Avec l’essor des médias indépendants sur l’Internet, la théorie du complot est devenue une sorte d’eldorado intellectuel pour le journaliste mainstream. Se voyant souvent dans l’impossibilité de réfuter avec des faits les analyses indépendantes et documentées contredisant la pensée unique des médias dominants, le journaliste traditionnel fuit souvent l’argumentation en prenant l’ultime sortie de secours : il discrédite ceux qui contredisent la propagande médiatique en les accusant d’être des adeptes des théories du complot.
Photo : John McCain, sénateur républicain au centre avec le chef du parti néonazi Svoboda, Oleh Tiahnybok, à droite.
En bon soldat de la pensée unique, le grand quotidien montréalais La Presse publiait le 21 mars un article intitulé « L’Ukraine et le retour du complot », où l’on accuse, entre autres, le site web Mondialisation.ca de faire circuler des théories du complot.
L’article se penche sur le fameux appel du secrétaire d’État adjoint des États-Unis, Victoria Nuland, discutant avec l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine Geoffrey Pyatt, appel ayant fait l’objet d’une fuite et publié sur YouTube le 6 février.
La journaliste Agnès Gruda commence ainsi :
Vous souvenez-vous de l’inélégant « Fuck Europe » par lequel une adjointe du secrétaire d’État américain, Victoria Nuland, avait réglé le cas de la contribution européenne au règlement de la crise ukrainienne ?
Ce juteux extrait d’une conversation entre Mme Nuland et l’ambassadeur des États-Unis à Kiev, Geoffrey Pyatt, était mystérieusement apparu sur le web au début de février, causant une commotion diplomatique.
Le reste de la conversation a été moins médiatisé. Il est pourtant beaucoup plus édifiant. On y entend les deux diplomates discuter de l’avenir politique de l’Ukraine.
« Je ne pense pas que Klitsch devrait entrer au gouvernement », dit Victoria Nuland, évoquant l’un des trois leaders de l’opposition ukrainienne, le boxeur Vitali Klitschko, par ce sobriquet de son cru.
« Ouais, laissons-le à l’extérieur », opine Geoffrey Pyatt.
Mme Nuland revient alors avec une autre suggestion : « Je pense que Iats est le gars avec l’expérience économique. » Iats, c’est Arseni Iatseniouk, l’ancien banquier qu’elle imagine bien au poste de Premier ministre.
Cet échange (que l’on peut lire ici) est fascinant, ne serait-ce que parce qu’il nous fait entrer dans l’intimité de deux diplomates de haut rang, discutant de la plus importante crise internationale de la décennie comme s’ils étaient en train de choisir les invités de leur prochain cocktail.
Mais faut-il y voir le signe d’une machination américaine visant à orchestrer un coup d’État et attirer l’Ukraine dans le camp occidental ?
C’est ce que croient les adeptes d’une théorie qui circule ces temps-ci sur des sites d’information comme mondialisation.ca.
D’emblée, la première question que l’on devrait se poser est la suivante : Pourquoi l’extrait le moins médiatisé de l’appel est-il « beaucoup plus édifiant » ? Pourquoi les médias n’ont-ils pas choisi les propos les plus édifiants d’un appel fuité ? Il n’est pas nécessaire d’avoir fait des études en journalisme pour savoir que, théoriquement du moins, le rôle du journaliste est de rapporter les faits les plus importants.