L’affaire Woerth, l’affaire Bettencourt, l’affaire des Roms, l’affaire des écoutes du Monde démontrent à grand bruit et jour après jour que l’immoralité de l’Etat se situe de plus en plus au cœur du débat politique. Montesquieu disait que le principe qui soutient le régime démocratique est la vertu. Peut-être ajouterait-il aujourd’hui que l’arbitraire propre aux Républiques s’exprime par le naufrage du civisme au sein de leurs propres institutions et que l’immoralité qui entache la religion de la Liberté la conduit à la corruption de son appareil de la justice ; et ce genre d’Eglise court de l’oligarchie notabiliaire au césarisme d’une ecclésiocratie laïque.
On trouvera ci-dessous l’esquisse d’une anthropologie politique qui permettrait de situer l’intermède ou l’incident de parcours qu’on appelle le sarkozysme dans une histoire de l’encéphale des évadés partiels de la zoologie. Mais le chemin d’accès à cette problématique est une analyse de la nature des vrais chefs d’Etat.
1- Les vertus et les vices du suffrage universel
Les péripéties que les nations rencontrent sur le chemin de leur histoire leur forgent un destin bancal ou glorieux. Il était fatal que M. Nicolas Sarkozy parachèverait son naufrage dans une affaire d’argent. Encore faudrait-il que Clio prît la plume d’un Balzac pour raconter sa chute. Nous ne pouvons que tenter de rédiger la leçon que les manuels scolaires de demain tireront de la comédie humaine que M. Nicolas Sarkozy aura fait jouer à la France, celle qui faisait dire à Galba dans Tacite : « Tu commanderas des hommes qui ne supportent ni la servitude, ni la liberté. »
La France de la Ve République souffre de ce que les hommes de pouvoir ne se hissent désormais au faîte des honneurs que par des procédés hérités d’un éphéméride des démocraties. Bien plus : seule l’incapacité même des ambitieux au petit pied de diriger une grande nation sur la scène du monde leur donne les moyens dérisoires de séduire un instant les foules dont le vote les portera à la tête d’un Etat trompé. Le premier mot que M. Nicolas Sarkozy a prononcé à l’Elysée est attesté par Mme Yasmina Reza : « Combien je touche ? »
Un homme politique exercé à flatter les masses et, de ce seul fait, dépourvu par nature de toute connaissance profonde de l’âme véritable des peuples et de leur droiture secrète ignorera que les nations méprisent la bassesse d’esprit des démagogues et que seule la noblesse d’une éthique de la politique répond à leur génie caché. C’est pourquoi M. Nicolas Sarkozy n’exerce pas une fonction : il dirige une entreprise industrielle et commerciale dont il préside les négociations avec ses concurrents. Mais comme il prend également grand soin de ménager les intérêts de l’empire dominant du moment, il s’abstient de lui porter ombrage et s’applique à en perpétuer l’hégémonie.
Il faut se rendre à l’évidence et en prendre acte les yeux grands ouverts : M. Sarkozy n’a pas conquis le pouvoir par des moyens conformes à l’esprit des démocraties, mais par une succession de coups de main : corruption des journalistes, allèchement des personnes âgées dans les maisons de retraite, cambriolage du parti socialiste et du front national, largesses de prédicateur de foire, recours à des moyens inattendus de la « communication ». Sera-t-il remédié au naufrage de la République des séducteurs et des flatteurs par une réforme de la Constitution qui permettrait de retirer de l’arène les champions primés de la démagogie qui auront affûté dans l’ombre les armes nouvelles d’exploitation des faiblesses naturelles du suffrage universel ou bien faut-il parier que cette expérience inédite des dangers que courent les nations à conjurer la tyrannie par l’appel à la voix des peuples ouvrira les yeux des Etats sur le despotisme que la démocratie elle-même peut faire courir au monde ? La France de Galba réformera-t-elle ses institutions afin d’éviter de retomber dans la médiocrité des Républiques parlementaires et de retrouver par un autre chemin les mêmes carences que les ochlocraties d’Athènes et de Rome ?
