéalisme qui, dans les deux prochaines décennies, ne sera pas précisément de saison. Il ne s’agira pas de dire : « nous ne voulons pas que nos gars aillent en Afghanistan, par contre nous voulons aussi continuer à payer notre essence pas trop cher et notre gaz bon marché ». Il s’agira de dire : « nous ne voulons pas que nos gars aillent en Afghanistan parce qu’il y a d’autres moyens de régler la crise énergétique prochaine ».
Nous devons dénoncer l’inféodation de la France aux USA, tout en expliquant qu’il faut construire une véritable alternative géostratégique à cette inféodation, pour sortir du guêpier où notre pays risque de se faire enfermer. En particulier, à l’heure où les relations entre l’institution militaire et le pouvoir politique se dégradent à vue d’œil, il faudra impérativement éviter toute attaque contre l’institution militaire. Nous devrons communiquer sur une base simple, qui démontrera notre bonne perception d’une situation complexe : pour une armée française forte et une politique étrangère française cohérente ; contre l’alignement sur une politique pro-américaine compartimentée, qui ne peut déboucher, en dernière analyse, que sur l’affaiblissement stratégique de l’Europe.
Michel Drac
Source : http://www.scriptoblog.com
+ Quelques liens :
Le déroulement de l’opération Enduring freedom
Distribution des réserves de gaz naturel
Le projet d’oléoduc trans-afghan
Il n’est donc pas inutile de revenir sur les conditions d’engagement de la France dans ce conflit. Pour adopter la bonne attitude sur le plan politique, il faut en l’occurrence se pencher sur le détail d’un affrontement complexe, à l’égard duquel il faudra nous garder de toute prise de position à l’emporte-pièce.
La raison officielle du conflit en cours est l’asile octroyé par les Talibans à Oussama Ben Laden, asile qu’ils auraient, aux dires des Américains, garanti à l’intéressé y compris après les attentats du 11 septembre. Il semble extrêmement probable que cette raison officielle ne soit qu’un prétexte. Les Talibans ont été soutenus pendant les années 90 par les services spéciaux pakistanais, alors alliés des Américains. Lorsqu’ils s’emparèrent du pays, ce fut avec l’aval tacite des USA. Or, à cette date, les Américains savaient parfaitement que les Talibans, musulmans sunnites fondamentalistes, financés par les réseaux salafistes saoudiens, entretenaient des liens étroits avec la nébuleuse Al-Kaïda. On a du mal à croire que les services américains, après avoir financé et soutenu un mouvement qui se revendiquait ouvertement du Jihad anti-occidental, aient brutalement découvert, le 11 septembre 2001, le caractère anti-américain de ce mouvement. Ce scénario paraît tout simplement absurde.
En réalité, le scénario le plus crédible ramène le conflit aux véritables enjeux stratégiques de la région : à savoir principalement le pétrole (37 % de l’énergie utilisée dans le monde) du Moyen Orient (60 % des réserves mondiales prouvées), et secondairement le gaz naturel (24 % de l’énergie utilisée dans le monde) d’Asie Centrale (15 % des réserves mondiales prouvées) et, à nouveau, du Moyen Orient (35 %). L’Afghanistan est frontalier du Turkménistan et de l’Ouzbékistan (12 % des réserves mondiales de gaz naturel), et de l’’Iran, position clef pour assurer le contrôle des réserves énergétiques du Golfe Persique par l’Occident. L’Afghanistan est donc, pour les USA, une case centrale du « grand échiquier » eurasiatique. Contrôler l’Afghanistan, c’est indirectement contrôler, ou en tout cas se mettre en mesure de contrôler, environ 60 % des réserves mondiales d’hydrocarbure, et partant, à peu près 35 % de l’énergie disponible dans le monde, sur la base des consommations énergétiques actuelles. C’est un levier stratégique formidable – le seul, à vrai dire, sur lequel l’empire US puisse espérer jouer, dans les deux décennies qui viennent, pour freiner la montée en puissance de la Chine, et ainsi éviter de perdre à long terme le leadership mondial.
