Mercredi dernier, Le Monde a fait un dossier « Comment sortir de la crise ? Débat d’experts ». On pouvait y trouver un débat a priori alléchant sur « L’inflation peut-elle résorber les dettes publiques ? ». Malgré quelques constats intéressants, le « débat » est resté très politiquement correct.
« L’inflation peut-elle résorber les dettes publiques ? »
Un tel débat paraissait prometteur et rafraîchissant à un moment où les dirigeants politiques n’ont plus que l’austérité à la bouche. En effet, utiliser l’inflation pour réduire la pression de la dette est une idée sacrément hétérodoxe. Mieux, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, qui avait récemment proposé de remonter les objectifs d’inflation, faisait partie des experts convoqués pour le débat. Malheureusement, la subversion s’est arrêtée au titre du débat.
Le sous-titre douche déjà beaucoup d’espoirs : « En France, la hausse des prix a soutenu l’activité de 1950 à 1980. Pas l’hyperinflation en Allemagne et au Zimbabwe ». En effet, convoquer ces exemples extrêmes augure mal de ce « débat ». Comment sérieusement comparer les pays de la zone euro avec le Zimbabwe ? Et même l’Allemagne n’est pas un exemple très pertinent quand on se souvient que l’hyperinflation a eu lieu de 1918 à 1923, suite à la première guerre mondiale et ses réparations…
La pensée unique dans toute sa splendeur…
Si Olivier Blanchard confirme sa volonté de remonter l’objectif d’inflation (pour donner plus de marges de manœuvre aux banques centrales), il se dit « hostile à toute inflation destinée à raboter la dette et qui s’apparente à une expropriation ». Daniel Cohen juge l’idée « complètement en dehors des clous » et soutient l’objectif actuel de 2%. Michel Didier refuse les hausses de salaires. Jean-Pierre Landau (sous-gouverneur de la Banque de France) juge cela « immoral et dangereux ».
Christian de Boissieu n’y croit pas et pointe le danger sur les taux longs tout en soutenant qu’aujourd’hui, l’inflation a davantage lieu sur les actifs. Enfin, Jacques Delors décrète qu’une « telle facilité ne nous est plus permise » et que « nous ne sommes plus maîtres des prix ». Il affirme que l’inflation « appauvrit les moins riches » alors que l’histoire économique des dernières décennies montre le contraire puisque le pouvoir d’achat des moins riches a baissé avec la baisse de l’inflation.
Un manque de curiosité intellectuelle stupéfiant
Comment ne pas être navré devant un tel simulacre ? A quoi bon parler de débat si les six experts sont du même avis ? Le Monde s’est bien gardé d’aller interroger des économistes hétérodoxes comme Frédéric Lordon ou Jacques Sapir qui auraient sans doute fait des propositions différentes sur les moyens de résorber les dettes publiques. Le quotidien vespéral pourrait tout de même se montrer un peu plus ouvert à ceux qui ne pensent pas comme lui.
Trois jours après, un article de Claire Gatinois avec un schéma explicatif affirme que « la suspension des ventes à découvert ne permet pas d’éviter de lourdes chutes en bourse ». Ce papier passe sous silence le caractère auto réalisateur des ventes à découvert. Parce qu’il y a vente d’une action qu’ils ne possèdent pas, les spéculateurs poussent le cours à la baisse et ont donc tendance à gagner leur pari d’une baisse. Claire Gatinois préfère parler « d’écran de fumée » ou « d’action répressive ».
Bref, le Monde démontre ici une curieuse vision du débat où ne sont invités qu’un petit cercle qui partage déjà quasiment le même point de vue. Il est également assez incroyable qu’un journal qui se dit de gauche adhère de manière aussi inconditionnelle à la doxa néolibérale.