Certes, les foules ne sont pas incompétentes de naissance et par nature. Au contraire : le ressort des loyautés natives leur appartient. Mais il est ridicule de demander à la candeur de l’ignorance et à la bonne volonté de la gentillesse de sélectionner les chefs d’Etat à la lumière de la sagesse des Solon et des Lycurgue. Pour tenter de vaincre une difficulté anthropologique aussi évidente, il faut essayer de cerner les traits du type d’hommes d’action capables de diriger leur pays sur la scène internationale. A ce titre, M. Nicolas Sarkozy présente le parfait modèle de la fausse habileté dont il suffit de prendre le contre-pied pour dresser, a contrario, le portrait des vrais chefs d’Etat.
2 – Qu’est-ce que le génie de l’hypothèse ?
C’est bien à tort qu’on voit dans le manque d’expérience de M. Nicolas Sarkozy le prototype du néophyte sur la scène internationale. Voltaire disait : « Les imbéciles n’apprennent que par l’expérience ». Mais ce n’est précisément pas sur l’enclume de l’expérience que les vrais hommes d’Etat vérifient leur vocation innée, mais sur celle de leurs dons naturels. Il n’est pas de domaine où la pratique vienne davantage vérifier, mais toujours après coup, un savoir attaché aux gènes du talent ou du génie que celui de la haute politique, puisqu’on ne saurait y vérifier ses dons à l’école des longs exercices d’apprentissage auxquels la monarchie soumettait le Dauphin. De surcroît, il en est dans ce domaine comme des sciences de la nature, où l’hypothèse précède toujours la vérification. Il faut savoir déjà ce qu’il faudra soumettre à l’épreuve du temps pour seulement expérimenter à bon escient – ce que les enfants eux-mêmes savent depuis qu’on leur enseigne l’Introduction à la médecine expérimentale de 1865 de Claude Bernard.
Or, M. Nicolas Sarkozy n’est pas doté pour un sou des prédispositions naturelles qui l’amèneraient à formuler les hypothèses pragmatiques que formule le génie politique de haut vol, de sorte qu’il n’imagine jamais que des expériences dont tout chef d’Etat véritable voit au premier coup d’œil qu’elles sont condamnées à l’échec dans la corrida qu’on appelle l’expérience, tellement elles crient haut et fort qu’elles demeurent étrangères à l’intuition qui guide les toréadors talentueux.
Exemple : dans l’avion qui le ramène de Moscou, il dit aux journalistes : « Si demain on se réveille avec Israël qui aura attaqué l’Iran, qu’est-ce qu’on fait ? » Certes, il est réconfortant que les idées erronées ne sachent pas le français, il est rassurant que les fautes de grammaire ne voient pas la table de jeu de la langue, il est consolant que les syntaxes bancales ignorent non seulement le poids et le rôle des pièces sur l’échiquier , mais jusqu’aux règles de la partie. Mais il se trouve en outre qu’aux yeux du styliste manqué de l’Elysée, les évènements internationaux peuvent tomber des nues et prendre tout le monde au dépourvu. Un vrai homme d’Etat possède la science de la fatalité. Il prophétise les catastrophes à coup sûr, de sorte qu’il ne crie jamais au loup pour rien. M. Nicolas Sarkozy ignore que ce coup-là d’Israël est étranger à la science tauromachique. Il ne sait pas que la Chine et la Russie, mais également des Etats redevenus relativement indépendants même en Europe ramèneraient dare dare le taurillon au toril. Mais pour les chefs d’Etat manqués, il s’agit seulement de se trouver « dans le coup ». Les domestiques veulent s’asseoir. Ils croient que la France y perdrait à rester debout, l’arme au pied, alors qu’on lui offre un coussin. L’Irak tendait les bras d’un fauteuil aux vassaux : M. Nicolas Sarkozy n’en revient pas que nous ayons laissé tout le monde s’installer à notre place dans une servitude dont les commencements étaient bien rémunérés, donc jugés prometteurs. Aussi s’est-il empressé, faute de mieux, de prendre place lourdement sur le tabouret qu’on lui tendait en Afghanistan. Même les initiatives diplomatiques quelquefois vaillantes d’apparence de l’occupant de l’Elysée répondent nécessairement à une pesée inexacte des forces en présence, faute qu’un regard perçant sur l’avenir du monde les inspire. M. Nicolas Sarkozy n’avance sur la scène qu’en lépreux agitant sa sonnette.