Au regard de ces enjeux, pour comprendre le conflit afghan, il faut remonter à la fin des années 90. Après l’effondrement de l’URSS, les compagnies pétrolières américaines acquièrent environ 75 % des droits d’exploitation sur les gisements pétrolifères et gaziers des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Pour acheminer ce gaz et ce pétrole d’Asie Centrale, les Américains soutiennent un mouvement qu’ils espèrent instrumentaliser : les Talibans, qui prennent le pouvoir à Kaboul. Le soutien américain est indirect, mais la CIA envisage d’aller plus loin. En 1997, l’US army entreprend des exercices communs avec la toute jeune armée ouzbek : le thème en est une intervention commune dans le nord de l’Afghanistan, territoire principalement tadjik, alors en rébellion contre les Talibans pachtouns, que soutient le régime d’Islamabad, à l’époque totalement inféodé aux USA. En 1998, la compagnie américaine Unocal entre en négociation avec le tout jeune régime taliban : il s’agit de tracer un oléoduc partant du Turkménistan et débouchant, via l’Afghanistan et le Pakistan, sur l’océan indien. Ce tracé présente, aux yeux des Américains, l’avantage de contourner l’Iran et la Russie, deux puissances bien décidées à ne pas se laisser inféoder aux seuls intérêts américains. Au début de 1998, on peut croire que l’Amérique va réussir à coloniser l’Asie centrale, parachevant un plan qui lui donne la maîtrise du destin énergétique de la planète.
C’est alors que surviennent les attentats anti-américains au Kenya et en Tanzanie, attentats attribués à Oussama Ben Laden. Les USA exigent des Talibans qu’ils leur livrent Ben Laden : ceux-ci refusent. Dès lors, les négociations piétinent, et le projet d’oléoduc via l’Afghanistan semble devoir être abandonné. Deux thèses sont soutenables concernant ces évènements : dans une première thèse, Ben Laden lance les attentats avant le blocage des négociations entre USA et Talibans, et dans cette thèse, il est utilisé par les réseaux saoudiens, lesquels veulent empêcher les USA de se dégager de leur dépendance pétrolière à l’égard des pétromonarchies du Golfe. Dans une deuxième thèse, Ben Laden lance les attentats après que les négociations USA/Talibans soient entrées en phase critique, auquel cas il est probablement utilisé par la CIA pour construire une stratégie de la tension devant soit faire plier le régime taliban, soit permettre son remplacement manu militari. A ce stade, il est impossible de savoir laquelle de ces deux thèses est la bonne. Peut-être aurons-nous un jour le fin mot de l’histoire, quand les dossiers de la CIA s’ouvriront. Au reste, une thèse composite est envisageable : étant donné les liens entre la famille Bush et les milieux dirigeants saoudiens, il n’est pas exclu qu’une partie de l’oligarchie américaine ait joué en l’occurrence contre son camp.
Quoi qu’il en soit, dès 1999, les USA entament une campagne de déstabilisation visant le régime taliban. Les anciens alliés se déchirent, et la CIA, après avoir financé les Talibans via le régime pakistanais, cherche à leur substituer un gouvernement fantoche plus docile.
Survient le 11 septembre 2001 : c’est l’occasion que les Américains cherchaient pour occuper militairement le Moyen-Orient, et réaliser ainsi le « coup du berger » qui, avant même que ne commence vraiment la partie d’Echecs, leur permettra de mater la Chine. En novembre-décembre 2001, le régime taliban est défait militairement. Profitant de la diversité ethnique afghane, les Américains soutiennent à présent l’Alliance du Nord, un regroupement de chefs tribaux principalement tadjiks, farouchement opposés aux Talibans, principalement pachtouns. Il n’est pas inintéressant de noter à ce propos que deux jours avant les attentats du 11 septembre, un commando a assassiné en Afghanistan le commandant Massoud, principal leader de la résistance à l’occupation soviétique et dans l’ensemble soutenu par les européens.
Le déroulement chronologique de l’opération Enduring freedom (invasion de l’Afghanistan) confirme que cette action est d’abord une entreprise américano-britannique, dont les européens sont plutôt tenus à l’écart – ce qui n’est pas le cas de toutes les puissances. L’Inde et la Russie sont indirectement parties prenantes. L’Inde, parce qu’elle a intérêt à réduire l’influence pakistanaise en Afghanistan pour détourner Islamabad du front du Cachemire, fournit du renseignement. La Russie, sans laquelle rien ne peut se faire en Asie centrale, est alors au bord du krach financier intégral : sans doute son appui à la présence américaine en Ouzbékistan constitue-t-il une monnaie d’échange.
