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La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

Alors que majoritairement les observateurs prennent parti dans le conflit russo-US et souhaitent la victoire de leur camp, Moscou tente d’apaiser le Moyen-Orient. Il s’oppose donc à une attaque d’Israël par l’Iran comme il s’était opposé à une opération israélienne contre l’Iran, en 2008.

 

 

Israël a tiré neuf missiles contre deux bases militaires syriennes dans la nuit du 29-30 avril 2018, causant de très importants dégâts.

Ce qui surprend dans cette opération, c’est que les radars russes n’ont pas transmis l’alerte aux autorités syriennes. Celles-ci n’ont donc pas pu intercepter les projectiles israéliens.

Il s’avère que l’attaque visait non pas des objectifs syriens, mais des cibles iraniennes sur des bases syriennes.

En vertu d’un traité antérieur à la guerre, l’Iran est venu aider la Syrie dès le début de l’agression étrangère, en 2011. Sans cette aide, la Syrie aurait été vaincue, la République renversée, et les Frères musulmans installés au pouvoir. Cependant, depuis septembre 2015, la Syrie est également soutenue par la Russie, dont la puissance de feu est bien supérieure. C’est l’armée de l’Air russe qui, au moyen de bombes pénétrantes, a détruit les fortifications souterraines construites par l’OTAN et Lafarge, permettant à l’armée arabe syrienne de reconquérir le terrain perdu.

Aujourd’hui, les buts des Iraniens et des Russes divergent.

 

Le désaccord irano-russe

La Russie entend éradiquer les organisations jihadistes et pacifier l’ensemble de la région. Puis, elle espère rétablir le lien historique entre sa culture orthodoxe et Damas, cité originelle du christianisme, conformément à la stratégie fixée au XVIIIème siècle par la Grande Catherine.

L’Iran est désormais un pays divisé entre trois pouvoirs distincts. D’un côté les Gardiens de la Révolution, de l’autre le président Rohani, et enfin, le Guide Khamenei qui arbitre leurs conflits.

Les Gardiens de la Révolution sont une unité d’élite, distincte de l’armée régulière. Ils obéissent au Guide tandis que l’armée dépend du président de la République islamique. Ils tentent de libérer le Moyen-Orient de l’impérialisme anglo-saxon. Ils assurent la protection des chiites, partout dans le monde, et en retour comptent sur eux pour protéger l’Iran. Ils sont notamment déployés au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban.

Le président Hassan Rohani cherche à faire sortir son pays de l’isolement diplomatique suscité par la Révolution de l’imam Khomeiny. Il entend développer le commerce international et rétablir le statut de puissance régionale dominante dont son pays disposait à l’époque du Shah.

L’ayatollah Ali Khamenei, qui est idéologiquement proche des Gardiens de la Révolution, tente de maintenir l’équilibre entre ces deux pouvoirs et l’unité de son pays. C’est un rôle d’autant plus difficile que les tensions entre les deux groupes précédents sont à leur paroxysme. L’ancien président Mahmoud Ahmadinejad (issu des Gardiens de la Révolution) et son ancien vice-président Hamid Beghaie ont été déclarés « mauvais musulmans » par le Conseil des gardiens de la constitution. Le premier vient d’être assigné à résidence, tandis que le second a été condamné à 15 ans de réclusion à l’issue d’un procès secret.

Depuis l’assassinat de Jihad Moughniyah (fils d’Imad Moughniyah, le chef militaire du Hezbollah libanais) et d’officiers des Gardiens de la Révolution, en janvier 2015, à la ligne de démarcation syro-israélienne du Golan, tout laisse à penser que l’Iran tente d’implanter des bases militaires au sud de la Syrie. Il s’agirait de planifier une attaque coordonnée d’Israël depuis Gaza, le Liban et la Syrie.

C’est ce projet qu’Israël tente de prévenir et que désormais la Russie refuse de cautionner.

 

L’évolution des positions politiques

D’un point de vue russe, Israël est un État internationalement reconnu, dont plus d’un million de citoyens sont issus de l’ex-Union soviétique. Il a le droit de se défendre, indépendamment de la question posée par le vol des terres et le régime d’apartheid actuel.