3 – La petitesse peut également voir trop grand
La crise économique de 2008 l’a vu se précipiter sur tous les continents. Comment a-t-il pu s’imaginer qu’il rassemblerait une coalition gigantesque contre les accords de Bretton Woods de 1945 ? Seuls la Russie, l’Argentine et le Mexique ont répondu à l’appel d’un G20 qui devait sonner l’hallali contre le dollar. De même, il s’est rué tête baissée dans une alliance des Etats riverains de la Méditerranée. Tout le monde s’imaginait qu’une audace de ce calibre venait couronner une politique aussi intrépide que perspicace en faveur de Damas : Bachar El-Assad avait été l’invité d’honneur de la France sur les Champs Elysées le 14 juillet 2008. Puis, les bras vous en tombent de découvrir qu’il s’agissait seulement de tenter de détourner la Syrie de son alliance avec l’Iran, de sorte que, d’un seul mouvement, le monde arabe a tourné le dos à une France mise des pieds à la tête au service des seuls intérêts d’Israël au Moyen Orient.
De même, M. Nicolas Sarkozy ignore que l’approbation, même honteuse et larvée de la France au blocus de Gaza conduit la nation des droits de l’homme et l’Europe à un désastre diplomatique de longue durée, parce que jamais la politique de la planète, qui a toujours reposé sur une éthique minimale de tous les peuples de la terre, n’acceptera un perpétuel enfermement d’un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants dans un camp de concentration à ciel ouvert. Les caméras du monde entier sont devenues l’œil d’un ciel de la cruauté – celui des démocraties. Aussi n’est-ce pas « la France » qui a envoyé un navire de guerre pour soutenir le blocus de cette ville : un simple figurant de l’histoire, un certain Nicolas Sarkozy, a participé aux côtés des Etats-Unis à la construction d’un mur d’acier appelé à encercler définitivement la ville-martyre, entreprise à laquelle il a bien fallu renoncer rapidement, la queue basse et en catimini.
Quand Israël demande à la France d’engager contre le Hezbollah son contingent au sein de la Finul, nos soldats sont reçus à coups de pierres par une population libanaise qui se réveille peu à peu et retrouve la dignité naturelle qui s’attache à la souveraineté des Etats.
4 – De la dignité des Etats
Nous voici au cœur de la question : le véritable homme d’Etat est guidé par une morale, et cela tout simplement parce que le ressort central du génie politique est celui d’une éthique. Quelle était l’armure morale de Talleyrand au Congrès de Vienne ? La France vaincue tient aux monarchies victorieuses le langage de la justice universelle que la Révolution a fait débarquer dans la politique, la France vaincue s’érige en pédagogue de l’âme du monde, la France vaincue admoneste fièrement ses vainqueurs : ils ne sauraient, leur dit-elle, trahir la sainteté de leur théologie, elles ne sauraient, délégitimer le trône des rois de France, puisque leur propre bréviaire le fonde sur les droits de Dieu. Comment la hache de la justice divine ferait-elle tomber la croix dans le son du même panier où le peuple a fait rouler la tête de Louis XVI ? Le bourreau de la grâce n’a pas rendez-vous avec le sang de la guillotine. Mais si une éthique religieuse ou laïque se révèle l’âme de toute autorité politique durable, l’homme d’Etat digne de ce nom déclarera nécessairement la guerre à l’immoralité de son époque, parce que celle-ci est toujours conjointe à la tyrannie qu’exerce viscéralement la puissance dominante du moment.
L’immoralité viscérale de M. Nicolas Sarkozy n’est donc que l’expression de sa cécité naturelle. Quand il replace la France sous les ordres d’un général étranger, c’est qu’il escompte percevoir le salaire des fidèles serviteurs ; et son immoralité innée le fait s’étonner et même s’indigner de se trouver trop chichement payé de retour – il ignore que les maîtres méprisent encore davantage ceux de leurs domestiques que la souplesse de leur échine exclut le plus du cercle de leurs convives.
