Le dimanche 15 décembre 2013, il fallait regarder Vivement dimanche, de, avec et pour Michel Drucker, le Delarue persistant, comme les arbres du même nom. Et son émission hommage à Guy Bedos, qui n’arrête pas d’en finir, lui qui usait déjà les planches en 1966, sous le règne du Général, à des milliards d’années-lumière de la génération Valls, notre futur président.
- Le comique qui ne fait vraiment plus rire
Un Guy avachi, abattu, dans les cordes, poignardé par le doucereux Drucker, qui touille dans les entrailles d’un passé glorieux : Sophie Daumier, Mitterrand, Giscard, la censure, Le Luron, Desproges, la Gauche, avant qu’elle ne devienne libérale, et sioniste. Américaine, quoi.
Drucker a beau convoquer Joë, madame Bedos, qui raconte que le moteur de son mari est ce noble refus du racisme, de l’antisémitisme, de toutes les haines, on sent que le vieux lion s’est gouré de combat, qu’il a été abusé par la gauche, ce sous-programme de la droite conçu pour baiser les pauvres, et qu’il a en plus participé activement à cette arnaque, ce qui lui laisse un goût amer, très amer. Abusé par son ignorance, abusé par les plus cyniques calculateurs. Guy Bedos, on dirait un enfant violé, qui s’en rendrait compte sur le tard, à la fin. Merde, je me suis fait baiser… Et en beauté : j’ai défendu mon violeur, témoigné pour lui, lui ai filé un alibi, quel con, mais quel cooon !
- « Oui papa, je suis une pute »
(Victoria B. pitchant son film)
Le défilé préparé par Master Drucker est meurtrier : après les potes grabataires, Dabadie l’Académicien, inventeur du sketch bien-pensant avant l’heure, la fille, Victoria, « scénariste de cinéma », qui prépare un truc « autobiographique » sur elle-même. Et que dire du duplex avec Nicolas B., qui se filme sur un building new-yorkais, au sommet de sa suffisance, symbole d’une élite qui ne se rend même plus compte de l’effet qu’elle produit… Une nouvelle aristocratie, qui n’a évidemment pas le courage de faire la guerre, juste celui d’occuper les jobs culturels juteux, au détriment des vrais créateurs.
Et puis Nolwenn, qui vient balancer sa reprise du chant de Noël tiré de l’album « concept » We love Disney, qu’on imagine pas du tout publicitaire, le parc du même nom ne faisant plus le plein… Un CD où figure le fils Dutronc, pour une cover des Aristochats en duo avec Laura Smet, que Thomas ne viendra hélas pas fredonner sur le service public, ça pourrait faire une belle casserole, comme son rôle dans le film de Soral… Misères du passé, et du désir… d’argent !
- À gauche Nicolas vieux, à droite Guy jeune
Une émission fascinante, composée de ce qu’il y a de plus déprimant, avec Boujenah qui déclare sa flamme à Bedos dans une scène de lèche interminable, pour dévier sur la promo de son festival de Ramatuelle, où l’on ramasse ses amis à la truelle…
Cette hebdominicale sent la fin des temps télévisuels : et le contenu et les tuyaux glissent vers le gouffre. On comprend mieux pourquoi la télé s’effondre. Sous le poids des ans, des amis, des réseaux, des pouvoirs, contre les téléspectateurs, dont il ne reste plus que les blessés du troupeau, victimes du Prédateur : les fatigués de la life, et les intoxiqués chroniques. Logiquement, un jour, le dernier, Drucker fera son show devant un carré de nonagénaires en plateau… mais tous les téléspectateurs auront déserté le poste. C’est Michel qui aura le mot de la fin, entre cynisme assassin et humour copain, en s’adressant à Guy : « On va prendre une tisane maintenant ? »
Nicolas, celui qui risque de nous faire regretter Guy
- Ciel, mon ex à la météo !
Nicolas Bedos est cet être essentiel qui prend dans les médias une place à la mesure de sa grosse tête pour nous raconter des histoires de cul avec ses poufs. Comme il n’a rien à dire, ce discours était auparavant circonscrit dans les pages sinistrées de Marianne. Aujourd’hui, il se répand.
On rappelle que la télé devait être, dans l’idée de ses concepteurs, une sorte d’école pour tous, un service public audiovisuel, qui enseignerait des choses, mais aussi une lucarne pour se divertir. Car les gens travaillent, et tout le monde n’a pas la chance de voir Gad Elmaleh en vrai, au prix où sont les places.
Or qu’apprend-on aujourd’hui par le poste ? Que Nicolas Bedos a fricoté avec la Miss météo de Canal (élue par qui ?), et que ces deux êtres supérieurs règlent leurs comptes devant tout le monde. Sainte Mère de Dieu. Si personne n’est obligé de regarder la télévision en général, et Le Grand journal en particulier, on n’est pas non plus obligés d’abandonner l’outil télévisuel à ces occupants, surtout qu’on le paye deux fois, comme les autoroutes à péages.
- Il va falloir chasser les occupants des médias avec autre chose que des mots
Occupants, oui, de Occupation. Ils occupent l’espace médiatique à la place de personnalités plus riches et moins arrogantes : un cancérologue, une paléontologue, un plombier qui raconte comment changer un robinet (bon maintenant y a les tutos du Net pour ça), un SDF qui raconte sa chute, ou une femme au foyer en HLM avec trois enfants qui jongle avec trois boulots au black. Non pas qu’il faille gaver le téléspectateur moyen avec des pathos ou des penseurs abscons à l’heure des repas (qui se raréfient en temps de crise), mais on peut faire mieux, question connaissance.
Ce qui veut dire que cette occupation de l’espace médiatique, avec des histoires de cul ou de merde, est un choix politique (pléonasme 1) : la télévision est un territoire occupé par ces envahisseurs venus du showbiz et de la politique (pléonasme 2). Le milieu médiatico-politique ne travaillant que pour lui-même, la moindre brèche non directement propagandiste est aussitôt bouchée par des bedosseries.
- Lors de la soirée « La culture contre la haine », Guy montre plus de haine que de culture
Le père Bedos, lui, au moins, fait de la propagande à l’ancienne, en accusant Marine Le Pen de faire une campagne à la… Hitler (un Allemand qui s’est suicidé après avoir fait des bêtises). C’est une opinion, celle d’un homme fatigué, qui a été lucide cinq minutes sous le pouvoir de la vieille droite pré-libérale des années 70. Quand la dominance était grossière, facile à dénoncer. Aujourd’hui que cette dernière est plus complexe, le père Bedos sert le pouvoir (alors qu’il se pense rebelle) en tirant sur les derniers opposants vivants. Une erreur de jugement pardonnable, les humoristes n’ayant jamais particulièrement brillé par leur finesse d’analyse.
Ce n’est donc pas un hasard si l’entreprise Bedos Père & Fils contribue à nous boucher l’horizon médiatique, l’un remplaçant l’autre (ou le poussant vers la retraite, voire pire) grâce à un discours darwinien plus adapté. Leur métier est de tromper l’œil, ils sont payés grassement pour ça, et ne s’en rendent même pas compte.
Voir aussi, sur E&R : « Guy Bedos enfin drôle ! »