Le processus de réarmement planétaire se poursuit allègrement en 2009 alors que les dépenses militaires continuent d’augmenter en exerçant une ponction importante de ressources qui devraient servir au développement humain. En même temps, la crise financière qui sévit à l’échelle mondiale pousse les gouvernements à prélever des sommes astronomiques dans les budgets nationaux pour sauver les avoirs des plus riches. Ces deux phénomènes combinés entraînent un processus d’appauvrissement généralisé et contribuent à la désintégration des sociétés.
Cet article a pour objectifs de décrire brièvement les interrelations entre ces deux processus et de proposer une alternative propre à promouvoir le développement, la sécurité et les droits humains pour tous.
I. Des dépenses militaires en hausse constante
Selon le SIPRI, les dépenses militaires mondiales ont été en hausse constante depuis 1998 (Figure 1). Elles ont atteint en 2007 la somme totale de 1339 milliards de dollars dont 45% correspondant à la part des États-Unis qui ont déboursé 541 milliards de dollars, c’est-à-dire 3,4 % de plus qu’en 2006. La Grande-Bretagne occupait la deuxième position avec des dépenses de 59,7 milliards de dollars. La Chine suivait de près avec 58,3 milliards de dollars et la France avec des dépenses de 53,6 milliards de dollars (radio-canada.ca).
En 2008, il importe de le rappeler, l’administration Bush, pour l’année fiscale allant d’octobre 2008 à septembre 2009, a alloué une somme de 3 100 milliards de dollars pour la défense y compris les dépenses pour les guerres de l’Afghanistan et de l’Irak. Le budget national de la défense des États-Unis atteindra cette année la somme de 606,4 milliards de dollars s’avérant le plus gros budget consacré aux dépenses militaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À titre de comparaison, celui de la Russie est de 33 milliards de dollars pour l’année fiscale 2007 et celui de la Chine, de 46,7 milliards de dollars (humanite.fr).
Figure 1. Les dépenses militaires mondiales 1988-2007
Source : globalissues.org
Avec les turbulences et les bouleversements causés par la crise financière globale il est permis d’anticiper une augmentation substantielle des budgets qui seront consacrés cette année et en 2010 à la défense et à la sécurité dans le monde, des dépenses effectuées au détriment du développement humain. Ce qui est encore en chantier c’est la modernisation de systèmes pour assurer la sécurité des infrastructures et des dispositifs nécessaires au bon fonctionnement et à l’expansion des complexes militaro-industriels. Les projets militaires sont, cependant, de plus en plus conçus pour une surveillance accrue des citoyens et pour mater les insurrections ou les révoltes populaires qui risquent de se multiplier au cours des prochaines années.
Les dépenses militaires en 2008
II. Les dollars des plans de sauvetage recyclés dans le commerce mondial des armements
Il apparaît plus que probable que les sommes colossales inscrites dans les plans de sauvetage financier des grandes banques seront recyclées en grande partie dans le commerce mondial des armements à l’instar de ce qui a été réservé aux pétrodollars au cours des dernières décennies du vingtième siècle. Nous le pensons en raison des deux facteurs suivants : le premier concerne le taux élevé de concentration spatiale des ressources financières des plans de sauvetage dans les principaux pays exportateurs d’armements et le second réside dans les règles du fonctionnement intrinsèque du système capitaliste lui-même.
Les principaux pays exportateurs et importateurs d’armements
Selon les données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), cinq pays, les États-Unis, la Russie, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, contrôlent 64% du commerce des armes dans le monde. En 2007, on a connu des transactions d’achats et de ventes d’équipements militaires de toute nature de l’ordre de 1130 milliards de dollars. Ce commerce a été l’affaire des États-Unis dans une proportion de 48% (degerencia.com).
Selon les données du dernier rapport du même organisme rendu public la semaine dernière, le commerce des armements a connu une augmentation de 22% entre 2002 et 2007. Les principaux acheteurs ont été la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient et Israël. En Amérique latine, le principal acheteur d’armes classiques a été le Chili qui a fait l’acquisition de bombardiers F-18 hollandais pour la somme de 260 millions d’euros (utopiacontagiosa.wordpress.com).