5 – La loi du monde
Mais pour engager une nation de puissance moyenne dans une politique internationale fondée sur la compréhension à long terme de l’avenir du monde, encore faut-il savoir que les principes de 1789, légitimés à partir de 1945 par le triomphe planétaire des idéaux de la démocratie, n’a pas réfuté la loi fondamentale de l’histoire , qui enseigne depuis la guerre de Troie qu’une nation victorieuse d’une autre par la force des armes dominera non seulement ses ennemis terrassés, mais également ses amis et alliés, qu’elle dupera jusqu’à les ridiculiser sur la scène du monde ; car on ne l’emporte aux côtés d’un géant qu’au profit de ce dernier. Tacite : « Rien n’est plus instable et fluent (fluxum) parmi les mortels qu’une puissance dont l’éclat n’est pas le sien.«
Jusqu’en 1989, l’illusion pouvait encore paraître crédible aux enfants de chœur de la politique internationale selon laquelle Washington aurait débarqué à nouveau frais en Europe en 1949 à des fins vertueuses – il se serait agi de défendre la civilisation occidentale soudainement menacée par une nouvelle puissance militaire mondiale, la soviétique, qu’on présentait unanimement pour plus terrifiante et surtout pour plus proche de remporter une « victoire finale » sur les cinq continents que les armées de Hitler. Vingt et un an après la chute du mur de Berlin, il ressortit à la mythologie politique qui embrume l’encéphale rédempteur des démocraties messianisées par leurs évangiles d’ignorer que l’Amérique du salut est devenue la seule puissance militaire mondiale, comme M. Barack Obama a tenu à le rappeler à bon entendeur, de sorte que la psychanalyse de la croyance opposée relève désormais d’une science anthropologique en mesure de se colleter avec l’histoire et la politique des idéalités sacralisées. La géopolitique a accédé à une simianthropologie générale que sa vocation appelle à rejeter la timidité intellectuelle des sciences humaines contemporaines et à radiographier les mentalités sotériologiques communes aux trois eschatologies monothéistes et à la vocation évangélique d’une Liberté supposée aussi apostolique que celle de Saint Paul.
Le 5 août 2010 la presse italienne annonçait que « l’aéroport militaire de Pise deviendra le Hub national des forces armées, c’est-à-dire l’unique base aérienne où transiteront tous les régiments envoyés dans les différentes « missions internationales ». L’apôtre et le porte-parole de la 46ème Brigade aérienne, le major Giorgio Mattia, déclarait dévotement que « les travaux commenceront en mai prochain et que le Hub deviendra opérationnel d’ici 2013″. Il ajoutait que « les travaux d’extension de la base prévoient une structure en mesure de recevoir environ trente mille hommes complètement équipés pour une durée d’au moins un mois. » Il précisait en anglo-italien que « la structure réunira les grands hub civils et leurs services de check in et de check out, leurs services de prise en charge des bagages et leurs autres services à terre dont la gestion pourra revenir à des entreprises civiles. »
Savez-vous que la 46ème Brigade a été dotée d’avions de transport C-130J de Lockheed Martin et que la capacité de ces engins de véhiculer de jour et de nuit des troupes et du matériel vers l’Afghanistan s’élève à plus de dix mille décollages par an, auxquels s’ajoutent les forces aériennes de renfort que réclame le Camp Darby – les besoins en demeurent un secret d’Etat. Dans le même aéroport militaire, on enregistre également un trafic civil de quarante mille atterrissage par an.
Le chef d’Etat dont la science politique demeurera étrangère à la connaissance rationnelle de l’orthodoxie démocratique, donc de l’encéphale mythologique du singe armé par sa foi n’est plus à la hauteur d’une anthropologie critique devenue indispensable à la conduite de la nouvelle planète des songes parareligieux. Les guerres théologiques du XVIe siècle pouvaient laisser monter sur le trône des monarques ignorants des enjeux psychiques vitaux que les mythes sacrés mettent en scène sur le mode symbolique ou en effigie ; aujourd’hui, M. Nicolas Sarkozy est le Janus de Bragmardo d’un nouveau Moyen Age de l’histoire figurée du monde.
6 – La vassalité acceptée et la démocratie
Ce qui revêt la plus grande importance aux yeux des anthropologues de la sotériologie cachée qui commande au grand jour la politique internationale du salut, c’est qu’il ne vient à l’esprit de personne de seulement soulever la question centrale de la souveraineté effective de l’Italie sous le soleil. Le maire de Pise, M. Marco Filipacci chante avec enthousiasme les promesses publiques d’un nouvel essor touristique de la région. Si les idéaux eschatologiques de la démocratie publicitaire n’ont pas empêché la France réaliste du XIXe siècle de conquérir par les armes un vaste empire colonial aux côtés de la vertueuse Angleterre, on ne savait pas encore que l’Europe née de la victoire de Salamine se laisserait un jour vassaliser par le messianisme d’une Liberté doctrinale et doctoralement professée sans seulement ouvrir la bouche, faute de seulement se sentir asservie par les nouveaux confessionnaux.
