Il y a un demi-siècle, les Français d’Algérie avaient le choix entre « la valise ou le cercueil ». Ils choisirent la valise. En 2015, les Français qui s’intéressent à l’information ont le choix entre « la propagande ou le complot ».
La Shoah est donc devenue le problème numéro un pour les 12 747 800 jeunes Français qui vont à l’école, au collège, au lycée ou dans les universités. Lorsque l’enfant grandit, son corps change, son esprit suit avec plus ou moins de difficultés, et soudain, il découvre la Shoah, il devient progressivement shoah, et, suppléant une école encore trop déficiente en matière de shoatologie, les médias lui dispensent des cours quotidiens de Shoah, lui expliquant comment être shoah. C’est en connaissant et en pratiquant la Shoah que le petit Français peut passer au stade adulte. Chez les Massaï, le rituel de passage consiste à affronter un lion avec une lance. Fastoche. Chez nous, il s’agit d’affronter les terribles antishoah, dits aussi les complotistes, avec comme arme le discours officiel. Une autre paire de manches.
Aujourd’hui, on n’a plus le choix : c’est la propagande, ou le complot. Un des derniers titres du quotidien Libération est formel : les Français qui ne croient pas à la version officielle des attentats (que ce soient ceux du 07/01 ou du 11/09) ne sont que des complotistes ridicules ou dangereux. Il est vrai que de voir dans la moindre crotte sur le trottoir la signature du Mossad dénote une certaine pathologie. Comme l’obligation de cécité absolue – insultante pour l’intelligence – des versions officielles, qui varient dans le temps, jusqu’à finalement se rapprocher des thèses dites complotistes. On pense à l’attentat contre l’avion du président rwandais en 1994, ou à l’affaire Merah, dont le très respectable hebdomadaire Le Point conteste désormais à coups de « Merah faisait partie du renseignement français » la version du loup solitaire de l’époque.
Afin d’éteindre l’incendie déclenché sur le Net par les événements de janvier 2015, le journal Libération n’a trouvé que le tir à vue sur la dissidence. Ce qui provoque, on le sait tous, l’effet inverse : le quotidien passe pour la courroie de transmission du pouvoir, faut-il le rajouter, prosioniste, et perd évidemment les lecteurs qui ont reniflé un ou plusieurs loups dans cette affaire. Et des loups, il en surgit presque chaque jour : le livreur d’armes de Coulibaly proche d’une adjudante de gendarmerie ayant ses entrées au Système des opérations et du renseignement de Rosny-sous-Bois (4 février), le leader spirituel – il faut comprendre commanditaire – des frères Kouachi liquidé par un drone au Yémen (5 février)…
En même temps, mieux que le sexe, tout en ayant l’air de pas y toucher, le complot fait vendre. Cependant, en ce qui concerne la véritable opposition des interprétations des grands événements politiques et géopolitiques, c’est le Net dissident qui mène la danse. On remarquera avec amusement que le reste, Hanouna et compagnie, le PS et l’UMP, qui servent à la fois de diversion et de cul-de-sac, tout le monde bien informé s’en tape désormais. Le débat sérieux a pris toute la place, et nous y avons toute notre place. Première victoire, au prix d’un torrent d’opprobre et de nombreux sacrifices : une porte de l’enclos a été ouverte. Vu tous ceux qui s’y engouffrent, elle aura du mal à se refermer.
Complotiser l’adversaire
Utiliser des consommateurs d’information complètement immergés (généralement par déception ou sentiment de trahison) dans les théories complotistes les plus farfelues permet de décrédibiliser toute la dissidence intelligente, qui travaille, vérifie, nettoie l’info.
Le fait est que deux complotismes cohabitent, au sens littéral : le sérieux, et le grotesque. Il est facile de trouver des olibrius qui ne jurent que par la programmation satanique de peuples hypnotisés par des doubles Triangolini, et d’en faire les représentants (ou les victimes) des théories non-alignées, parallèles ou discordantes. Sauf que, ceux qui se posent et posent de vraies questions, ne se laissent pas asphyxier par le bruit et la poussière des événements, et gardent le doigt sur les zones d’ombre. Il s’agit évidemment de sceptiques qui empêchent d’enfumer en rond, qui sont tout sauf naïfs, et qui ne liront plus jamais Libération, sauf pour en rire ou, éventuellement, se voir dans un miroir menteur. Lecteurs mutants, difficiles à manipuler avec les articulations classiques de la propagande (« Les Russes sont méchants », « L’Amérique œuvre pour le bien », « Israël est une démocratie », « craignez le terrorisme, pas le chômage »), propagande qui s’adresse plutôt à une audience de 12-18 ans. L’information officielle est tombée à ce niveau, symbolisée par la chef de gare Najat Vallaud-Belkacem, 100 % compatible avec le public lycéen. Et encore, certains lycéens, devenus méfiants, commencent à penser.
