Vendredi matin, Jean-Pierre Elkabbach recevait Mario Draghi, président de la BCE sur Europe 1. Une interview révélatrice sur la réalité de cette Europe, qui ne se remet pas en cause et pour qui l’intégration prime sur tout, la démocratie et l’emploi, malgré l’envolée du chômage.
L’euro plutôt que l’emploi
Quand on écoute attentivement l’interview du dirigeant de la Banque Centrale Européenne, on est pris d’un vertige. En effet, toutes les pièces du puzzle européen apparaissent en douze minutes, en désordre certes, mais un examen rapide permet de leur redonner toute leur cohérence. Comme en juillet de cette année, Mario Draghi a répété qu’il fera tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro, même avec des moyens sans limites (sic), mais avec des conditions pour les gouvernements, sans que le fait qu’un technocrate dicte ses conditions à des élus lui pose le moindre problème.
Mais de l’autre côté, quand, dans un moment d’objectivité journalistique, Jean-Pierre Elkabbach lui demande si l’austérité ne risque pas d’être un frein à la croissance après que Mario Draghi ait évoqué une « Europe libérale avec solidarité », le masque tombe. Le président de la BCE admet que la consolidation budgétaire provoque une contraction de l’activité à court terme (comme le soutiennent le FMI, Krugman ou Stiglitz). Mais, comme Pierre Moscovici, il affirme qu’il n’y a pas d’alternative.
Bref, s’il n’y a aucune limite pour sauver l’euro, et donc son emploi, en revanche, il faudrait accepter une augmentation monstrueuse du chômage au nom de la rigueur budgétaire. Pourtant, les faits démontent son argumentation. Comme nous le disions en 2010, non seulement l’austérité a des conséquences sociales monstrueuses, mais en plus, cela n’accélère pas le redressement des finances publiques : l’Espagne et le Portugal ne font pas mieux que les États-Unis depuis 2009.
Pire, dans les solutions à la crise actuelle, il a repris une antienne proche de celle du gouvernement Hollande, à savoir qu’il faut plus de compétitivité et des réformes structurelles (la manière politiquement correct de dire baisse des salaires et / ou baisse du niveau de protection sociale et / ou baisse des droits des travailleurs). Il faudra que Mario Draghi explique comment une baisse coordonnée des salaires (par-delà un aspect socialement révoltant) pourrait nous tirer de la crise…
Despotisme pseudo-éclairé
L’interview de Jean-Pierre Elkabbach donnait parfois l’impression d’être l’entretien d’un hiérarque chinois ou russe par une radio d’État. Le journaliste d’Europe 1 a ainsi répété deux fois que c’était « un honneur » de recevoir son invité. Ensuite, il a avancé (bien imprudemment ?) que la BCE était l’institution la plus populaire en Europe. Enfin, il a affirmé que la BCE est la seule institution de l’Europe qui fonctionne : quand on s’exonère de la démocratie, c’est plus simple...
Mario Draghi a plaidé pour une plus grande intégration au sein de la zone euro, proposant une union budgétaire et un partage des souverainetés nationales, outre une union bancaire sous sa supervision. Il n’a même pas cru bon de préciser en quoi cela serait utile pour les citoyens des pays européens (et il serait incapable de démontrer que cela pourrait apporter quoique ce soit). En clair, il profite de la crise pour essayer de faire avancer son agenda fédéraliste.
On aurait aimé demander à Mario Draghi pourquoi il a créé 1 000 milliards d’euros pour refinancer les banques alors que la Banque centrale d’Angleterre a créé 375 milliards de livres pour aider l’État ou poser des questions sur l’organisation du système monétaire et de la création de la monnaie. On peut rêver.