Ce phénomène biblique n’est pas nouveau. Sous Tibère Germanicus se rend à Athènes chaussé à la grecque. Il est reçu en triomphe par les habitants : « Germanicus vint à Athènes, ville associée à l’empire par une charte ancienne ; il l’honora de ne se faire accompagner que d’un seul licteur. » (Tacite, Annales, Livre II, LIII) Mais le rival du vengeur des légions de Varus, Pison, qui se verra accusé d’avoir empoisonné l’illustre Romain et qui se donnera la mort vient sur ses pas insulter les citoyens athéniens : « Pison, soucieux de conduire son plan à un succès rapide, entre à Athènes qu’il terrifie par le tapage de sa venue. Il invective les habitants dans les termes les plus humiliants. Il blâme Germanicus d’avoir avili l’éclat du nom romain : il ne fallait pas, dit-il, traiter les faux Athéniens avec une affabilité excessive – les vrais Athéniens, il n’en restait plus. Après tant de défaites, ce n’était qu’un vil ramassis. » (Ibid., LV)
Mais le comportement de Pison était exceptionnel. Comme l’Amérique d’aujourd’hui, Rome entourait d’égards ses vassaux. Exemple : Pompée avait réduit les Hébreux à faire allégeance à l’empire. Leur roi, Hérode, fut appelé à se faire applaudir par le Sénat. La communauté juive de Rome s’élevait déjà à plus de quatre mille têtes. Elle fait fête à son roi vassalisé. De nos jours, la communauté allemande applaudit la chancelière de sa servitude quand elle se voit honorée par une invitation de la Maison Blanche. Elle y prononce un discours de domestique en livrée devant le Congrès, alors que son pays demeure occupé sans raison par deux cents camps militaires américains ; et quand cette grâce accordée aux bons serviteurs s’étend à la France, le Président de la République se rend à son tour à Washington accompagné de juifs français de renom, afin de faire taire par leur seule présence des rumeurs désobligeantes selon lesquelles notre pays ne soutiendrait pas Israël corps et âme, alors que les vœux des Etats-Unis et de Tel-Aviv sont étroitement conjoints. On sait que M. Gaino avait raté le départ de l’avion de M. Sarkozy et que M. Lévitte, qui accompagne tous les déplacements diplomatiques du chef de l’Etat, en a profité pour faire gommer in extremis quelques aspérités diplomatiques qui subsistaient dans un discours du successeur du Général de Gaulle au Congrès que M. Guetta a jugé indigne.
7 – Le nouveau fleuve de l’histoire universelle
C’est à l’image la servitude de l’Europe d’aujourd’hui que la démocratie grecque de l’époque de Tibère ne savait même plus que la nation d’Homère se trouvait soumise à un empire étranger. C’est dire que la formation intellectuelle et morale des hommes d’Etat du Vieux Monde exige une pesée de leur boîte osseuse à laquelle M. Nicolas Sarkozy se prête tout particulièrement, tellement il ignore visiblement que la dignité des nations est liée à leur insoumission politique et que la grandeur d’un homme d’Etat se mesure au combat qu’il mène contre le maître du moment.
Qu’on en juge : si, soixante cinq ans après la paix de 1945, il est conforme aux vrais intérêts politiques de la France que les camps de base des armées du Nouveau Monde occupent le Japon, l’Italie, l’Allemagne et que l’OTAN étende son empire jusqu’aux frontières de la Russie, on oubliera que la Chine, la Russie, l’Afrique et l’Amérique du Sud sont en route vers leur destin de grandes puissances et que leur ascension est irrésistible. Mais dès lors qu’on se place à nouveau sous le commandement du César lointain dont on avait secoué le joug un demi-siècle auparavant, on ramera à contre courant du fleuve de l’Histoire. Le Hérode français ne nourrit en rien l’ambition de prendre toute sa place dans l’épopée qui soulève le monde. Mais le César de la démocratie mondiale le traite avec mépris. On regarde de haut le comparse qui vous flatte, on le salue d’un hochement de tête condescendant au conseil d’administration de la planète. Il ne s’agit,pour le locataire de l’Elysée, que de toucher les jetons de présence d’un actionnaire suffisamment respectueux des prérogatives du maître pour mériter qu’on jette quelques pièces dans son escarcelle. Si vous ne faites l’histoire du monde, elle vous laissera au bord de la route. Clio n’attend pas les traînards.
