David Cameron met la Grande Bretagne au régime sec : 81 milliards de livres de coupes budgétaires et 29 milliards de hausses d’impôts. Un plan d’austérité qui cible essentiellement les plus pauvres et les fonctionnaires, menacés de chômage pour un quart d’entre eux ! Dans un éditorial, Le Monde salue le courage de David Cameron et qualifie ce plan de juste. Une invite indiscutable à entendre sans tarder cet appel libéral de Londres.
« Experts de l’UMP et du PS, prenez d’urgence le TGV pour Londres –s’il n’y a pas grève ». L’ironique injonction provient du Monde, historiquement chrétien-démocrate, en à peine un édito le quotidien a viré sa cuti. L’appel libéral-conservateur de Londres a retenti jusqu’à Paris.
En plein conflit social sur les retraites, plus globalement sur les acquis sociaux, l’éditorialiste du Monde tente un détour par la Grande Bretagne pour mettre en avant le concept « d’austérité juste », tel un message subliminal envoyé tant aux élites réformatrices qu’aux masses contestataires – encore qu’il ne fait aucun doute que les premières lisent beaucoup plus Le Monde que les secondes…-.
En quelques paragraphes, le journal dresse un éloge du courageux David Cameron et adresse ses félicitations les plus sincères pour le plan d’austérité imaginé par ce brillant cerveau.
« Un blitz budgétaire » comme ils n’en avaient pas connu depuis des générations » : mélange de coupes dans les dépenses publiques et de hausses d’impôts destiné non seulement à s’attaquer et au déficit publique du royaume, mais aussi à recalculer, à la baisse, bien sûr, l’importance de l’Etat dans la vie des Britanniques ». Il ne s’agit que d’un constat, étant entendu comme acquis que toute réforme qui ne s’en prendrait pas au train de vie –sous entendu fastueux- de l’Etat n’aurait pas lieu d’être.
Dans sa grande bonté, David Cameron, épargnera « l’éducation et la santé » indique Le Monde, qui va un peu vite en besogne. L’éditorialiste précise en effet aussitôt « les maladies de longue durée verront leurs ressources affectées ».
La fonction publique va perdre plus de 500.000 emplois et comme un coup au foie, le journal assène : « L’âge de la retraite, enfin : 66 ans en 2020 ». A bon entendeur…
La plupart des éditorialistes britanniques ont qualifié ce plan de plus violent que les mesures d’austérité prises par Thatcher au début des années 80. Pas l’éditorialiste du Monde qui reprend au mot près, l’argumentaire du camp conservateur qualifiant ce plan de « juste et progressiste ».
Il ignore également une autre dimension du plan Cameron : en organisant une austérité drastique, le premier ministre britannique s’oppose, d’une certaine façon, à Obama. Le Président américain considère en effet qu’imposer l’austérité maintenant risque de faire replonger les pays développés dans la récession.
Si tous les pays européens devaient suivre l’exemple anglais, comme le prônent Le Monde et l’Express, les chances de nous voir replonger dans la dépression en seraient renforcées. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’exemple grec : ce pays n’est-il pas en train de préparer un deuxième plan d’austérité ?
Moins de fonctionnaires, plus d’indigents ?
« Juste » parce que « l’augmentation de la fiscalité cible les hauts revenus comme la droite française n’ose pas le faire ». Certes, le gouvernement maintient le taux d’imposition des tranches supérieures à 50%, certes la taxation sur les plus-values augmente.
Les salariés qui touchent plus de 150.000 livres par an (140.000 euros) devraient voir leurs impôts augmenter de 355 livres (330 euros). Ils s’en remettront. On le sait moins, le taux d’imposition des sociétés est ramené de 28% à 24%. La City s’en est déjà félicitée.
Surtout la TVA passe de 17,5% à 20 %. Bref, des mesures d’austérité symboliques pour les hauts revenus qui viennent justifier les coups de massue assénés de tous côtés aux classes populaires. C’est ce que Le Monde qualifie de « juste ».
« Les coupes dans le budget social introduisent une progressivité dans la fourniture des prestations qui malmène les classes moyennes, comme la gauche française n’oserait pas le faire, et ce afin de protéger les plus riches » s’extasie le journal prêt à déménager au cœur de la city. Baisse des allocations maternité, handicap, logement, allocations familiales. Des économies très relatives, puisque parmi les 500.000 fonctionnaires « sortis » du service public, un nombre certain viendra grossir les rangs des demandeurs d’emplois qui seront autant de bénéficiaires d’allocations.
Certains journaux s’en inquiètent déjà. Ainsi le Daily Telegraph r ecense les diverses aides à l’emploi, s’adressant clairement aux 500.000 fonctionnaires ciblés : « si vous perdez votre job, le gouvernement continuera-t-il à vous aider suffisamment ? ».
Le Guardian propose une Google Map qui estime comment une ville comme Leeds sera frappée par le plan Cameron. La ville est bardée de tâches rouges sang.
Mais le Monde n’en démord pas, le plan d’austérité a « le mérite de la détermination et d’être administré avec le souci d’une certaine justice sociale ». Même Pierre Rousselin, l’éditorialiste du Figaro, s’interroge sur ce « remède de cheval » : « Une telle austérité budgétaire est un double pari, économique et politique. David Cameron veut agir vite et compte sur le secteur privé pour assurer la croissance. Mais la faible reprise actuelle ne risque-t-elle pas d’être tuée dans l’œuf par un excès de rigueur ? »
En 1987, après huit années de gouvernement, Le Monde tirait un bilan « ambigü » du thatchérisme. Plus de 20 ans plus tard, alors que l’Europe affronte une tempête économique et sociale, le fantôme du thatchérisme hante à nouveau la Grande Bretagne. Entre temps, Le Monde a changé…