Entretien avec la journaliste et essayiste italienne Andrea Marcolongo, formée au lettres classiques, qui s’est fait connaître notamment pour son livre sur le grec ancien La Langue géniale, paru en 2016 en Italie, avant d’être traduit en une dizaine de langues.
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L’université de Princeton a récemment supprimé l’obligation d’apprendre le latin et le grec pour les étudiants en lettres classiques. La raison évoquée ? Lutter contre le « racisme systémique ». Sur sa page web, Diversity and equity, le département des lettres classiques de l’établissement explique ainsi que la culture gréco-romaine a « instrumentalisé, et a été complice, sous diverses formes d’exclusion, y compris d’esclavage, de ségrégation, de suprématie blanche, de destinée manifeste, et de génocide culturel ». […]
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« Je ne ressens pas simplement un bouleversement mais une grande inquiétude. Il ne s’agit pas là du résultat de l’esprit du temps, mais de l’expression d’un malaise. Il n’est pas strictement lié aux lettre classiques, mais à notre capacité à accepter aujourd’hui la pensée. Il y a une volonté de renier le débat, c’est ça le risque que sous-tend cette suppression. Dans cette volonté hypocrite de vouloir respecter le monde entier, on perd la force et l’envie de soutenir une opinion. La pensée ne peut pas être neutre. Les langues anciennes nous rappellent justement cela ; elles nous permettent de former une pensée et ainsi de commencer à dire non. »
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« Pour l’heure, cette volonté de ne plus débattre se situe surtout aux États-Unis. Il n’y a plus de débat, seulement cette "cancel culture", cette culture de l’annulation liée au politiquement correct. On empêche l’autre de prendre position plutôt que de débattre. C’est plus facile, plus paresseux. Sauf qu’à force de tout "canceller", il finira par ne plus rien rester. Je trouve cela effrayant que pendant des conférences on puisse me poser la question : "Faut-il condamner Platon parce qu’il était misogyne ?" D’autres s’interrogent : "Faut-il arrêter d’apprendre Homère parce qu’il ne respecte pas assez les femmes ?" C’est un faux débat ! On a perdu la perspective. On lit des textes pour étudier des langues ; peut-être que certains d’entre eux contenaient des propos misogynes et racistes selon le point de vue de notre époque, mais cela nous donne la possibilité de remarquer ou de contester ces aspects. L’antidote au racisme n’est pas d’effacer la culture mais de savoir prendre position. Chez les Grecs, la tragédie servait certes à mettre en scène des drames pour le plaisir des spectateurs mais aussi et surtout pour montrer les aspects les plus obscurs de l’être humain. Par la catharsis, on était ainsi capable de comprendre nos émotions et de les accepter. »
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« […] On supprime les langues classiques pour éviter de penser. La démocratie intellectuelle non seulement permettait de penser mais elle obligeait à penser. Dans la Grèce Antique, Périclès payait les gens qui n’avaient pas les moyens d’aller au théâtre, parce qu’il disait toujours que les citoyens les plus dangereux étaient ceux qui n’avaient pas de culture. Il avait raison. C’était un engagement pour la collectivité, la société. Aujourd’hui, toute forme de culture est devenue démodée. On demande aux gens d’être performants, mais pas d’avoir une profondeur de la pensée. […] »
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« Il suffit d’offrir à quelqu’un Homère, même traduit en français. Ainsi, on peut se plonger dans la beauté incroyable de la littérature ancienne. Plutôt que de passer son temps à débattre sur l’utilité ou l’inutilité, le racisme des langues anciennes, je propose de revenir à la beauté des langues avec un regard sans a priori. Le texte est magnifique. Il faut étudier cette langue qui nous parle de nous-mêmes. »
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Plongez dans les sources de la culture européenne en vous procurant l’Iliade et l’Odyssée, d’Homère