Nombreux sont les Français travaillant au Japon qui ont quitté l’archipel dans les jours qui ont suivi la catastrophe du 11 mars dernier. De retour, parfois sans leur famille, ils ne sont pas toujours les bienvenus et doivent faire face à l’ironie de leurs collègues japonais restés sur place
Dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre et le raz-de-marée, confrontés au danger nucléaire, les Français établis au Japon ont fait face à un dilemme. Partir ou rester ? Un cas de conscience d’autant plus difficile que pour de nombreux Français en contrat local, partir équivalait à perdre son emploi. Par principe de précaution, la plupart des entreprises ont réduit leurs effectifs. Plus de 2000 Français seraient restés à Tokyo, si l’on en croit le nombre de personnes ayant reçu des pastilles d’iode. Quelque 2000 expatriés seraient partis pour Osaka et d’autres villes du sud du pays. D’autres dans les pays environnants, comme Hongkong, la Thaïlande ou Singapour. Et entre 1000 et 2000 seraient rentrés directement en France.
Selon Bernard Delmas, président de la chambre de commerce et d’industrie française au Japon, "la première semaine après la catastrophe du 11 mars, un tiers seulement des entreprises françaises travaillaient normalement. Mais dès la seconde semaine, 90 % avaient repris leur activité." Si les "corners" des marques de luxe françaises ont été vite rouverts suite aux pressions des grands magasins japonais, l’ambassade de France à Tokyo n’a jamais fermé. Alors que la situation à la centrale de Fukushima n’est pas encore stabilisée, certaines familles hésitent encore à rentrer. C’est le cas par exemple de la famille Bouvier qui témoigne dans Tendance Ouest. Seul le père, salarié dans l’agro-alimentaire, se trouve encore au Japon pour honorer son contrat qui s’achève cet été. Les enfants sont rentrés dans l’Hexagone pour finir leur scolarité à Caen. Les effectifs du Lycée franco-japonais de Tokyo (LFJT) s’élevaient la semaine dernière à 55% par rapport au niveau de la rentrée de septembre 2010. Dans une grande firme automobile, qui comptait avant le séisme une soixantaine d’expats, principalement européens, dans les environs de Tokyo, si 80% d’entre eux sont partis mettre à l’abri leur famille, 10% n’envisagent plus de rentrer au Japon. Pour les autres, le retour s’avère délicat.
Malaise
En termes d’image, ce qui apparait comme une fuite a eu un impact désastreux auprès des collaborateurs japonais. Valérie Moschetti, directrice du centre d’analyse politique de l’Union européenne, pense que "des relations professionnelles compliquées s’annoncent entre les expatriés et le personnel japonais qui aura vu s’envoler ses patrons". Un expatrié témoigne : "S’ils ont parfaitement compris le départ des familles, les Japonais estiment que le départ n’était pas une option pour des personnes exerçant des fonctions managériales ici. Pour eux, ce n’est pas un comportement responsable, ni très courageux, et le malaise s’est installé. Les cadres vont ramer pour retrouver la confiance de leurs troupes. Dans ce contexte, la visite rapide du Président Sarkozy fin mars, pour exprimer sa solidarité avec les Japonais, a un peu redoré le blason de la France".
Retour à la normale ?
Un mois et demi après la catastrophe, beaucoup de Français rechignent à se rendre au pays du soleil levant. Certains artistes, comme le groupe marseillais IAM, ont annulé leur concert. Des voyages d’affaires ou de tourisme sont reportés en grand nombre. Pourtant, depuis le 14 avril, le ministère des Affaires étrangères français a indiqué que résider ou voyager hors des zones proches de la centrale "ne comporte pas de danger particulier". Les vols Air France qui faisaient escale à Séoul sont à nouveau directs entre Paris et Tokyo. La vie reprend son cours dans la capitale. "Les gens vivent au ralenti à Tokyo, indique Bruno, un restaurateur. Les coupures de courant, le rationnement de l’essence et de nourriture ont permis d’oublier le superficiel et de revenir à l’essentiel". Pourtant, pour un journaliste vivant sur place, "il existe une vraie tension. C’est dur pour ceux dont la famille est loin, et les tremblements de terre presque quotidiens sont éprouvants".