Le véritable homme d’Etat enseigne que si personne n’est prophète, c’est qu’il suffit d’ouvrir tout grands les yeux du bon sens pour prendre rendez-vous avec l’Histoire réelle du monde. Certes, le train de Clio est fantasque. Mais les sûrs chemins de la logique nous montrent le vrai destin des Etats.
8 – Brève histoire du pouvoir politique
On ne comprendra l’accident de parcours dans l’histoire de la France que fut le bref passage de M. Nicolas Sarkozy à la tête de la nation que si l’on s’initie aux données d’une anthropologie scientifique et critique de nature à rendre compte des comportements collectifs du chimpanzé politisé. Pourquoi le capital psychogénétique de cet animal le livre-t-il aux verdicts alternés de la tyrannie et d’une autorité démocratique qui le conduit à la liquéfaction ?
Depuis les origines, notre espèce connaît deux formes principales de gouvernement, le démocratique et le monarchique. Mais comme le simianthrope est ingouvernable, la royauté a disparu en Grèce avec l’apparition de la civilisation citadine et du commerce maritime, qui étaient incompatibles avec le culte des dieux chtoniens. Puis le christianisme de style romain n’a ressuscité la royauté somptuaire que par un accident de l’histoire, parce que les rites et la liturgie du sacrifice d’une victime humaine à l’idole se prêtaient à l’étalage de la pompe qui préside aux cultes orientaux : il fallait que la civilisation du Capitole recourût à un monarque solennellement intronisé par le nouvel Olympe et entouré de la cour d’un clergé à sa dévotion, parce que le combat de Rome pour sa survie passait par l’appel à un Dieu nouveau. Seul un sacré titanesque lutterait avec efficacité contre l’effondrement de la morale publique et privée du monde de l’époque, seul un Jupiter cosmique sauverait du naufrage l’empire des légions. Mais le placage tardif sur l’Europe des Anciens d’une cosmologie religieuse héritée du Vieux Testament, puis artificiellement articulée avec les constructions dialectiques des derniers philosophes grecs n’était pas porteuse du véritable avenir de la politique.
Les rois retrouvés sous le signe de la croix ont permis d’alimenter pendant quelques siècles les régimes sacralisés par une monarchie divinisée – donc par le prestige religieux du trône – qu’au prix d’une dogmatique en acier trempé. Aussi la Révolution française n’a-t-elle pas tardé à redonner aux Etats du Vieux Monde le régime populaire et semi-laïc des Romains, qui se fondait sur le pouvoir anxieux et instable des patriciens livrés aux assauts inlassables de la plèbe. Puis des meneurs armés de la maigre troupe de leurs partisans et jaloux de partager un territoire de plus en plus étroitement cloisonné ont enfanté un type d’Etat incapable de résister à un conquérant puissamment armé. Vercingétorix n’était parvenu qu’au prix du sang gaulois à rassembler autour de sa personne des chefferies locales indisciplinées. Si la France de l’époque avait été capable d’unir ses forces, jamais Jules César ne serait parvenu à assiéger Alésia et à dresser dans son dos des fortifications suffisamment dissuasives pour repousser tous les assauts des chefs gaulois accourus mollement et in extremis au secours d’une forteresse encerclée et inévitablement réduite à la famine.
Il faut comprendre que la démocratie française s’est calquée sur le modèle romano-gaulois retrouvé : on y voit, comme sous Jules César, des chefs de clans se disputer entre eux afin de conquérir aux dépens les uns des autres une autorité sans vigueur ni légitimité réelles sur une masse partagée entre des chefs de file éphémères. La cinquième République a tenté à son tour, mais sans succès, de remédier à la maladie incurable des Gaulois, parce qu’inscrite, semble-t-il, dans les gènes d’une espèce que sa vocation tribale réduit à se diriger à l’école d’artifices locaux et passagers par nature. L’édification, à partir de 1962, d’un Etat de synthèse et relativement centralisé répond au même modèle semi monarchique que celui des Etats-Unis. Dans un régime politique de ce type, le chef d’Etat de passage voit son autorité progressivement sapée, puis ruinée en toute légitimité démocratique par des groupes de pression dûment accrédités par le mythe de la Liberté et censés exprimer la volonté d’un peuple proclamé souverain. Un suffrage universel subrepticement sacralisé est un trône diffus et insaisissable dont M. Nicolas Sarkozy illustre les dérives jusqu’à la caricature.