Les modi operandi des opérations financières du capitalisme
Les modi operandi privilégiés par les banques sont d’investir dans les secteurs forts de l’économie et celui de la défense a toujours été favorisé en ce sens puisqu’il génère in se, étant en constante expansion, d’immenses profits tant pour les producteurs que pour les fournisseurs des armées nationales et, en conséquence, pour les investisseurs et bailleurs de fonds. Les diverses interventions des États occidentaux pour sauver l’économie capitaliste se sont matérialisées dans des plans de sauvetage qui, selon les dernières estimations (prisonplanet.com), totalisent la somme de 8.5 trillions de dollars (un trillion représente 1000 milliards). Cette somme énorme a été prélevée à même les budgets nationaux en menaçant le maintien des programmes sociaux et en fragilisant grandement les dispositions des conventions collectives de travail.
III. Le marketing des industries de la mort
Pour fomenter une recrudescence ou effervescence continue des dépenses militaires en vue de l’acquisition de nouveaux équipements et pour assurer la maintenance des installations et conserver le personnel requis il va de soi qu’il faille encourager le commerce international des armes. Des salons ou foires exposant les armements les plus modernes sur le marché sont tenues un peu partout dans le monde. La semaine dernière, la Turquie accueillait à Istanbul (Figure 3) les « grands noms de l’industrie de la défense à l’occasion de la neuvième édition du salon international IDEF » (spyworld).
Ces foires se tiennent à l’ombre ou en catimini et les informations sur les contrats d’achats ou de ventes de matériel de guerre restent secrètes. Ils ne sont divulgués qu’au moment où ils constituent un levier politique au cours des campagnes électorales. C’est alors qu’ils sont dévoilés par bribes, en faisant partie du programme politique des partis susceptibles de former le gouvernement au pouvoir.
Cette foire, comme des dizaines d’autres qui se produisent chaque année sur tous les continents, permet aux producteurs et exportateurs d’armements de faire connaître leurs nouveaux produits à des acheteurs éventuels. Ainsi, à Istanbul, ce salon a hébergé, les 29 et 30 avril, 462 exposants en provenance de 45 pays. Un total de 42 délégations officielles étaient au rendez-vous. Il s’agit, en fait, de la plus importante foire commerciale de la Turquie (spyworld-actu.com).
Les équipements pour la guerre exposés
Les systèmes et équipements exposés concernent les dispositifs de défense terrestre, navale, aérienne et aérospatiale, de transport et d’activités logistiques de support et d’équipements et de matériaux pour l’approvisionnement des armées nationales (idef07.com).
Lors de la cérémonie d’ouverture :
« Le ministre de la Défense de Turquie a rappelé qu’auparavant les approvisionnements des forces armées turques se faisaient par des achats directs ou bien des productions communes, tandis qu’à partir de 2000, l’objectif de l’industrie de la défense a été de développer des conceptions personnelles dans les domaines prioritaires et de constituer une structure adaptée à la compétitivité internationale dans l’industrie de la défense, en s’orientant à des partenariats et coopération au cas où les possibilités de design n’étaient pas possibles et donné les informations ci-dessous : Tous les systèmes conçus en Turquie, sont des systèmes opérationnels et exportés à divers pays : systèmes de ciblage et vue de nuit, radio tactique, système radar de contrôle de tir, les véhicules blindés, les boat de patouille et de surveillance maritime, systèmes de défense aérienne basse altitude, simulateurs d’avion et hélicoptère, cartes électroniques, divers types de roquettes et armes… La plupart des projets sont des projets RD lancés avec TUBITAK en 2005, auprès des autres projets de recherche et développement (RD) soutenus par le Fonds de soutien à l’Industrie de défense et du ministère de la Défense nationale. » (trtfrench.com).
Le Canada est en lice avec quatre expositions en 2009 et 2010
Industrie Canada présente le calendrier de telles foires pour la période allant de mars 2009 à juillet 2010 (ic.gc.ca). Les 27 événements répertoriés seront tenus principalement dans les grands pays exportateurs d’armements tels que les États-Unis, l’Australie, l’Italie, la France et le Royaume-Uni et dans certains pays s’avérant parmi les bons acheteurs ou intermédiaires potentiels tels que le Canada, le Chili, Dubai ou Singapore. Au Canada, quatre salons auront lieu à Vancouver, à Halifax, à Montréal et à Ottawa. La capitale nationale accueillera CANSEC 2009 les 27 et 28 mai prochain (defenceandsecurity.ca ). Il s’agit de la plus grande exposition de matériel de défense au Canada. CANSEC 2009 exposera les produits de la défense et les technologies avancées à l’intention des agences gouvernementales et les départements intéressés par la sécurité, la protection du public et les plans d’urgence.
