Nous sommes sur BFMTV, il est 15 heures, ce jeudi 9 janvier 2014. Les mines sont graves : le tribunal administratif vient d’autoriser Dieudonné à jouer son spectacle au Zénith de Nantes le soir même devant près de 6 000 personnes. Les réactions des amis de la liberté, de la démocratie et de la république sont immédiates. Et sans appel.
Toute la journée, le téléspectateur accro à l’information continue assiste à un étrange défilé, mêlant élus socialistes et responsables d’associations non-élus, qui tombent tous d’accord pour condamner Dieudonné, d’une façon ou d’une autre. Seuls les avocats, malgré un flot de questions aussi pressantes qu’orientées des présentateurs, résistent à ce raz-de-marée qui se dit « républicain » : réticents sur la méthode utilisée, le Conseil d’État qui casse le jugement du tribunal administratif à une vitesse record, et réticents sur l’efficacité à terme du résultat.
Se dessine alors, sous le ballet des intervenants, une sorte de confrérie, non-reconnue par nos institutions, les invités rappelant d’une même voix au « politique » en place et au « juridique » en train de plancher, les atrocités de Dieudonné et du passé, tout en les associant. Personne en plateau n’échappe à cet effet rouleau compresseur. Dans les années 30, les hauts responsables du Parti communiste français recevaient leurs ordres, entre autres, de Jan Valtin, communiste clandestin absolu, gros poisson du Komintern, œil et oreille de Moscou. Avant que Staline ne lâche les « internationalistes », soupçonnés de trotskisme. De la même façon, le défilé des consciences outrées sur BFMTV donne l’impression que Valls est un larbin, leur larbin, que le PS entier s’est brûlé juridiquement pour condamner un seul homme, qui plus est humoriste. Condamné pour avoir injecté du politique dans ses sketches. On est loin des comiques aux ordres.
Il y a 27 ans, Coluche rencontrait un camion sur une petite Ruth, route pardon, soi-disant après un virage, alors qu’il venait de prendre un virage autrement plus dangereux, celui qui le faisait passer de la gauche au populisme. Ayant compris l’arnaque du socialisme à la française, il décida de dénoncer ceux qui le manipulaient, de Goupil à Attali, pour le compte, entre autres, de François Mitterrand. Le parallèle avec le parcours de Dieudonné, passé de l’antiracisme au populisme (entendre l’idéologie qui vise la véritable élite), ne peut manquer d’interroger.
La date du 9 janvier 2014 est donc à marquer d’une pierre noire dans l’histoire du socialisme français, qui s’est abaissé sur ordre, a abaissé la fonction politique, entraînant au fond une justice déjà mal en point. Le PS hollandiste, comme l’UMP sarkozyste, n’est qu’un fusible pour le vrai pouvoir, qui joue de l’alternance comme d’un pipeau afin de brouiller les pistes qui mènent à lui. Si Sarkozy et Hollande sont de brillants marionnettistes, capables d’allumer d’habiles contre-feux (terrorisme d’État, mariage gay), au détriment de l’unité de la nation, ils prennent malgré tout leurs ordres chez ceux qui murmurent à leur oreille.
L’humiliation que vient de subir le pays, et ses vrais patriotes, peut être le signal d’une prise de conscience. Ceux qui ont été frustrés d’humour, de parole libre, outrancière, de provocation et même de scandale, ont montré une colère digne, devant le Zénith de Nantes. Entre quenelles et drapeaux, au son d’une Marseillaise rassembleuse, ils ont jeté à la face des manipulateurs, inventeurs du piège « SOS Racisme », qu’une fraternité black-blanc-beur, qu’une réconciliation nationale étaient possibles. Sauf qu’on a bien l’impression qu’elle gêne, et que certains veulent l’interdire.
Ruth Elkrief à Harlem Désir : « Quand vous voyez ces spectateurs et cette tension, est-ce que vous n’êtes pas inquiet ? »
Le moment le plus fort de cette journée quasi électorale, qui a donné à voir de manière sidérante qui était élu (par tous et pour rien) et qui se proclamait élu (par personne et pour tout) dans notre pays, c’est quand la journaliste Ruth Elkrief perçoit, sur les images de Nantes, la colère populaire, pourtant intelligemment contenue. Tout à la joie de sa victoire, Ruth pose des questions anxiogènes à ses invités. Sur l’écran double, figure à gauche l’image des fans de Dieudonné réclamant justice, scandant « liberté d’expression », et à droite le visage des vainqueurs, vainqueurs grâce à l’arbitre. Un arbitre qui était dans leur camp, le désormais fameux Conseil d’État, à la solde du politique, définitivement discrédité.
Cliché mortel d’une France d’en haut sablant le champagne, mais qui garde un œil inquiet sur la colère montant(e) du bas peuple. Une colère qui fait peut-être écho, dans la mémoire collective des vainqueurs, à ces déchaînements de rage qu’on appelle pogroms, et qui ont heureusement disparu. L’image désastreuse d’une élite jouissant de sa victoire sur les pauvres, une victoire à la Pyrrhus, portant en elle les germes d’une défaite annoncée.
