Robert Barcia, alias Hardy, fondateur de Lutte ouvrière, est mort. Un décès qui remonterait à plus d’un an, mais dont la presse était restée ignorante tout ce temps.
Le Monde a pu confirmer, de sources proches, l’information révélée sur le site Marianne2, qui reproduit son extrait d’acte de décès. Robert Barcia serait décédé le 22 juillet 2009, soit quelques mois avant la mort d’une autre figure historique du trotskisme, Daniel Bensaïd, cofondateur, lui, du "frère ennemi", la LCR (ligue communiste révolutionnaire).
Si la mort d’Hardy est restée secrète, "à sa demande", explique-t-on au sein de Lutte ouvrière, sa vie le fut tout autant. Longtemps connu par son seul pseudonyme, il a fait l’objet de toutes sortes de rumeurs. On disait qu’il était un grand patron, à la tête d’un groupe pharmaceutique.
La réalité, plus prosaïque, est celle d’un fils d’ouvriers communistes, engagé dans la Résistance durant la seconde guerre mondiale, avant de devenir visiteur médical, puis de fonder, dans les années 1960, sa propre société de visites de médecins, OPPM, dont il se fait une fierté de ne tirer aucun bénéfice personnel.
L’engagement de Robert Barcia commence avec la guerre. Mais il s’éloigne rapidement du Parti communiste, notamment après le meurtre de Mathieu Buchholz, jeune militant du PC asssassiné dans le cadre d’une purge interne, pour rejoindre le trotskisme. Il se rapproche de Pierre Bois, leader d’une grève aux usine Renault en 1947, et de Dakid Korner, alias Barta, militant trotskiste roumain, inflitré au sein du Parti socialiste ouvrier et paysan, dissidence de la SFIO, puis fondateur de l’Union communiste. Le groupe éclate rapidement du fait de divergences idéologiques.
Parallèlement, après sa séparation d’avec Bois et Barta, Robert Barcia participe au journal Voix ouvrière, qui sera à la base de Lutte ouvrière. Le parti apparaît après 1968, d’abord dans les entreprises, puis sur le terrain politique, avec la candidature d’Arlette Laguiller à la présidentielle de 1974. Robert Barcia fixe la ligne politique et les orientations du parti, tout en restant dans l’ombre.
Lutte ouvrière prépare ses militants à la révolution, en leur imposant une discipline parfois dure. Ainsi, contrairement à une partie de la gauche antimilitariste, les membres de LO sont incités à faire leur service militaire pour apprendre à manier les armes. Robert Barcia écrit aussi : "Nous n’interdisons pas à nos militants d’avoir des enfants. Ce choix leur appartient, mais avoir et élever des enfants empêchera de se qualifier réellement et de se consacrer à notre lutte."
La discrétion d’"Hardy", qui s’associe à un certain culte du secret au sein de Lutte ouvrière – pas étranger au fait que la mort du fondateur du mouvement soit restée inconnue du public durant plus d’un an –, lui vaudra d’être la cible de tous les fantasmes. Un livre l’accuse notamment d’avoir des parts dans de grands groupes pharmaceutiques, voire d’être un interlocuteur privilégié du lobby des industries pharmaceutiques. Robert Barcia attaque son auteur en diffamation et gagne le procès.
Malgré l’aspect radical de son programme, Lutte ouvrière tire bénéfice de la figure emblématique d’Arlette Laguiller pour réaliser des scores élevés compte tenu de la taille du parti, qui ne compte que quelques milliers de militants. En 2002, elle dépasse les 5 %. Mais le score du parti est, depuis, retombé au-dessous de 2 %. Et le parti a du mal à retrouver une figure après la retraite d’Arlette Laguiller, remplacée par Nathalie Arthaud comme porte-parole.
Quelques semaines avant la mort de Robert Barcia, son parti obtenait 205 975 voix aux européennes, soit 1,20 % des suffrages. Une contre-performance. Mais "les idées que nous défendons aujourd’hui, il n’y a que nous pour les défendre", estimait alors le fondateur du parti. "Alors, nous continuerons à les défendre quel que soit le sens des vents dominants. Si j’ai servi un tant soit peu à la transmission de ces idées, ma vie n’aura pas été inutile", ajoutait-il.