Face à l’assaut israélien contre des bateaux apportant de l’aide humanitaire à la population du territoire palestinien, la réaction des dirigeants occidentaux est molle et lâche, s’indigne Robert Fisk dans The Independent.
L’Etat hébreu aurait-il perdu la boule ? La guerre de Gaza de 2008/2009 (1 300 morts) et celle du Liban en 2006 (1 006 morts), et toutes les autres guerres, et maintenant, le massacre du 31 mai (assaut israélien contre la "flottille de la liberté"), tout cela signifie-t-il que le monde ne va plus tolérer qu’Israël fasse la loi ? Ne nous emballons pas. Il suffit de lire la molle réaction officielle de la Maison-Blanche — qui a annoncé que le gouvernement Obama s’efforçait de “comprendre les circonstances qui entourent la tragédie”. Pas un mot de condamnation. Et c’est tout. Neuf morts. Un chiffre de plus qui vient s’ajouter à la liste des victimes au Moyen-Orient. Or, c’est bien plus que cela.
En 1948, nos politiques, américains et britanniques, ont mis en place un pont aérien pour Berlin. La population, affamée (et qui, trois ans plus tôt, était encore notre ennemie), était encerclée par une force armée sans pitié, les Russes, qui avaient imposé un blocus à la ville. Le pont aérien pour Berlin a été l’un des grands moments de la guerre froide. Nos soldats et nos aviateurs ont pris des risques et donné leur vie pour ces Allemands qui mouraient de faim. Incroyable, non ? En ce temps-là, nos hommes politiques prenaient des décisions ; nos dirigeants prenaient des décisions afin de sauver des vies. MM. Attlee et Truman savaient que Berlin était important sur le plan moral et humain autant que politique.
Et aujourd’hui ? Ce sont des gens simples, des Européens, des Américains, des rescapés de l’Holocauste, oui, grands dieux, des rescapés des nazis, qui ont pris la décision de se rendre à Gaza parce que leurs politiciens et leurs hommes d’Etat ne se sont pas montrés à la hauteur. Où étaient-ils, nos politiciens, ce 31 mai ? Eh bien, nous avons eu droit au ridicule Ban Ki-moon, à la déclaration pathétique de la Maison-Blanche et à l’excellent Tony Blair qui a exprimé son “profond regret et sa stupeur face à ces pertes tragiques”. Où était M. Cameron (le nouveau Premier ministre conservateur britannique) ? Où était M. Clegg (le vice-Premier ministre du parti libéral britannique) ?
Remarquez, en 1948 aussi, nous aurions ignoré les Palestiniens. Sinistre ironie de l’histoire, le pont aérien pour Berlin a coïncidé avec la destruction de la Palestine arabe. Mais le fait est qu’il s’agit de civils, de militants, appelez-les comme vous voulez, qui maintenant décident de changer le cours des choses. Nos politiques sont trop mous, trop lâches, pour prendre les décisions qui sauvent des vies.
Car le fait est que, si des Européens (eh oui ! les Turcs sont des Européens, n’est-ce pas ?) avaient été abattus par une autre armée du Moyen-Orient (et l’armée israélienne en est une, n’est-ce pas ?), on aurait entendu un concert assourdissant de protestations. Par ailleurs, que dénote l’attitude d’Israël ? La Turquie n’est-elle pas un proche allié d’Israël ? Est-ce ce à quoi peuvent s’attendre les Turcs ? Maintenant, le seul allié d’Israël dans le monde musulman parle de massacre — et Israël s’en moque apparemment.
Mais Israël s’en moquait déjà quand Londres et Canberra ont expulsé des diplomates israéliens après que de faux passeports britanniques et australiens eurent été fabriqués puis remis aux assassins du commandant du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh. L’Etat hébreu se moquait bien de l’opinion mondiale quand il a annoncé la création de nouvelles colonies juives dans les Territoires occupés à Jérusalem Est, et ce malgré la présence en ville de Joe Biden, le vice-président de son allié jusqu’ici, les Etats-Unis. Alors, pourquoi Israël ne s’en moquerait-il pas maintenant ?
Comment en est-on arrivé là ? Sans doute parce que nous nous sommes habitués à voir les Israéliens tuer des Arabes, sans doute parce que les Israéliens se sont habitués à tuer des Arabes. Maintenant ils tuent des Turcs. Ou des Européens. Quelque chose a changé au Moyen-Orient ces dernières 24 heures — et les Israéliens (compte tenu de leur réaction extraordinairement idiote au massacre) ne comprennent visiblement pas ce qui s’est passé. Le monde en a assez de ces scandales. Seuls les politiques gardent le silence.