CANSEC 2009 constituera la dixième du genre à se tenir à Ottawa, « ce qui démontre, selon les organisateurs, la grande valeur qui est accordée au fait de rassembler les praticiens de la sécurité avec les représentants de l’industrie. En reconnaissant l’importance de la sécurité nationale et continentale, dans la conjoncture actuelle, l’exposition présentera les capacités industrielles et les services offerts propres à aider le Canada à remplir ses obligations en matière de sécurité intérieure et internationale » (defenceandsecurity.ca).
On prend soin de noter que l’exposition est réservée exclusivement pour les employés du gouvernement, le personnel militaire et de la sécurité canadienne et les membres de l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité (CADSI). Aucune exception ne sera accordée.
IV. Comme pour les dépenses militaires une autre vocation pourrait être donnée aux plans de sauvetage
Des investissements dans les secteurs de l’éducation, de la santé et dans la restauration et la protection de l’environnement seraient beaucoup plus rentables et de nature à profiter à tous. En effet, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reprises par le PNUE dans GEO-4 « les coûts et les bénéfices nécessaires pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement en matière d’eau et d’hygiène s’élevaient à un montant total d’environ 26 milliards de dollars avec des rations coûts-bénéfices allant de 4 à 14, Différents scénarios possibles préparés par la Banque mondiale bien que doublant les coûts estimés par l’OMS entraînent encore un ratio coûts-bénéfices de 3.2 à 1 et pourrait sauver la vie de plus de 1 milliard d’enfants âgés de moins de 5 ans à partir de 2015-2020 » (PNUE, 2007, p. 492). Selon les données du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), « la somme nécessaire au cours des 15 ou 20 prochaines années pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement en vue de garantir la durabilité de l’environnement (objectif no 7) se situe probablement entre 70 et 90 milliards de dollars par an » (PNUE, 2007, p. 492).
Quelques organisations œuvrant pour la coopération internationale pour le développement ont essayé de mesurer l’ampleur ou le poids considérable de ces ressources financières qui ont été consenties pour sauver l’économie capitaliste des pays riches d’un naufrage inévitable. Selon Duncan Green, les sauvetages, globalement, en date de janvier 2009, selon les estimations d’Oxfam, montrent que les sommes accordées ou promises aux banques et aux autres services financiers jusqu’à alors étaient de l’ordre de 8.424 trillions de dollars, soit $903 milliards de fonds gouvernementaux, $661 milliards pour l’achat d’avoirs toxiques ; $1.38 trillions de prêts et plus de $5.48 trillions pour garantir des dettes. Ce qui équivaut à plus de 1 250 dollars pour chaque homme, chaque femme et chaque enfant de cette planète » (whitebandaction.org).
Selon le même auteur, la somme de 173 milliards de dollars serait le coût annuel pour mettre fin à l’extrême pauvreté dans le monde, c’est-à-dire, une somme qui permettrait aux 1.4 milliards d’habitants ayant un revenu inférieur à $1.25 par jour de sortir de leur état de pauvreté. Il concluait en soulignant le fait que les ressources allouées au sauvetage financier global seraient suffisantes pour mettre fin à la pauvreté dans le monde pour les 50 prochaines années (whitebandaction.org).
Conclusion
Le processus de réarmement planétaire ne semble pas, à nos yeux, hypothéqué ou même stoppé par la crise financière. Bien au contraire, les plans de sauvetage des économies fondées largement sur la production d’armements ne peuvent que leur être favorables comme c’est le cas pour les États-Unis et les membres de l’Union européenne L’impact de la débâcle financière s’avère très lourd pour l’ensemble des conditions de vie de la population mondiale. Elle ne peut que rendre encore plus vulnérables les populations pauvres ou déjà appauvries par l’augmentation du chômage et par les difficultés d’accès aux ressources vitales comme l’eau et l’alimentation.
Avec le grand réarmement et la crise financière combinés le monde est entré à l’intérieur d’une spirale de déficits et de dettes publiques gigantesques qui mettent en péril la protection des droits humains et des libertés fondamentales. Plus que jamais le processus d’appauvrissement de la majorité semble se développer à un rythme rapide (Michel Chossudovsky, La débâcle fiscale des États-Unis), car les solutions adoptées par les gouvernements ne sont propres qu’à accentuer la dynamique de cette spirale de la précarité, de l’esclavage, de la maladie et de la mort et ce dans le seul but de sauvegarder les avoirs et d’accroître le pouvoir des individus les plus riches de cette planète.