Au contraire, d’un point de vue iranien, Israël n’est pas un État, mais une entité illégitime qui occupe la Palestine et opprime ses habitants historiques. Il est donc légitime de le combattre. Ce faisant, la République islamique va au-delà de l’analyse de son fondateur. En effet, pour l’imam Khomeiny, Israël n’est qu’un outil pour les deux principales puissances coloniales que sont les États-Unis (le « Grand Satan ») et le Royaume-Uni. Au cours des dernières années, le discours iranien sur la Palestine est devenu particulièrement confus, mêlant des arguments politiques et religieux, et recourant à des stéréotypes antisémites.

Depuis trois ans, Israël demande à cor et à cri que la Russie empêche l’Iran d’installer des bases militaires à moins de 50 kilomètres de la ligne de démarcation. Au début, la Russie a fait remarquer que l’Iran avait gagné la guerre en Syrie tandis qu’Israël l’avait perdue. Tel-Aviv n’avait donc rien à exiger. Mais on arrive maintenant à la fin possible de la guerre et la position russe a changé : il n’est pas question de laisser l’Iran ouvrir un nouveau conflit.

C’est exactement la même attitude qui avait poussé la Russie à bombarder les deux aéroports loués par Tsahal en Géorgie, en 2008. Il s’agissait alors de prévenir une attaque de Téhéran par Tel Aviv. Sauf que le laisser-faire de cette fois s’oppose à une initiative iranienne et non plus israélienne.

 

La position syrienne

D’un point de vue syrien, Israël est un ennemi qui occupe illégalement le Golan. Au cours de la guerre, il a soutenu de facto les jihadistes et a déjà bombardé le pays plus d’une centaine de fois.

Le projet iranien n’en est pas pour autant le bienvenu. En effet, comme Moscou, Damas ne met pas en cause l’existence de l’État hébreu, mais uniquement sa forme de régime qui exclut les Palestiniens. Surtout, la République arabe syrienne ne cherche pas la confrontation avec son voisin, mais la paix. Les présidents Hafez et Bachar el-Assad ont tous deux tenté de la négocier – notamment avec le président états-unien Bill Clinton –, en vain.

Par ailleurs, chacun sait que l’armée israélienne est appuyée sans réserve par les États-Unis, que l’attaquer, c’est attaquer Washington. La Syrie qui vient de traverser sept ans d’agression étrangère et est largement détruite ne pourrait pas s’engager dans cette voie même si elle le voulait.

Par conséquent, Damas, qui a accepté de laisser l’Iran installer des bases sur son sol, n’ira pas au-delà.

 

Le contexte irano-US

De même que la fin possible de la guerre a provoqué la crise actuelle, elle pèse sur l’avenir de l’accord 5+1. Les États-Unis ne devraient probablement pas continuer à s’en porter garants.

Cet accord multilatéral n’est pas ce que l’on croit. Le texte, signé le 14 juillet 2015 est exactement identique à celui négocié le 4 avril. Durant les derniers mois, Washington et Téhéran ont négocié en tête-à-tête des clauses secrètes bilatérales dont nul ne connaît la teneur.

Cependant, chacun a pu constater que depuis la conclusion de cet accord secret, les troupes états-uniennes et iraniennes, présentes partout au Moyen-Orient, ne se sont jamais directement affrontées.

La partie publique de l’accord porte sur une suspension du programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie ; une levée des sanctions internationales contre l’Iran ; et un renforcement des contrôles de l’AIEA. Cet accord est catastrophique pour Téhéran qui a par exemple été contraint de fermer sa filière d’enseignement de physique nucléaire. Mais il l’a pourtant signé en espérant la levée des sanctions qui frappent très durement son économie. Or, ces sanctions à peine levées ont été rétablies sous un autre prétexte (le programme de missiles). Le niveau de vie des Iraniens continue à baisser.

