Alors que s’ouvrait le procès de cinq jeunes de Villiers-le-Bel accusés d’avoir tiré sur des policiers, dans un texte paru le 21 juin, dans les pages Rebonds de Libération, une quinzaine de personnalités se félicitaient de voir la peur changer de camp, voyant là le renversement d’un ordre policier.
Dans une réplique au vitriol sur le site Causeur, Daoud Boughezala, étudiant à l’IEP Paris s’en prend à Libé qui accueille ces professionnels de l’indignation, toujours prompts à défendre le voyou de base.
« Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui (…) est soit naïf et stupide, soit prétextuel et de mauvaise foi ; en effet, elle combat ou fait semblant de combattre un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C’est, en somme, un antifascisme de tout confort et de tout repos ». Pier Paolo Pasolini.
Ces derniers jours, la déroute des Bleus – qui ont rarement aussi bien porté leur nom- a éclipsé un événement médiatico-judiciaire potentiellement explosif. Un énième rebondissement de l’affaire Clearstream ? Les pérégrinations du couple Woerth ? Encore mieux : une pétition soutenant ouvertement des individus soupçonnés d’avoir tiré à balles réelles sur des officiers de police. Aux manettes, l’indécrottable Libération jadis parangon de la cause des peuples, aujourd’hui recyclé dans le libéralisme libertaire à la sauce eurobéate. Au menu, une resucée mal digérée de Franz Fanon faisant des délinquants armés les nouveaux damnés de la terre.
Dès les premières lignes de l’appel, le ton est donné.
Jugez plutôt : « A Villiers-le-Bel, les 25 et 26 novembre 2007, un renversement s’est produit : ces gamins que la police s’amuse de mois en mois à shooter ont à leur tour pris leurs aises avec ceux qui les ciblent. Ces quartiers submergés par une occupation devenue militaire ont, un temps, submergé les forces d’occupation ». Vous ne rêvez pas : la France est un Etat néo- impérialiste qui s’ignore ! En lisant ce premier paragraphe, on hésite entre le rire et les larmes.
Dans ce prêchi-prêcha mi-haineux mi-compatissant, Villiers-le-Bel est implicitement comparé à Gaza et le maintien de l’ordre républicain assimilé aux opérations coups de poings de l’armée israélienne. Last but not least, ce verbiage digne des Indigènes de la République traite l’institution policière de force d’occupation coloniale qu’il faudrait déloger desdits quartiers.
En ressuscitant tous les poncifs du genre –de l’anticolonialisme à la Commune en passant par 1789- les signataires du manifeste justifient le tir aux pigeons sur flics au nom du romantisme révolutionnaire. Ils auraient pu se contenter de dénoncer les méthodes d’extorsion des aveux, qui furent apparemment aussi maladroits que brutaux, tant la police sembla agir dans l’urgence. Ou bien rappeler la présomption d’innocence des inculpés. Mais non, ces thuriféraires de la révolution bétonnée exigent carrément l’abandon de toute procédure judiciaire à l’encontre des tireurs.
Maniant l’art de l’euphémisme, ils persiflent dans la commisération à sens unique en confondant la défense du “peuple de Villiers-le-Bel” avec celle d’une minorité de sauvageons déstructurés qui forment le nouveau lumpenprolétariat urbain.
Certes, la mort accidentelle de deux adolescents dans la collision de leur scooter avec un véhicule de police est une tragédie regrettable. Mais est-ce les honorer que de transmuer son chagrin et son indignation en haine anti-policière ?
Les signataires du texte, pourtant avocats du Bien éternel et univoque, réhabilitent même la loi du Talion en justifiant l’injustifiable, ajoutant qu’il était de bonne guerre pour ces policiers infâmes que d’« avoir reçu quelques plombs dans l’épaisseur de leurs gilets pare-balles ». Dans un glissement sémantique comme seuls les professionnels de l’indignation en ont le secret, on dénonce la lutte contre les bandes comme une véritable « guerre aux banlieues » au racisme larvé. Les paisibles habitants des mal-nommées cités apprécieront.