Décision pro-Dieudonné du tribunal administratif
Arno Klarsfeld : « Aujourd’hui la France est le seul pays occidental où des meetings antijuifs peuvent être tenus, euh, qui incitent d’ailleurs certains à, à, assassiner des enfants juifs comme ça s’est passé à Toulouse… »
Alain Jakubowicz : « Je lui rappelle également qu’il doit de l’argent aux parties civiles et notamment à la LICRA, donc je prends acte que cela va être fait, puis je ne doute pas un instant que Dieudonné M’Bala M’Bala va tempérer ses spectacles… »
Le député PS Eduardo Rihan Cypel en direct de l’Assemblée : « Aux yeux des Français aujourd’hui, plus personne ne peut dire qu’on ne connaît pas Dieudonné, on sait qui il est, on sait ce qu’il pense, on sait donc le caractère hors la loi de certaines de ses propos, et aujourd’hui il est démasqué devant les Français, ça c’est une première victoire. »
Jean-Marc Ayrault : « Par contre, ce qui concerne la, la, le combat contre l’antisémitisme sous toutes ses formes, ce combat il doit rester intransigeant et déterminé et il continuera quoi qu’il arrive. »
Pierre Lellouche : « Je suis très très en colère et très en colère parce que je me sens insulté moi par tout ça, par tout ce qui est en train d’arriver, parce que ce n’est pas seulement le ministre de l’Intérieur qui est sanctionné, tous les républicains de ce pays, les méchants sont en train de gagner. »
Meyer Habib, député des Français de l’étranger : « Manifestement la loi n’est pas suffisante, c’est pourquoi je propose dans un projet de loi de renforcer la loi existante pour associer la gestuelle antisémite nazie et négationniste qu’est la quenelle, qu’est le salut nazi, que sera toute gestuelle ayant rapport avec ces organisations euh euh racistes, pour que renforcer l’arsenal législatif pour pouvoir agir plus vite. »
Décision du Conseil d’État contre Dieudonné
Manuel Valls, applaudi à Brest, discourt de la France : « Et qu’elle ne peut pas tolérer la haine de aute, la haine de l’autre, le le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme, ce n’est pas possible, ce n’est pas ça la France et la plus haute juridiction de notre pays l’a dit, et l’a dit clairement, et c’est une victoire pour la république ! »
Jack Lang en direct de l’Institut du monde arabe : « Je suis révolté contre monsieur Dieudonné… L’ignominie de Dieudonné qui est inacceptable… Dieudonné qui est un être abominable ! »
Patrick Klugman, avocat de SOS Racisme : « Je salue aussi Jack Lang parce que je sais tous les combats qu’il a menés contre le racisme, notamment quand il faisait diffuser, ministre de l’Éducation, le film Shoah dans les classes, et c’est aussi une partie de la solution sur le problème Dieudonné mais je m’écarte du débat juridique. »
Aurélie Filippetti, ministre de la Culture : « C’est la France qui a gagné, la France elle s’honore de refuser qu’on puisse proférer des abjections, des contrevérités historiques négationnistes sur la Shoah. »
BHL : « Ils vont comprendre qu’il y a un pacte républicain et qu’on se marre pas bien là-dessus, voilà, on se marre pas bien en traitant une ministre de bo, de bonobo et en regrettant les chambres à gaz pour Patrick Cohen, on peut se marrer sur tout mais pas là-dessus, ben ils vont le comprendre ils vont le savoir. »
BHL : « Je connais bien l’histoire d’Hara Kiri… L’histoire de Charlie Hebdo, il n’y a jamais eu ce genre de saloperie qui a été déversée dans les vidéos de Dieudonné ou de son complice, d’ailleurs par parenthèse dont on parle très peu, qui doit se faire tout petit ces jours-ci, et qui s’appelle Alain Soral. »
Roger Cukierman, président du CRIF : « Ce que j’espère c’est que de la même manière que Internet a réussi à bloquer tout ce qui concerne la pédophilie, j’espère qu’on obtiendra des promoteurs, des porteurs d’Internet de toute nature, des Google et autres, qu’ils s’intéressent à l’antisémitisme et au racisme de la même manière qu’ils ont bloqué la pédophilie, et je crois que c’est possible, c’est une action que nous devons mener auprès de tous les hébergeurs de sites, mais si on y arrive, on permettra enfin d’éliminer ce cancer que représente la parole antisémite ou raciste. »
David Assouline, sénateur PS : « J’avais presque des larmes quand j’ai vu toute à l’heure blacks blancs beurs faire ce geste-là. »
Nicolas Dupont-Aignan : « Monsieur Valls était absent à la Madeleine, quand les Femen se livrent à des actes dégradants à la Madeleine. »
François Kalfon, secrétaire national du PS, crie : « Ce n’est pas le débat ! »