Contrairement à une idée reçue, la République islamique avait cessé de chercher à se doter de la bombe atomique, en 1988, parce que l’imam Khomeiny l’avait convaincue que les armes de destruction massive sont contraires à l’islam. Elle avait cependant poursuivi son activité nucléaire civile et quelques recherches sur des applications militaires tactiques. Aujourd’hui, seuls ceux qui souhaitent marcher sur les pas du Shah – c’est-à-dire le groupe du président Rohani – sont susceptibles de vouloir reprendre son programme nucléaire militaire. Mais, ils ne le feront pas compte-tenu de leurs excellentes relations avec Washington.

Une réunion préparatoire de la Conférence mondiale de suivi du Traité de non-prolifération nucléaire se tient actuellement à Genève. L’Iran et la Russie y défendent une motion visant à déclarer le Moyen-Orient « zone exempte d’armes nucléaires » ; une motion que combattent Israël, l’Arabie saoudite et les Occidentaux.

La menace exercée par Téhéran depuis la Syrie doit peut-être être comprise comme un moyen de pression en vue du maintien des clauses secrètes parallèles à l’accord 5+1.

Thierry Meyssan

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31 Commentaires

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  • #1962607
    Le 10 mai 2018 à 14:40 par jalon
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    "La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne". Tu m’étonnes, Gazprom est en Syrie.

    Si affrontement il devait y avoir entre ces deux-là, cela se ferait en premier lieu sur l’actuel territoire Syrien et cela n’arrangerait pas les affaires de la Russie. Les nouvelles routes du gaz passent par la Turquie et la Syrie. Poutine tente de tempérer tout le monde "uniquement" pour protéger ses (futurs) intérêts.

     

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    • #1962951
      Le Mai 2018 à 23:21 par Babalou
      La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

      Poutine est le président de la Fédération de Russie : il défend les Russes et les intérêts russes. Qu’est ce qui vous choque ? C’est vrai que c’est une vision hélas dépassée dans nos contrées...

       
    • #1963054
      Le Mai 2018 à 08:22 par jalon
      La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

      @ Babalou

      Je ne suis pas choqué, l’article est axé "religion" et tiens donc très peu compte de l’aspect énergetique, or vu la région et son sous-sol (gaz, pétrole), un petit rappel n’est pas superflu, je trouve.

       
  • #1962609
    Le 10 mai 2018 à 14:42 par Pffff
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    Absolument pas d’accord avec cette analyse !

    l’iran n’a jamais attaqué Israël sur son territoire... Ni ces bases en Syrie... le contraire oui...
    Israël assssine depuis des années des scientifiques iraniens... l’inverse non

    alors mr Meyssan arrêter de dire que c’est liran qui veut la guerre... c’est vraiment n’importe quoi !!!

    une façon de défendre très maladroitement la Russie dans sa neutralité !!!

     

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  • #1962618
    Le 10 mai 2018 à 15:00 par Agathe
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    "une guerre irano-israélienne" ? Rigolade, ce sera une guerre américano-iranienienne, les US étant bien sûr les agresseurs pour le compte d’Israël qui ne risquera pas le sang d’UN SEUL de ses soldats . En 1991, première guerre du golfe : les Irakiens compteront 100 000 morts, les US : 100, surtout du fait des accidents de la circulation et d’hélicoptères... Quand l’agressé compte 1000 fois plus de victimes que l’agresseur, il s’agit d’un MASSACRE, pas d’une guerre .

     

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  • #1962704
    Le 10 mai 2018 à 16:59 par toto
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    La Russie avait réussi a faire de la "bataille contre Daesh" son cheval de Troie pour bloquer les occidentaux en Syrie. Ces derniers sont en train de changer de stratégie et cherchent maintenant à diaboliser l’Iran pour justifier les bombardements israéliens.

    Invité au défilé de la victoire contre l’Allemagne Nazi, Netanyahu en a lâchement profité pour bombarder la Syrie (où les pseudo-installations militaires iraniennes) dans la nuit qui a suivi ces commémorations sachant que les Russes ne broncheraient pas pour éviter l’incident diplomatique.

    Du coup, ce sont les forces Russes très présentes en Syrie sur le terrain qui risquent d’êtres prises à partie par la population car à ce jour, on peut légitiment se demander quelle est la cohérence et l’objectif de l’intervention Russie dans dans ce pays.

