Bucarest propose à Moscou sa voix dans les organismes de l’Union européenne et de l’Otan en échange de l’accès sur le marché russe, a déclaré dans une interview accordée à Romania Libera, Titus Corlăţean, ministre roumain des Affaires étrangères. En échange, Bucarest veut accéder librement au marché russe, écrit mercredi 6 novembre le quotidien Nezavissimaïa gazeta.
Pour Viorel Cibotaru, directeur de l’Institut d’études européennes de Chisinau, cette proposition du ministre est une tentative de l’aile sociale-démocrate du gouvernement d’établir avec Moscou de nouvelles relations qui n’omettraient pas le problème de l’"or roumain", évacué et stocké en grandes quantités en Russie depuis la Première Guerre mondiale.
"La Roumanie est membre de l’Otan et de l’Union européenne et quand des décisions concernant la Russie sont prises notre voix a de l’importance", rappelle Titus Corlăţean. Et d’ajouter : "Le partenariat Union européenne-Russie soulève des questions très importantes et, dans les discussions à ce sujet, la Roumanie est écoutée. Elle contribue aussi à la prise de décisions".
Le ministre estime qu’il faut établir entre les deux pays des "relations complexes" tant par les gestes que par la symbolique, et veut rapprocher les sociétés russe et roumaine. C’est pourquoi un Conseil des sociétés civiles a vu le jour, où l’on tente de régler les "relations tendues" entre Moscou et Bucarest par le passé.
Le ministre a souligné que la Roumanie espérait encore récupérer ses réserves d’or évacuées en Russie pendant la Première guerre mondiale et ouvrir près de Volgograd un cimetière militaire pour les soldats roumains tombés à Stalingrad.
La question, aujourd’hui, est d’autant plus importante que pour le ministre le principal aspect des relations bilatérales reste bien l’économie, rapporte Moldnews. "Sur les 4 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2012, 3 milliards sont des exportations russes en Roumanie. C’est un déficit majeur et nous voulons inverser le cours des choses. Les entrepreneurs roumains souhaitent entrer sur le marché russe", a souligné Titus Corlăţean.
Cet or avait été évacué de Roumanie en 1916 après que le pays a échoué à entrer dans la Première guerre mondiale : les troupes roumaines avaient été défaites par les armées allemande et austro-hongroise et Bucarest était tombée en décembre 1916. Dans ces conditions les autorités du pays avaient décidé d’évacuer leurs réserves d’or en Russie, leur alliée à l’époque. En 1918, quand les troupes roumaines ont occupé la Bessarabie - qui faisait partie de la Russie - le gouvernement soviétique avait refusé de retourner cet or.
Après la Seconde guerre mondiale et l’entrée de la Roumanie dans le bloc socialiste, une partie des réserves avait été retournée. L’Union soviétique avait également accepté de ne pas faire payer à la Roumanie les réparations de 300 millions dollars imposées par le traité de Paris de 1947. Mais au milieu des années 1990 Bucarest a de nouveau soulevé cette question.
Un premier pas pour faire pencher de nouveau la balance économique serait donc pour Bucarest que Moscou accepte l’existence de cette dette, selon Viorel Cibotaru,. "Cela n’arrivera certainement pas avec le gouvernement russe en place, nuance l’expert. Mais à terme c’est possible. Et c’est exactement ce sur quoi comptent les sociaux-démocrates et Corlăţean. D’ailleurs, c’est la première fois que malgré les relations difficiles avec Moscou la Roumanie propose de les rétablir. D’où la proposition faite à la Russie d’utiliser la voix de la Russie au sein de l’Union européenne et à l’Otan en échange de l’accès des entrepreneurs roumains au marché russe."
D’après Viorel Cibotaru, la Roumanie dispose d’une base pour construire ces nouvelles relations car "pratiquement toutes ses entreprises métallurgiques appartiennent aux Russes".
"La Roumanie pourrait proposer à la Russie des meubles de qualité européenne – ils étaient connus encore à l’époque de l’URSS - ou des produits agricoles et industriels. Il existe aussi certainement un intérêt énergétique entre les deux pays. Enfin la voix de la Roumanie pourrait servir à la Russie car toutes les décisions à l’Otan et en UE ne sont prises qu’en présence d’un consensus", a déclaré Viorel Cibotaru.
Il estime que la proposition du ministre roumain des Affaires étrangères est une tentative d’atténuer les différends historiques entre les deux pays, mais aussi les problèmes actuels tels que le scandale de la récente extradition mutuelle d’agents du renseignement.