Le 31 juillet 1944, à 8H45, le commandant Antoine de Saint-Exupéry, qui fit les pieds et les mains pour intégrer le groupe de reconnaissance 2/33 alors qu’il avait dépassé la limite d’âge [1] pour effectuer des missions opérationnelles, décollait de Borgo, en Corse, aux commandes d’un P-38 F5B Lightning seulement équipé d’appareils de photographie.
Il s’agissait pour l’écrivain, dont les oeuvres suscitèrent de nombres vocations (Courrier Sud, Vol de nuit, etc…), d’effectuer une reconnaissance photographique au-dessus du Dauphiné afin de préparer le débarquement en Provence, prévu le 15 août suivant.
Comme on le sait, le commandant Saint-Exupéry n’en reviendra pas. Que s’est-il passé ? À vrai dire, personne ne le sait avec certitude. L’hypothèse la plus couramment admise est qu’il fut abattu par des chasseurs allemands.
Dans un témoignage posthume publié en 1972, l’aspirant Robert Heichele, pilote de Focke Wulfe, affirma avoir fait feu sur le Lightning de l’écrivain. Et en 2008, un autre ancien aviateur allemand, Horst Rippert, confia au quotidien La Provence être celui qui abattit Saint-Exupéry alors qu’il était aux commandes d’un Messerschmitt BF-109. « Si j’avais su qui était assis dans l’avion, je n’aurais pas tiré. Pas sur cet homme », confessa-t-il.
Cependant, l’on est certain que le Lightning de Saint-Exupéry s’abîma en mer, près de l’île de Riou, entre Marseille et Cassis. En 1998, la découverte, par hasard, d’une gourmette lui ayant appartenu dans les filets d’un pêcheur permit de localiser l’épave. Remontée à la surface en 2003, elle fut catégoriquement identifiée grâce à un numéro de série sur la carlingue.
Ami de l’auteur du Petit Prince et pilote au groupe 2/33, le général Gavoille raconte comment il a vécu cette journée :
« Et le 31 juillet, Saint-Exupéry est là très tôt, contrairement à ses habitudes. (…) Il part pour le terrain avec le lieutenant Duriez, adjoint aux opérations et, pour la onzième fois au cours de cette période 43-44, prépare une mission : c’est la 33S176. Mapping Est de Lyon. (…) Il décolle à 8h45 sur le P-38 F5B n°223, ce que j’apprends à mon arrivée sur le terrain en fin de matinée. Tous se souviennent de ma réaction. À 13 heures, il n’est pas rentré. À 14h30, après de multiples démarches, appels à la radio, recherches radar, il n’y a plus d’espoir qu’il soit encore en vol et à 15h30, notre officier américain Robison signe l’Interrogation Report après avoir noté : Pilot did not return and is presumed lost. (…) Dans sa chambre où je fais l’inventaire avec le capitaine Leleu, son lit n’est pas défait, il ne s’est donc pas couché, et sur la table, deux lettres adressées à des amis, dont une à Pierre Dalloz ».
Dans ce courrier, Saint-Exupéry avait écrit ces lignes prophétiques, ses derniers mots : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier ».
Quant au journal de marche du groupe 2/33 (tel que rapporté dans le livre « Écrits de guerre 1939-1944 » préfacé par Raymond Aron – Éditions Folio/Gallimard), il rend un vibrant hommage à l’écrivain disparu, avec un ton lyrique et optimiste.
« Nous perdons en lui, non seulement notre camarade le plus cher mais celui qui était pour nous tous un grand exemple de foi. S’il était venu partager nos risques malgré son âge, ce n’était pas pour ajouter une vaine gloire à une carrière déjà magnifiquement remplie mais parce qu’il en sentait pour lui-même, le besoin. Saint-Exupéry est de ces hommes qui sont grands devant la vie, parce qu’ils savent se respecter eux-mêmes. Bien sûr, nous avons tous le grand espoir de le revoir bientôt : le destin ne dispose pas ainsi d’un homme armé d’une expérience de 7 000 heures de vol, et qui a résisté à tant de coups durs. Il est peut-être posé en Suisse ou camouflé dans un maquis savoyard ; si même il est prisonnier, ce n’est plus pour très longtemps. Mais nous pensons tous à cette joie qu’il n’aura pas de rentrer en France libérée, avec nous. »