Renaud Girard est grand reporter international au Figaro. Il a couvert les grands conflits des trente dernières années. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur les guerres au Moyen-Orient, Pourquoi ils se battent (Flammarion, 2005), sur son expérience de l’Afghanistan (Retour à Peshawar, Grasset, 2010) et son dernier ouvrage, Le Monde en marche, a été publié en 2014 aux éditions CNRS. Tous les mardis il tient la chronique internationale du Figaro.
Un accord historique sur le nucléaire iranien a été conclu alors que la France s’est montrée en retrait. Laurent Fabius s’est rendu mercredi 29 juillet à Téhéran pour tenter de réchauffer les relations franco-iraniennes. La France a-t-elle été à la hauteur de l’enjeu ?
Comme l’a dit l’ancien ambassadeur à Téhéran François Nicoullaud, dans cette négociation menée avec succès par Obama, les Français n’ont joué que « les grognards ou les utilités ». L’initiative a été américaine. Laurent Fabius a même tardé à recevoir l’ambassadeur d’Iran en France. Lors de la conférence de Genève II en janvier 2014, Fabius avait refusé la participation de l’Iran. C’était une position stérile ! Comme le disait De Gaulle, « il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur les réalités. » L’Iran est évidemment un facteur essentiel dans la résolution de la crise syrienne. Ne pas inviter l’Iran alors que des puissances scandinaves l’étaient, c’était mener une politique non ancrée dans le réel. François Hollande a pris sur lui de livrer des armes à la pseudo Armée syrienne libre - des missiles Milan, des mitrailleuses 12.7 et 14.5 - elles se sont retrouvées au bout d’une semaine aux mains des Katiba islamistes. C’est l’un des plus gros échecs des missions récentes de la DGSE. Espérons que ces armes ne se retourneront jamais contre la France.
La France aurait-elle pu davantage exploiter une position de médiateur ?
Je regrette de manière générale que ce ne soit pas la diplomatie française qui ait réussi ce deal historique, comme elle avait réussi par le passé à faire la paix entre les Américains et les Vietnamiens - je fais référence aux accords de Paris de janvier 1973. J’avais moi-même proposé, dans un éditorial du Figaro du 21 mai 2007, alors que Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner venaient d’arriver aux affaires, que la France jouât le rôle d’honest broker (médiateur sincère) entre l’Iran et les États-Unis. Ces deux pays ne sont pas des rivaux naturels. Autour de la mer Caspienne, les rivaux naturels sont plutôt la Russie et l’Iran. Il me semblait qu’une fenêtre d’opportunité se présentait alors, celle de la politique française classique au Moyen-Orient, qui se caractérise par une certaine indépendance. Le fait que Sarkozy et Kouchner entretenaient de fortes relations d’amitié avec les États-Unis était paradoxalement un avantage, car l’Amérique n’aurait pas mis de bâtons dans les roues à une initiative française.
Le numéro 3 du régime, Ari Larijani, m’avait reçu le 24 mai 2007 à Téhéran pour me convaincre qu’une ingénierie était possible afin de ramener la confiance entre Occidentaux et Iraniens. Je l’avais amené dans le bureau de Bernard Kouchner fin juin 2007 et il lui avait répété le même message. Cette ingénierie a été trouvée par l’accord historique du 14 juillet 2015 à Vienne. Un arrangement a été trouvé pour rassurer les Occidentaux sur la non militarisation du programme nucléaire iranien. Évidemment, le Traité de non-prolifération dont l’Iran est signataire autorise les activités nucléaires civiles. Nous avons perdu huit ans, et c’est dommage.