Il faut rappeler ici qu’à la différence de l’invasion de l’Irak deux ans plus tard, Enduring freedom s’inscrit dans le cadre du multilatéralisme, officiellement du moins. Dans la foulée des attentats du 11 septembre, l’ONU vote une résolution condamnant le régime taliban. La France ne s’y oppose pas, une opposition frontale étant, à ce moment-là, difficilement envisageable – d’une part parce que l’émotion provoquée par le 11 septembre la rendrait difficilement justifiable, d’autre part parce que le régime taliban est objectivement indéfendable. Mais notre pays va jouer, dans l’affaire afghane, une partition étrange, qu’il convient de bien analyser pour saisir toutes les ambiguïtés de la présence française à Kaboul.
La participation française à l’opération Enduring freedom n’est, semble-t-il, au départ pas souhaitée par les Américains. Ceux-ci ne font en tout cas rien pour la favoriser. Les troupes françaises doivent intervenir dans des conditions rocambolesques, à travers l’Ouzbékistan (ce qui n’a pas pu être possible sans le feu vert de Moscou). Cette intervention a semble-t-il pris de court les Américains, qui ne la croyaient pas possible.
Ici, plusieurs interprétations sont possibles. On peut supposer qu’une partie de l’appareil d’Etat français, pro-Américain, a milité pour une participation directe de la France, intégrée dans la coalition américano-britannique. Mais il est aussi possible, et même probable, qu’une autre partie de l’appareil d’Etat, gaulliste par tradition, a vu dans la participation française un moyen d’interférer avec la politique américaine en Asie centrale, et ainsi d’empêcher la mainmise complète des Américains sur la région. En somme, on peut se demander qui la France est allé combattre en Afghanistan, au départ.
Comment savoir ? C’est un jeu extraordinairement complexe qui se joue là-bas, un jeu dans lequel se superposent des conflits ethniques locaux (pachtouns/tadjiks), des affrontements nationaux entre puissances moyennes désireuses de s’imposer régionalement (Pakistan/Inde/Russie) et l’affrontement mondialisé entre les USA, leurs alliés plus ou moins fiables et bien sûr, en arrière-plan, la Chine (qui a une frontière commune avec l’Afghanistan). On nous a vendu la guerre d’Afghanistan comme un western à la John Ford, avec un scénario bien huilé où les méchants oppriment les gentils et dans lequel la cavalerie vient au secours des opprimés. Mais en réalité, il s’agit d’un western à la Sergio Leone, un film brutal, construit sur l’affrontement entre des antihéros cupides et cyniques – un de ces films où il n’y a pas de bons, rien que des brutes et des truands.
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Depuis 2001, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Plusieurs évènements sont survenus, qui ont changé la donne sur le terrain, à l’échelle régionale, à l’échelle mondiale, et aussi en France.
Sur le terrain, on a confirmation du caractère décidément incontrôlable de l’Afghanistan. Ce pays retardataire est d’une certaine manière impossible à occuper, parce qu’un occupant ne peut s’imposer qu’en contrôlant ou détruisant les infrastructures – or, il n’y a pas d’infrastructures en Afghanistan (raison pour laquelle les forces de la coalition se retrouvent dans la situation inédite d’un occupant qui développe le pays dominé, un développement préalable étant le seul moyen de rendre le pays contrôlable).
Les USA se retrouvent avec sur les bras un petit Vietnam, et par certains côtés, leur mésaventure n’est pas sans évoquer les problèmes rencontrés, il y a un quart de siècle, par l’occupant soviétique. Certes, les rebelles ne peuvent pas gagner. Mais comme il est impossible de les défaire, les USA se retrouvent dans la situation d’un joueur qui a misé beaucoup pour contrôler une case, et qui se rend compte qu’elle va lui coûter très cher à occuper – plus cher, même, qu’elle ne lui rapportera. L’objectif des Américains, en déstabilisant la région, était probablement de susciter de multiples petits foyers de conflit justifiant le maintien permanent de bases militaires encerclant la Russie, verrouillant l’accès aux ressources stratégiques convoitées par la Chine, utiles éventuellement pour frapper l’Iran. Encore faut-il, pour que cette stratégie soit rentable, que le terrain soit effectivement contrôlé, et que le coût de la présence militaire n’excède pas les bénéfices stratégiques retirés de l’opération.
Il semble que ce ne soit pas le cas. Le coût du développement du pays serait considérable, s’il devait être conduit à terme. L’Etat afghan est, depuis novembre 2006, officiellement au bord de la faillite. Militairement et économiquement, l’actuel pouvoir afghan est tenu à bout de bras par l’occupant. Si l’OTAN s’en va, les Talibans reprendront Kaboul presque immédiatement, de l’avis de tous les spécialistes.
