En plein naufrage commercial, Libération croit ranimer ses ventes en imitant Charlie Hebdo. D’où sa une déjà lourde de septembre dernier : « Casse-toi riche con ». Et, ce matin [13 février 2013], quelque chose de plus lourd : « Après le pape, DIEU DÉMISSION ! » Sous-titre : « Ses troupes et ses prêtres ne cessent de diminuer. Pourtant, l’Église catholique, comme l’islam, cherche de plus en plus à peser sur le débat public et à imposer ses idées réactionnaires. »
En quoi les idées de l’Église sont-elles « réactionnaires », alors que les papes (critiquant radicalement la société de marché) prônent un changement de système économique ? Et que les évêques français ont publié deux manifestes peu libéraux : Grandir dans la crise, et Enjeux et défis écologiques pour l’avenir [1] ?
Libération n’a jamais lu une ligne des nombreux textes de papes, et ne sait pas que les évêques publient des manifestes économiques et sociaux. Pour le culte bobo, dont Libération est la feuille paroissiale, ce n’est pas aux idées sociales ni économiques que l’on juge si quelqu’un est « réactionnaire ». C’est à son attitude envers le LGBT. En ce sens Libération est de l’avis de Lloyd Blankfein, pour qui les exigences LGBT sont du good business ; selon Libération, M. Blankfein est un homme de progrès et le pape est un « réactionnaire » (même si ces positions économiques et sociales doublent parfois Mélenchon sur sa gauche)... parce qu’il n’approuve pas les exigences du LGBT.
La une de Libération ouvre sur trois pages où se célèbre le culte bobo. Page 2, éditorial : « L’Eglise française est en crise. Profonde et peut-être irréversible [2] . Pourtant, sa détermination à peser sur le débat public n’a jamais semblé aussi vive. Une partie de ses troupes jamais aussi déterminée à défendre les valeurs les plus réactionnaires... » Pourquoi « réactionnaires » ? Réponse : « Des centaines de milliers [3] de pèlerins, parfois jeunes, ont ainsi battu le pavé contre le mariage gay » (CQFD : le mariage gay est le seul horizon du culte bobo). « Et cette Église déliquescente a promis d’autres combats politiques, contre la PMA et la GPA... » Ainsi la PMA (industrie biotechnologique) et la GPA (marchandisation de l’humain) sont progressistes, puisque good business elles aussi ; et l’Église est réactionnaire puisqu’elle s’oppose à la marchandisation et au règne du biotech.
L’article de tête s’intitule : « La foi ne renonce pas à dicter sa loi ». Ce que Libération appelle « dicter sa loi », c’est juste le fait que les catholiques donnent leur avis. Libération pense qu’ils n’ont pas à le donner. Pourquoi ? Parce que ce sont des catholiques : citoyens de seconde zone, suspects (eût-on dit en 1793) de conserver à leur domicile « les insignes du fanatisme et de la superstition ». Ce que Libération attendrait des catholiques, c’est qu’ils existent le moins possible : « Dans les années 70, la gauche chrétienne avait choisi l’enfouissement pour accompagner une société en évolution dans la foulée libertaire de mai 68. Trente ans plus tard, l’aile conservatrice [4] catholique, désormais majoritaire et soutenue activement par les deux derniers papes, a fait le choix inverse. Même s’ils ne portent plus la soutane, les jeunes prêtres arborent désormais avec fierté le col romain... »
Ce qui offusque Libération, c’est que les « troupes » catholiques soient « entrées en résistance » et qu’elles refusent « que les institutions ne disent plus le bien et le mal ». Mais Libération erre ! Que les institutions « disent le bien et le mal », c’est précisément ce que les catholiques ne veulent pas. « Dire le bien et le mal » n’est pas le métier des institutions. En revanche, mieux vaudrait – dans l’intérêt général – que les institutions connaissent le bien et le mal : chaque fois qu’elles les perdent de vue, l’humanité passe un mauvais quart d’heure... Mais ce fait historique est zappé par le relativisme, religion du libéral et surtout du bobo (stade aggravé du libéralisme) : « Pour ce qui est du mariage gay, l’État ne dit plus ce qui est bien ou mal. Ce sont les individus qui le déterminent pour eux-mêmes. C’est justement à cela que s’opposent ceux qui combattent le mariage gay », affirme Libération (citant « le sociologue Raphaël Liogier »). C’est un gros sophisme, parce que le statut civil du mariage depuis deux siècles ne relevait pas du « bien » ni du « mal », mais de la condition humaine.
Et qui est « le sociologue Raphaël Liogier » ? Pour le rencontrer, il faut feuilleter ce numéro de Libération jusqu’à la page 23 (« Rebonds »). On y apprend que Raphaël Liogier est le nom du « directeur de l’Observatoire du religieux ». Cet organisme est inconnu du public, mais on pourrait croire que son directeur connaît les religions ; hélas les apparences plaident en sens contraire. Au quatrième alinéa, le directeur Liogier déclare que le « dogme » du catholicisme a des « accents médiévaux ». Aucun dogme catholique n’ayant été défini au Moyen Âge, on en conclut que cet observateur du religieux ne sait pas ce qu’est un dogme... Deux paragraphes plus loin, il écrit, à propos du préservatif, que Benoît XVI « remettra en cause implicitement sa théorique infaillibilité en déclarant par la suite que cette pratique contraceptive pouvait être acceptée s’il s’agissait de combattre la diffusion de l’épidémie ». Le directeur Liogier ne sait donc pas non plus en quoi consiste l’infaillibilité pontificale [5]... Mais là où le directeur atteint des sommets, c’est dans le dernier paragraphe, quand il suggère que le cardinal « Peter Turkson » est un Européen obsédé de ses « racines ». Voilà un record : diriger un Observatoire du religieux, et ne pas savoir que Peter Kodwo Appiah Turkson est un Ghanéen.
C’est ainsi que les lecteurs de Libération sont informés.
Si j’étais la Commission de la carte, je convoquerais les responsables de ce qui fut un journal – et qui devient un tract.
La déchéance de ce quotidien éclate si l’on compare son numéro d’aujourd’hui avec celui du Monde daté du même jour. Lui aussi consacre un dossier à la renonciation de Benoît XVI ; mais ce n’est pas pour en dire la même chose. Intitulé « Un acte humble et lucide », l’éditorial – à la une – commence en ces termes : « Il y a de la grandeur, de l’humilité et de la modernité dans la décision de Benoît XVI, lundi 11 février, de “renoncer au ministère d’évêque de Rome”... » Et le dossier s’intitule : « Le geste qui change l’Église ».