Après la désastreuse intervention franco-otanienne en Libye qui a eu pour résultat de disloquer les équilibres régionaux, les fondamentalistes musulmans ont entrepris de faire du Sahel un nouvel Afghanistan.
Créés par les services algériens – comme les jihadistes afghans le furent par les Américains -, ils ont pris leur totale autonomie avant de se retourner contre Alger. Aujourd’hui, les principaux groupes salafistes qui opèrent au Sahel et au Sahara sont dirigés par des Algériens et très majoritairement composés d’Algériens. Ils se sont armés en puisant dans les arsenaux libyens.
Ces groupes qui opéraient primitivement dans la partie « arabe » du Sahara ont noué des alliances avec certaines composantes touareg, ce qui leur a permis d’étendre leur zone d’influence. Aussi, quand, au mois de janvier 2012, éclata l’insurrection des Touareg du Mali regroupés dans le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), fondé par le colonel Ag Gamou, ancien de l’armée libyenne, une politique intelligente, et je n’ai eu de cesse de le dire, aurait consisté à soutenir ces derniers contre les islamistes.
Aujourd’hui, deux grands fronts sont ouverts dans l’ouest saharien. Celui du Nord concerne directement les Algériens. Le second a son cœur au Mali où deux guerres se déroulent. L’une est menée par les Touareg du MNLA qui ont proclamé l’indépendance de l’Azawad, l’autre l’est par les diverses fractions salafistes sahariennes. Ces deux guerres sont à base ethnique car le MNLA est l’émanation des Touareg, essentiellement Ifora, tandis que le Mujao (Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest) est composé d’Arabes ou de Berbères très anciennement arabisés. Ces derniers ont toujours lutté contre les Touareg pour le contrôle des axes transsahariens et aujourd’hui, ils prolongent cette politique sous le couvert de l’Islam radical.
Le clivage ethno religieux est donc très clair, y compris dans le mouvement Ançar Eddine qui se veut lui aussi jihadiste et qui est pourtant à l’origine une composante de la rébellion touareg. Son fondateur, Ayad Ag Ghaly, figure historique de l’irrédentisme touareg l’a en effet créé après qu’il eut été écarté de la direction du futur MNLA par ses frères ifora ayant servi le colonel Kadhafi. Comme il lui fallut alors un « créneau » d’existence, il choisit de s’appuyer sur les salafistes. Aujourd’hui, son pouvoir ayant été contesté par son commandant militaire, un Arabe nommé Omar Hamaha, Ançar Eddine a de fait éclaté sur une base ethnique, sa composante touareg voulant l’indépendance de l’Azawad cependant que sa fraction arabe y est totalement opposée puisqu’elle revendique au contraire la création d’un khalifat islamique transnational.
Au début de la deuxième semaine du mois de mai, la composante touareg d’Ançar Eddine a même rejoint le MNLA à Gao où s’est tenue une conférence rassemblant les chefs des tribus touareg et dont le but était de définir une politique commune face à la menace islamiste qui plombe la revendication indépendantiste. Lors de cette réunion, un ultimatum a été adressé aux islamistes qui ont jusqu’au 17 mai pour quitter la région. Après cette date, ils seront considérés comme des ennemis et pourchassés. Afin de ne pas perdre la face, Ayad Ag Ghali dont le zèle islamique récent étonne ceux qui le connaissent, a accepté de repousser la question de la charia à la tenue d’un référendum populaire après l’indépendance effective de l’Azawad. L’entente fut également trouvée sur le nom du nouvel Etat, la dénomination République islamique de l’Azawad ayant été abandonnée au profit de République de l’Azawad.
Une autre nouveauté de taille est intervenue ces derniers jours quand le colonel Ag Gamou, un Touareg de la tribu Imghad, a annoncé la création du MRRA (Mouvement républicain pour la restauration de l’Azawad). Ce groupe armé voulant engerber les diverses populations du nord Mali comme les Songhay, les Peul, les Arabes et certaines tribus touareg, refuse l’islamisme tout en militant pour l’autonomie, et non l’indépendance, de l’Azawad. Le MRRA semble être soutenu par la Mauritanie, mais d’abord par l’Algérie qui ne veut pas plus d’un Etat touareg que d’une zone de non droit au sud de sa frontière.
L’irruption du MRRA risque de changer les rapports de force locaux en raison du poids des Imghad au sein de l’ensemble touareg et du soutien que paraît lui apporter le FNLA (Front national de libération de l’Azawad), mouvement essentiellement maure et arabe, lui aussi opposé aux islamistes mais partisan de l’autonomie de l’Azawad. Si le colonel Ould Meidou, un Arabe, ancien commandant de la région de Mopti le rejoignait comme certains indices semblent le laisser prévoir, un basculement de la situation pourrait s’opérer aux dépens à la fois des islamistes et du MNLA. Ce dernier risquerait alors la marginalisation et le repli ethno géographique sur la partie purement touareg et désertique de l’Azawad.
L’union autour du MRRA permettrait donc de repousser les islamistes tout en contraignant le MNLA à revenir sur sa déclaration d’indépendance. Dans l’immédiat, plus que le danger islamiste qui semble en passe de pouvoir être contenu, la probabilité est davantage celle de guerres fratricides entre Touareg Ifora et Imghad, entre Ifora venus de Libye et ceux obéissant à Ag Ghaly, entre Arabes et Touareg…
Quoiqu’il en soit, l’Azawad a échappé à Bamako et cela même si la carte du pays n’est pas redessinée. L’option de sortie de crise pourrait alors être celle d’une très large autonomie de cette immense région autour de ses trois grandes composantes ethno géographiques à savoir : la partie sud, le long du Niger, notamment peuplée par des Songhay et des Peul ; la partie nord, ou cœur de l’Azawad, territoire des Touareg et l’ouest saharien « arabe ».
L’aspiration naturelle de toute société humaine qui est « une terre, un Peuple » étant satisfaite, il serait ensuite possible de régler militairement la question islamiste, cette artificielle tentative de placage universaliste sur des populations saharo-sahéliennes parfaitement identifiées par l’histoire.