9 – Le naufrage des identités nationales à la fin de l’empire romain
Or, cette liquéfaction subit un infléchissement inédit quand le monde entier produit un mélange des populations comparable à celui de la fin de l’empire gréco-romain. Dans leur Histoire de la littérature grecque en six in folio, parue à la fin du XIXe siècle et encore inégalée, les frères Alfred et Maurice Croiset évoquent en ces termes l’Europe christianisée du VIe siècle – « Cette masse était trop mélangée, trop hétérogène. Hommes de toutes origines et de toutes races, Egyptiens, Syriens, Cappadociens, Phrygiens menés par des fonctionnaires romains, que pouvaient-ils mettre en commun, sinon des sensations ou des instincts très simples ? Fêtes publiques, jeux, spectacles et pantomimes, voilà ce qui pouvait les émouvoir, non les idées. D’ailleurs, indifférents aux affaires publiques, habitués à vivre en troupeaux humains, quels grands courants de pensée ou de sentiments auraient-ils pu se développer parmi eux ? »
Dans ce contexte, M. Nicolas Sarkozy dispose paradoxalement d’un échiquier de l’irréflexion politique propice à l’émergence d’une rivalité à l’échelle planétaire entre les élites notabiliaires et les masses. Nous assistons à l’ascension d’une ochlocratie mondiale et d’un pouvoir oligarchique internationalisé à son tour. Ce type de guerre entre la xénophobie instinctive des foules et une médiocrité municipale progressivement étendue aux cinq continents offre à M. Nicolas Sarkozy un tremplin idéal, si je puis dire, pour faire choir au second plan et même pour entraîner dans l’oubli la substance même de la politique, à savoir la conduite de la France sur la scène internationale.
10 – M. Nicolas Sarkozy sur la scène internationale
Dans l’hexagone, ce champ de bataille se présente sous des traits particuliers. La gauche est décédée avec M. Guy Mollet. Puis un précurseur de la démagogie planétaire, M. François Mitterrand, est parvenu à remettre en scène pour quelques semaines – le temps de gagner les élections présidentielles – une gauche encore nourrie aux hormones de l’utopie marxo-chrétienne. Mais la chute de la sotériologie marxiste ayant définitivement privé la gauche de tout programme eschatologique et rédempteur, M. Nicolas Sarkozy est armé comme personne pour faire durer encore un instant un régime trop éphémère par nature pour ne pas sombrer sous peu.
Par bonheur, il s’est d’ores et déjà aliéné sans retour toutes les demi-élites de la droite et du centre, tellement son incapacité viscérale à incarner la nation trans-hexagonale crève les yeux. On a vu ce gamin se tordre de rire dans le carrosse de la reine d’Angleterre, on a vu ce galopin chiper au Premier Ministre de Roumanie le stylo à plume d’or avec lequel il signait les accords conclus entre les deux Etats, on a vu cet enfant taper sur l’épaule de M. Barack Obama, on a entendu ce môme l’appeler son copain, on a vu ce marmot envoyer des SMS au cours de sa visite au Saint Père – où il avait invité un acteur comique des plus vulgaires – on a entendu ce caïd de cour d’école comparer sa propre ambition politique à celle du pape de poser son séant sur le trône de Saint Père, on a vu ce bambin envoyer des messages au cours d’une allocution du roi d’Arabie Saoudite, on a vu ce garçonnet faire la fête au Fouquet’s, on a vu ce nourrisson tenter d’installer son fils de vingt-trois ans à la tête du quartier des affaires de la Défense, on a vu ce gosse vengeur et haineux traîner un ancien Premier Ministre en justice pour un « délit » qu’ignore le code pénal, on a vu ce mioche se prélasser sur le pont du yacht d’un milliardaire, on a vu ce marmouset se promener dans le parc d’attraction Walt Disney, on a vu ce moutard soutenir un ancien Ministre du Budget qui avait fait salarier sa femme par l’administrateur de la plus grande fortune de France afin de l’aider à frauder le fisc.
