Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 10
Question de Mme Marie-Françoise Bechtel, conseillère d’État, à M. Patrick Calvar, directeur central du renseignement :
« Je souhaiterais vous soumettre deux questions. D’une part, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, en 2012, nous nous étions interrogés sur l’opportunité d’autoriser l’espionnage actif des réseaux informatiques, c’est-à-dire le fait, pour un agent, de pénétrer un réseau et d’engager un dialogue avec les terroristes qui y participent. Pour des raisons constitutionnelles, nous n’avions pas examiné ces dispositions. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de donner ce pouvoir aux services de renseignement ?
D’autre part, la lutte antiterroriste semble de plus en plus fréquemment servir de prétexte à un espionnage économique de la part de pays alliés. Ces pratiques, qui ont toujours existé, semblent aujourd’hui être massives, comme le suggère l’affaire des écoutes américaines, et s’appuient vraisemblablement sur des technologies très avancées. À votre avis, la mise en place d’un bouclier numérique est-elle envisageable, afin de contrer toute tentative d’espionnage et, en particulier, ces écoutes massives de la part de pays alliés ? »
Réponse de M. Patrick Calvar :
« Pour répondre à votre première question, il existe à l’évidence une nécessité absolue de se doter de moyens performants de surveillance de l’Internet, qui est aujourd’hui au cœur des entreprises terroristes, des actions prosélytes, des processus de recrutements et du montage d’opérations aboutissant in fine à des actions violentes. Des réflexions sont en cours pour déterminer les moyens de progresser en la matière, mais on ne peut en rester à une réflexion hexagonale. Un approfondissement de la coopération internationale est nécessaire, car il s’agit le plus souvent de surveiller des serveurs situés hors de notre territoire.
La réflexion doit, au-delà de notre pays, être européenne, et même étendue à d’autres pays. Nous devons aussi réfléchir à la création de nouvelles incriminations pénales, afin notamment de mieux poursuivre les administrateurs des sites en question. Aujourd’hui, les infractions à la loi sur la presse, qu’il s’agisse d’incitations à la commission d’actes ou d’apologie d’actes terroristes ne suffisent pas à engager de telles poursuites ; nous parvenons tout au plus, dans certaines affaires, à engager des poursuites sur le fondement de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, dès lors que les personnes mises en cause ont commis des actes positifs, par exemple l’envoi d’agents sur des zones de Djihad.
S’agissant des dérives que vous évoquiez, relatives à l’utilisation des moyens de surveillance d’Internet aux fins d’intelligence économique, je crois que notre pays n’a pas assez pris conscience des dangers que représente l’Internet. Les pouvoirs publics doivent mener une réflexion d’ensemble sur cette question, en s’appuyant sur les organismes existants afin d’inciter les entreprises françaises à engager des démarches d’autoprotection. La sécurité n’est pas une chose naturelle chez nos compatriotes. Nos entreprises n’ont pas la culture qu’ont les entreprises anglo–saxonnes en la matière. Or, la révolution numérique nous montre à quel point le danger est à nos portes, et même a franchi nos portes.
C’est un des enjeux majeurs de demain. Nous souhaitons nous doter d’une capacité de lutte, mais cette capacité ne sera pas suffisante, donc il faut, dans le cadre de la communauté du renseignement, que nos services s’intègrent à d’autres, notamment l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Il faut aller plus loin, au travers de l’éducation, pour modifier les comportements, dans une logique sécuritaire. »
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