Les tentatives de noyer le poisson dissident dans la mare des dingos, histoire d’éviter les vrais débats, sont à terme vouées à l’échec, et démontrent une seule chose : une stratégie de défense agressive. Le système n’a plus rien d’autre à proposer que la réduction ad debilum des thèses qui lui sont opposées, ou tout simplement différentes. Entre la valise de la dissidence et le cercueil pour l’intelligence qu’est l’info dominante, nous avons déjà choisi. D’autant que l’abonnement annuel au Monde en numérique vous en coûtera désormais 179 euros pour un catéchisme qui ne rend curieusement même pas plus clairvoyant. Mieux vaut lire dix ouvrages bien écrits sur dix sujets bien creusés. On en saura toujours plus que le journaliste moyen, cloué au sol par toute la hiérarchie de l’information, qui commence par le rédacteur en chef otage de son emploi, et qui va jusqu’aux grands et inamovibles propagandistes du système.
« Et les intermédiaires seront écrasés par la puissance du Seigneur »
(Jésus, probablement)
Avant, à l’ère du papier, il y avait J’annonce. Pour publier une annonce, il fallait l’écrire lettre à lettre, dans des cases microscopiques prévues à cet effet, l’envoyer par la poste avec un chèque, puis attendre quelques jours qu’elle paraisse, en général pendant deux semaines, pour les moins riches, et ensuite attendre que ça morde, en confiant son numéro de téléphone fixe au journal. En face, une annonce qui intéressait un acheteur était payante quand on voulait obtenir le numéro. J’annonce prélevait sa dîme au passage, et ça marchait tant bien que mal. Immobilier, bagnoles, objets divers, animaux, le canard faisait près de 200 pages par semaine, bourré d’annonces écrites en tout petit. C’était lent, pénible, et cher. Aujourd’hui, Leboncoin.fr est rapide, direct, et quasi-gratuit. L’intermédiaire existe, mais il s’efface progressivement au profit de la relation P to P, de personne à personne. Les intermédiaires sont broyés par l’étau offreur/demandeur. Les gens veulent être reliés les uns aux autres, une force plus puissante que tout. Tout ce qui s’oppose à ceux qui veulent se parler, échanger, comprendre, est écrasé. C’est la tendance lourde, on pourrait presque dire chrétienne, en tout cas religieuse, dans le sens de religere.
De la même façon, grâce au Net, le public auparavant captif échappe au filtre obligatoire des médias, ces bumpers qui se renvoient la pensée, pour correspondre sans cette contrainte les uns avec les autres. Les gens font voler en éclats le mur qui les séparait, et qui transformait leur parole en quelque chose de très différent, mais toujours unidirectionnel. Maintenant, on retrouve enfin cette parole, certes un peu brute, mais beaucoup plus pure. Les impuretés venaient bien des tuyaux, dits aussi diffuseurs, ou médiateurs. C’est-à-dire les inter-médiaires.
Peu à peu, ces intermédiaires sont contournés, réduits à l’impuissance ou au néant, des murs dans le désert, qui n’ont plus de sens, plus personne à séparer, à couper en deux. L’élite, au-dessus mais surtout entre les gens, c’est le grand diviseur. Maintenant on se retrouve avec une élite qui gueule de plus en plus fort vers de moins en moins de gens, les autres sont déjà ailleurs, en train d’échanger, construire, fertilement, durablement. C’est assez jouissif, on va dire, de voir les donneurs de leçons crier dans le désert ou s’adresser à des foules réduites à un pourcentage grandissant d’abrutis, à force d’écœurer les personnes lucides, intelligentes, autonomes.
Le pouvoir se retrouve face à ce qu’il a fabriqué : un troupeau d’individus crédules, soumis et souffrants. Si ce n’était aussi tragique pour cette pâte humaine, il y aurait de quoi rire. D’ailleurs, les incrédules, les insoumis et les rieurs se moquent de cette mise en scène terminale et délabrée, ce théâtre mourant.