Il faut dire que le terrain afghan facilite la guérilla. Il n’y aurait que 10.000 combattants permanents dans l’ensemble des groupes talibans – et pourtant, les 30.000 hommes de la coalition ne parviennent pas à réduire ces rebelles insaisissables. Inventeurs de la tactique de la « guerre des essaims », les rebelles afghans savent à merveille frapper et se disperser, souvent en se fondant dans la population. Cette tactique « hit and run » pose des problèmes insurmontables aux forces d’occupation étatusniennes, exactement comme elle avait déconcerté les troupes soviétiques, dans les années 1980. En outre, une coalition hétéroclite s’est constituée, associant d’anciens ennemis, aujourd’hui réunis par leur commune détestation de l’occupant, de sorte que les troupes de l’OTAN sont loin de n’affronter que des Talibans. Des rebelles pachtounes ethniques se mêlent au combat, et au fond on ne sait semble-t-il plus très bien qui on combat. C’est un bourbier, un affrontement chaotique, à la fois militaire et politique – une situation très complexe, qui rappellera aux Français l’absurde guerre d’Algérie.
C’est pourquoi, à partir de 2006, les USA ont modifié la nature de la guerre afghane. Confronté au coût croissant de leurs guerres, ils décident de sous-traiter une bonne partie du théâtre d’opération afghan à divers membres de l’OTAN. Une force dite « International Security Assistance Force » se déploie à travers le pays, avec un contingent français non négligeable. Jusque là, le rôle des alliés non britanniques était limité à fournir un soutien anecdotique (forces spéciales françaises) et, surtout, financier (forte mise à contribution du Japon). A partir de 2007, l’Afghanistan est une guerre occidentale, et non plus seulement américano-britannique.
Cette guerre se poursuit, sans qu’on en voie l’issue – et il est malheureusement impossible de savoir exactement comment elle se déroule, en réalité.
Le premier acte du gouvernement de Hamid Karzai, une marionnette imposée par les USA après leur conquête, avait été de signer un accord pour le passage d’un oléoduc traversant le pays. Il est intéressant de noter que nous avons très peu d’informations sur l’état d’avancement des travaux, ainsi que sur l’attitude des divers groupes rebelles à l’égard de cet oléoduc en construction (ouverture prévue : 2014). Beaucoup d’informations nous manquent pour comprendre la partition réelle jouée par les divers acteurs. Ce qui est certain, c’est qu’il doit y avoir, à Pékin, à Moscou, peut-être aussi à Ryad, des gens qui n’ont pas forcément envie que cet oléoduc fonctionne, trop vite et trop bien. Il serait bigrement intéressant de savoir quels groupes, Talibans ou autres, ont éventuellement perturbé ce projet, et avec quels moyens, financés par qui. Malheureusement, nous ne le savons pas. Tout comme nous ne savons pas, à ce stade, comment il faut interpréter la recomposition politique en cours au Pakistan. Faut-il y voir le signe que l’Amérique va reprendre en main cet allié de moins en moins fiable, ou bien s’agit-il du commencement de la fin pour l’aventure neocon ? A ce stade : mystère.
Ce qu’on peut en dire, en tout cas, c’est que la guerre d’Afghanistan ne peut être comprise que mise en contexte.
Face à la crise afghane et à la demande d’implication émanant de Washington, les réactions des puissances européennes ont été, pour une fois, homogènes bien que non coordonnées. L’engagement allemand est important (comparable à celui de la France), mais le Chancelier Angela Merkel semble peu désireux de l’accroître. Il n’est pas inintéressant, à ce propos, de remarquer que la valse d’hésitation allemande sur l’Afghanistan est jouée au moment précis où l’Allemagne s’est rapprochée de la Russie pour négocier d’importants contrats de livraison de gaz naturel, via les gazoducs russes. Tout se passe comme si les Allemands cherchaient au fond à garantir leur approvisionnement en hydrocarbures, sans s’aliéner ni les Américains, ni les Russes.
