Tranchant sur le pessimisme ambiant, l’ancien patriarche latin de Jérusalem, 77 ans, veut toujours croire à la cohabitation harmonieuse avec l’islam.
Quelle est la situation des chrétiens de Palestine ?
Elle est la même que pour tous les Arabes de Palestine. Chrétiens ou musulmans, nous faisons partie d’un même peuple, d’une même culture, d’une même histoire. Un peuple qui est en conflit avec un autre peuple. Un peuple occupé militairement qui n’a pas besoin de compassion, mais de justice. Dans un contexte politique très tendu, nous essayons de faire face au même défi. Qu’est-ce qu’être chrétien ? C’est être envoyé à une société, à un monde que nous n’avons pas choisi parce qu’il nous est donné. Notre vocation est donc d’être chrétien dans une société arabe et majoritairement musulmane. C’est une expérience que nous connaissons bien, nous avons plusieurs siècles d’histoire commune derrière nous.
Pourtant, aujourd’hui, on parle de persécutions antichrétiennes…
Des incidents individuels entre musulmans et chrétiens peuvent parfois prendre une dimension communautaire. Dans ce cas, il existe des médiateurs, des familles reconnues pour leur sagesse et leur autorité, capables de régler les conflits. Mais, je peux en témoigner, en Palestine, cela n’est jamais allé plus loin. Aucun massacre, aucun attentat contre les églises, aucune persécution ouvertement antichrétienne. Même à Gaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas, souvent présenté comme une organisation terroriste.
Est-ce la même chose en Irak ?
Non, là-bas les chrétiens sont victimes de la violence et sont tués parce qu’ils sont chrétiens. Mais il s’agit de motivations politiques, non religieuses. Les extrémistes espèrent ainsi déstabiliser le pays. Beaucoup de sunnites ou de chiites sont tués pour les mêmes raisons. Il ne sert à rien d’accuser l’islam de tous les maux. Travailler à la paix et à la justice, en Irak comme ailleurs, est le meilleur moyen d’éviter un exode massif des chrétiens d’Orient. Un problème politique doit trouver une solution politique.
Que répondez-vous à ceux qui défendent l’idée d’un choc des civilisations ?
Il y a un choc, mais il n’est ni religieux, ni culturel. Il est politique. L’Occident traite l’Orient, et ceux qui y habitent, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, comme des mineurs. Tant qu’il y aura ce rapport de dominant à dominé, on ne sortira pas de la spirale de la violence. Les racines du terrorisme mondial sont là. L’Orient n’est pas libre de son destin, il est soumis à la domination occidentale. Le problème, ce n’est pas l’islam, c’est la confrontation entre l’Orient et l’Occident. Le colonialisme historique a cédé la place à un autre colonialisme, plus larvé, mais non moins réel.
Vous n’avez donc pas peur de l’expansion de l’islam ?
C’est un fantasme alimenté par ceux qui ne comprennent pas l’Orient, en général, et l’islam, en particulier. Tant que les Palestiniens se sentiront opprimés, tous les musulmans du monde se sentiront solidaires avec eux et pourront causer des perturbations à l’intérieur des sociétés où ils vivent. Il faut mettre fin à ce rapport du fort au faible entre l’Occident et le monde musulman et mener des actions d’éducation à la citoyenneté, au respect de l’autre. Développons une culture de coexistence active, apprenons à nous connaître, à vivre et à agir ensemble.