Le livre d’Adolf Hitler apparaît de plus en plus sur les rayons des librairies romandes. La LICRA demande de le retirer.
« C’est inadmissible. Comment un des ouvrages à l’origine de l’Holocauste, écrit par l’instigateur de la pire des horreurs, peut-il se retrouver sur les rayons des librairies ? » Ce cri d’indignation provient de l’avocat Philippe Kenel, président genevois de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA). Il ajoute : « Même si la loi le permet, il s’agit d’une responsabilité morale. Je fais un appel à ces libraires pour le retirer. C’est une pratique irresponsable. »
Carte d’identité exigée
La pratique est pourtant de plus en plus répandue. Dans un coin du rayon Histoire de la librairie Payot à Lausanne, on trouve « Mon combat », traduction française et intégrale de « Mein Kampf » d’Adolf Hitler. « L’an passé, on en a écoulé plus de 30 », fait remarquer le vendeur Frédéric Greffet. Il y a deux mois, il a proposé à son responsable de le mettre en rayon : « Nous en avons discuté. Le livre est de toute manière à disposition, en commande ou en stock. Les clients nous le demandaient régulièrement. Ça ne change pas grand-chose qu’il soit vu ou pas. »
Contrairement à l’Allemagne, où les écrits nazis sont interdits de publication et de diffusion, la Suisse n’a jamais interdit « Mein Kampf ». On ne le trouvait toutefois pas en libre-service sur les rayons. Il restait caché en réserve ou ne s’obtenait que sur commande. Une carte d’identité est même exigée à la FNAC pour justifier l’achat… Mais aujourd’hui, le directeur de Payot, Pascal Vandenberghe, estime que le lecteur est adulte : « Si le débit de vente est important, j’incite à le faire. Le livre est là en tant qu’objet commercial. Le lecteur l’achète en connaissance de cause, il est libre de ses choix et de réfléchir par lui-même. C’est aussi à ça que servent les huit pages d’avertissement en début d’ouvrage. » D’autres parmi ses confrères romands partagent son avis. A Fribourg et à La Chaux-de-Fonds, ils restent discrets, mais à Sion, Françoise Berclaz, propriétaire de La Liseuse, assume : « Le devoir du libraire n’est pas de faire de la censure, ni de la propagande. Dans ma librairie, « Mein Kampf » est dans un coin d’un des rayons, il n’est pas visible à l’œil nu. Ce livre fait partie de l’histoire. Comment juger et se faire une opinion sur ce qui s’est passé si on n’y a pas accès ? »
« Contenu à vomir »
Au-delà du problème du libre accès, c’est la maison d’édition qui fâche. Les Nouvelles Editions Latines (NEL), basées à Paris, sont les seules détentrices des droits de publication de la traduction française dans son intégralité originale. Les NEL sont surtout connues pour leurs accointances avec la droite nationaliste française. D’où la mise en garde d’un autre libraire, Damien Malfait, propriétaire de la Librairie du Boulevard, à Genève. Il tente de dissuader ses clients de commander la version française : « Je ne fais pas de censure, mais je les informe de l’utilisation de cet argent à des fins d’idéologie d’extrême droite. »
En face, il n’y a pas que Philippe Kenel qui s’insurge. Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), se dit « choqué » par la démarche commerciale des librairies : « Ce n’est pas un ouvrage anodin. Je ne peux pas décemment imaginer qu’on le mette en accès libre. Le contenu est à vomir, ce n’est que de la curiosité macabre. Où se situe l’intérêt pédagogique de mettre ce ramassis d’immondices en librairie ? Les libraires doivent prendre leurs responsabilités. »