C’est peut-être le même genre de problématique qui explique la volte-face de Nicolas Sarkozy concernant l’Afghanistan. Après tout, même si le personnage est caractérisé par un atlantisme déchaîné, il est aussi inféodé aux milieux d’affaires français, et on peut supposer, étant donné les enjeux réels, que ces milieux d’affaires pèsent dans un sens, ou dans l’autre, selon les circonstances. D’où peut-être ces citations comiques :
Sarkozy candidat : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. (...) Il y a eu un moment donné, pour aider le gouvernement de M. Karzai, où il fallait faire un certain nombre de choix, et le président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. »
Sarkozy Président, un an plus tard : « Pourquoi on est ici ? Parce qu’ici se joue une partie de la liberté du monde (NdA : hahaha). (...) Je vous dis en conscience que si c’était à refaire, je referais le choix qui m’a amené à confirmer le choix de mes prédécesseurs d’envoyer l’armée française ici. »
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Pour la dissidence française, c’est à l’aune de ces enjeux géostratégiques qu’il faut analyser la présence française en Afghanistan. Cela n’implique pas que nous devions cautionner l’engagement de nos soldats dans une guerre absurde, où nos intérêts vitaux ne sont pas directement engagés. La pétition proposée par l’association Egalité & Réconciliation est à cet égard tout à fait justifiée. Mais cela implique en revanche que nous devons être extrêmement prudents dans le traitement de cette affaire, dans la manière dont nous tournerons notre refus de voir la France inféodée aux intérêts impérialistes américains. Il se peut que nous ignorions des éléments importants, et donc : soyons habiles dans les positions que nous prendrons.
La présence française en Afghanistan ne plaît pas à tout le monde, c’est l’évidence.
Le déroulement de l’embuscade où sont morts dix de nos compatriotes doit par exemple nous mettre la puce à l’oreille. Les soldats rescapés se sont étonnés de la lenteur de la réaction du commandement. Il a fallu plus de quatre heures pour que des renforts parviennent aux troupes accrochées au sol, ce qui est étrange étant donné les moyens héliportés et d’appui feu aérien dont dispose l’OTAN. Les frappes aériennes, lorsqu’elles ont été délivrées, ont paraît-il touché les Français, et pas seulement les Talibans. Les tirs des soldats afghans présents ont eux aussi touché nos compatriotes. Tout cela peut évidemment résulter d’un classique cafouillage opérationnel, mais aux dires des spécialistes, il est plus difficile d’expliquer qu’aucune force de réaction rapide n’ait été mise en veille avant le déclenchement d’une opération qu’on savait très risquée.
Selon une loi qu’il a fait adopter via la révision constitutionnelle, le Parlement doit se désormais se prononcer par vote sur tout engagement militaire qui se prolonge au-delà de quatre mois. Cela va nous valoir un débat parlementaire sur l’Afghanistan. Il faudra être très attentif aux positions qui seront prises à cette occasion par les divers acteurs, et en particulier, scruter les éléments que la hiérarchie militaire, peut-être, prendra sur elle de laisser filtrer.
Il s’agit de savoir si la dissidence française est capable, par son comportement, par les analyses qu’elle saura produire et faire partager, de démontrer qu’elle s’est définitivement guérie d’un certain idéalisme nunuche – idéalisme qui, dans les deux prochaines décennies, ne sera pas précisément de saison. Il ne s’agira pas de dire : « nous ne voulons pas que nos gars aillent en Afghanistan, par contre nous voulons aussi continuer à payer notre essence pas trop cher et notre gaz bon marché ». Il s’agira de dire : « nous ne voulons pas que nos gars aillent en Afghanistan parce qu’il y a d’autres moyens de régler la crise énergétique prochaine ».
Nous devons dénoncer l’inféodation de la France aux USA, tout en expliquant qu’il faut construire une véritable alternative géostratégique à cette inféodation, pour sortir du guêpier où notre pays risque de se faire enfermer. En particulier, à l’heure où les relations entre l’institution militaire et le pouvoir politique se dégradent à vue d’œil, il faudra impérativement éviter toute attaque contre l’institution militaire. Nous devrons communiquer sur une base simple, qui démontrera notre bonne perception d’une situation complexe : pour une armée française forte et une politique étrangère française cohérente ; contre l’alignement sur une politique pro-américaine compartimentée, qui ne peut déboucher, en dernière analyse, que sur l’affaiblissement stratégique de l’Europe.
Michel Drac
Source : http://www.scriptoblog.com
+ Quelques liens :
Le déroulement de l’opération Enduring freedom
Distribution des réserves de gaz naturel
Le projet d’oléoduc trans-afghan