     

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  • #1962804
    Le 10 mai 2018 à 19:46 par jean pseudo
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    Comme je l’ai déjà écrit à ce sujet , la russie ne restera pas les bras croisés .

     

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  • #1962882
    Le 10 mai 2018 à 21:44 par Fabien
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    " les armes de destruction massive sont contraires à l’islam"
    Enfin des gens qu’ont des valeurs humanistes !
    Mes respects.

     

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  • #1962891
    Le 10 mai 2018 à 21:52 par Thinker
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    Mardi 8 mai : les observateurs israéliens détectent des mouvements de troupe iranienne hostiles dans le Golan, déclenchent l’état d’alerte et tire une demi-douzaine de missiles pour détruire un entrepôt de stockage iranien. Bilan 15 morts + 2 civils tués par les débris des missiles abattus.
    Mercredi 9 mai : Netanyahou est à Moscou au prétexte des commémorations de la victoire sur le nazisme, il défile au coté de Poutine l’air on ne peut plus satisfait.
    Nuit de mercredi à jeudi 10 : encore des mouvements hostiles dans le Golan syrien, nouvelle alerte, des roquettes sont tirés depuis des camions équipés de vieux lance-roquettes multiples sur les facilités militaires israélienne. Ils seront tous abattus par la défense anti-aérienne israélienne. Israël lance un raid massif en représailles et tire 70 missiles sur une dizaine d’installations iraniennes différentes qui causeront des dégâts très importants et une trentaine de morts.

    Le ministre israélien de l’énergie a déclaré courant avril : "ce n’est que mon opinion personnelle, mais si le régime syrien laisse l’Iran utiliser son territoire pour bombarder Israël, on devra tuer Assad".

    Hier Nétanyahou a dit à Poutine que si la plaisanterie continuait en Syrie, ce serait guerre frontale contre la Syrie, guerre contre l’Iran, regime change à Damas et advienne que pourra. Poutine a répondu dans ce cas c’est open bar pour cibler les Iraniens en Syrie, mais en contre-partie vous laisserez Assad tranquille.
    A mon humble avis...

    Les Israéliens observent les activités Iraniennes en Syrie depuis des mois. Ils ont du détruire le gros de leur potentiel d’agression avec les frappes exercées depuis le début du mois d’avril.
    Et encore l’état major israélien a conclu le raid d’hier soir avec : la prochaine qu’ils tentent le coup, on leur fera encore plus mal. Comprendre ils taperont pour faire des victimes et pas pour détruire du matériel ?

    Perso j’espère qu’il y aura une désescalade sinon l’affaire va vraiment mal se terminer...
    On pense ce qu’on veut de la brutalité des dirigeants Israéliens, mais il faut bien reconnaitre qu’ils ont les couilles de défendre leur territoire avec intransigeance et qu’ils savent vraiment très bien si prendre.

     

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  • #1963053
    Le 11 mai 2018 à 08:20 par Yann59
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    Pour moi c est clair la Russie veut imposer la paix. Et si il n y a pas conflit qui serait le perdant ? Israel evidemment. Les sionistes sont bloqués pour continuer leur plan d extension. Et il faut savoir que cet etat survie grâce au donnation d autres etats qui vont s enfoncer dans la dette... Parcontre Trump a baisser son froque et devient pire qu Obama.

     

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  • #1963111
    Le 11 mai 2018 à 10:29 par Antoine
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    La recherche de la Paix doit se faire par le déploiement immédiat des fameux S300 et S400 tant en Syrie qu’en Iran.

    A quand une pétition (toute symbolique) pour prier le sieur Poutine à s’y résoudre et ceci dans les plus brefs délais (pas dans 10 ans) ???

     

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  • #1964370
    Le 13 mai 2018 à 02:01 par Michelly58
    La Russie s’oppose à une guerre irano-israélienne

    Ah je vois, je comprends mieux pourquoi ils ont déboutés le shah. Il aurait mieux valu que Ahmaninejad revienne au pouvoir, Rohani est un mou du genou prêt à toutes les courbettes pour faire enlever les sanctions. La Russie essaie probablement de faire du chantage à Israël avec l’aide de l’Iran.

     

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