J’avais écrit ce texte voici quelques années. Je n’imaginais pas alors le publier sur ER mais pour rendre hommage aux anciens de 14/18 je pense que c’est le lieu qui lui convient le mieux :
LES BLES
Elle avait du printemps dans les yeux, le corsage
Sa bouche de framboise lui mangeait le visage
On s’fit un brin d’causette et même davantage
Et nous avons couru ensemble au mariage.
Quel couple nous formions, tout le beau voisinage
Enviait la belle entente régnant dans le ménage,
On jetait des sourires devant notre attelage
En chemin le dimanche pour la mess’ du village.
Un enfant deux puis trois, c’est en mille neuf cent treize
Que vint le quatrième et le bonheur à l’aise
Dans la grande maison s’installait sur les chaises
Qui fleurissaient de rires autour d’un plat de fraises.
La moisson de quatorze engrossait la Corrèze
Le soir après l’travail le corps chaud comme la braise
On veillait sous la lune rougie par les mélèzes
Les vieux de soixante dix écoutaient nos fadaises.
Puis la guerre échangea aux paysans halés
La serpe du labeur pour la faux des tranchées
Et nous vîmes chaque jour la mort nous moissonner
Empilant les cadavres en gerbes entremêlées.
Quand l’aube paraîtra l’ordre sera donné
Nous sortirons de terre, levant comme le blé
Les obus nous faucherons en arrachant nos pieds
Et nos bouches mangeront la terre tant aimée.
Le vin est arrivé tout à l’heure par tonneaux
Pour ne pas déserter on boira tant qu’il faut
Allons-nous donc mourir lors de l’ultime assaut
Sous les balles ennemies ou celles des généraux ?
Baïonnette au fusil pour l’honneur du drapeau
Paysans ouvriers mourrons c’est notre lot
Le métal creusera ses sillons dans nos peaux
Le soleil y sèmera les graines des jours nouveaux !
Quand la guerre épuisée par sa grande fureur
Remplacera les soldats par les ambassadeurs
Les blés recouvriront les traces de l’horreur
Mais le temps fera mal son métier d’fossoyeur.
Le drapeau qui flottait sur tous les champs d’honneur
S’inclinera de honte sur les tombes sans fleurs
Et des femmes des enfants les terribles clameurs
Retentiront si forts que le siècle aura peur.
Mon amour sur ma tombe ne vient pas en pleurant
Mais les yeux et l’ corsage tout remplis de printemps
Me parler du pays, de ce bonheur d’antan
Qu’on a vécu au temps du blé de nos vingt-ans.
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