Dans ces conditions, une diplomatie française conduite au seul profit des ambitions d’Israël au Moyen Orient a si bien disqualifié ce mouflet que le seul terrain où il avait encore quelques chances de plaire au peuple était celui de bénéficier du suffrage identitaire d’une nation disloquée sur le modèle décrit plus haut par les frères Croiset au début du XXe siècle ; et une politique de ce type n’était rendue possible, comme il est rappelé plus haut, qu’en raison de l’incapacité viscérale de la gauche de jamais donner un nationalisme et un patriotisme vigoureux pour colonne vertébrale à un socialisme mondialisé auquel la folie hitlérienne a donné le prétexte de le disqualifier pour longtemps encore sur la scène du monde.
Quant aux élites notabiliaires du centre et de la droite, elles demeurent aussi étrangères par leur tournure d’esprit au génie diplomatique des Talleyrand que les députés issus de la défaite de 1870 devant l’Allemagne de Bismarck. Comment faire passer la Gaule de Vercingétorix à une Gaule transparlementaire si les représentants du peuple sont nés pour s’affairer à l’office ?
11 – Les cochers de service
Le Général de Gaulle avait donné rendez-vous à la Chine et à la Russie trente ans avant l’effondrement du marxisme. Aujourd’hui, il saurait que le capitalisme se réformera ou mourra et qu’il appartiendra à la Ve République d’apprendre le rôle que joue la dialectique dans les voyances supérieures de la politique. La France ouvrira-t-elle une école d’initiation à la conduite des Etats ? Interdira-t-elle aux petits démagogues de briguer la magistrature suprême ? Platon s’étonnait déjà de ce qu’on vérifiât la compétence des cordonniers, mais non celle des chefs d’Etat. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et même l’Angleterre savent-elles seulement qu’elles se trouvent dans la position d’Athènes face à l’empire Perse ? Se souviennent-elles seulement des Lysias, des Andocide, des Thucydide, qui ont vainement tenté d’ouvrir les yeux des cités grecques sur la nécessité de s’unir face aux Xerxès et aux Artaxerxès ? C’est dans le sang et les massacres qu’Alexandre a fondé une civilisation grecque à vocation mondiale éphémère, mais sans laquelle Athènes n’aurait pas fécondé l’empire romain.
Le véritable homme d’Etat voit clair comme le jour que si l’Europe ne devenait pas le pôle civilisateur de la puissance politique mondiale dont la Chine, la Russie, l’Inde, La Turquie, le Brésil, le monde arabe et l’Afrique forgent les armes sous nos yeux, notre continent en sursis ne sera plus qu’un vassal. M. Nicolas Sarkozy figure parmi les cochers de service de la diligence en location qu’on appelle encore le Continent de l’intelligence.
Appartiendra-t-il à l’Europe de féconder le monde à l’école même de sa mort ? Cette civilisation renaîtra-t-elle parce qu’elle était née pour conduire l’humanité vers son avenir cérébral ? Les autres civilisations ont péri à la suite de leur expulsion de l’histoire vivante. Espérons que celle-là remportera demain ses véritables victoires pour s’être tournée depuis vingt-cinq siècles vers l’avenir des guerres de la raison, espérons que celle-là se voudra à jamais le guide de l’intelligence d’une humanité trop partiellement évadée de la zoologie.
12 – Gaza
La balance à peser l’éthique politique de la planète se trouve à Gaza et il se trouve que cette pesée-là exige qu’une question sacrilège entre toutes soit enfin posée cartes sur table : oui ou non l’empire américain tient-il encore les rênes de son destin entre ses propres mains ou n’est-il plus que le satellite d’Israël sur la scène internationale ? Le monde entier semble être tombé dans les rets d’un petit Etat qui se refuse fermement à signer le Traité de non prolifération des armes nucléaires et qui s’agite frénétiquement afin de faire condamner par la voix de la conscience dite universelle une arme atomique dont la possession par une puissance rivale menacerait son hégémonie dans la région. Si cette situation était vérifiée, le premier pas d’un véritable homme d’Etat européen serait de comprendre que l’enjeu de la politique est devenu plus éthique que jamais et que les dirigeants privés de morale seront éjectés de l’histoire.
Le 26 septembre, nous écouterons la conférence de presse que le spectre du Général de Gaulle tiendra devant la presse étrangère et qu’il consacrera aux relations que la planète d’aujourd’hui entretient avec la morale des Etats.