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L’immobilier en Chine, une bombe à retardement ?

Combien pensez-vous que de simples rouleaux au poulet peuvent coûter ? Pour Zhao Rui, cadre d’entreprise à Beijing, âgé de 28 ans, ils lui ont coûté la bagatelle de 400 000 Yuans, lorsqu’il a laissé passer l’occasion d’acheter un appartement à un prix plus bas à l’heure de son déjeuner.

Début mars, M. Zhao s’était décidé pour un appartement de deux chambres à Tongzhou, district de Beijing situé en dehors du 5e périphérique. A part le prix, 18 000 Yuans le mètre carré, il était assez satisfait de l’affaire. Il est donc parti déjeuner avec sa petite amie avant de verser le prix du logement. Mais quelle ne fut pas leur surprise d’apprendre, de retour au bureau de vente après leur déjeuner, et alors qu’ils s’apprêtaient à payer, que tous les appartements avaient été vendus, et qu’ils auraient à attendre trois nouvelles semaines pour qu’un nouveau bâtiment d’appartements soit disponible.

Quelques semaines plus tard, M. Zhao, craignant qu’il n’ait plus les moyens d’acheter un tel appartement s’il continuait à hésiter, a payé 400 000 Yuans de plus pour un appartement similaire situé dans la même communauté.

L’expérience de M. Zhao est l’exemple typique de l’état du marché immobilier en Chine après la fin des sessions de la législature suprême et du corps de conseil politique du pays en mars.

Parce qu’il n’y avait plus de mesures de restriction provenant de la session législative, du fait aussi du déséquilibre entre l’offre et la demande, ainsi que de l’apparition fréquente de « rois des terrains », les craintes des gens pour de nouvelles augmentations se sont renforcées, et le marché est reparti à la hausse, alimentant les soucis pour une possible bulle immobilière.

D’après le Bureau National des Statistiques, le prix des logements dans 70 grandes villes de Chine a augmenté de 11,7% en mars par rapport à l’année précédente, contre 10,7% en février, soit la plus forte hausse d’une année sur l’autre pour un seul mois depuis que le Bureau a étendu son domaine de couverture à 70 villes en juillet 2005.

Lors de l’Exposition de l’Immobilier de Beijing, qui s’est achevée récemment, les chiffres ont montré que le prix de vente moyen au mètre carré pour un appartement neuf dans la capitale était de 21 164 Yuans, soit le double de l’année dernière. Des statistiques en provenance de la Société d’Information sur l’Immobilier de Chine ont également montré que 793 000 mètres carrés d’appartements ont été vendus à Shanghai en mars, soit 140% de plus que lors du mois précédent. C’était le premier rebond du marché après trois mois de baisse consécutive.

Curieusement, bien que la plupart des gens se plaignent de la hausse des prix de l’immobilier, la plupart des projets immobiliers des plus grandes villes du pays se vendent toujours très bien. D’ailleurs, un assez grand nombre de projets immobiliers de Beijing et Shanghai ont été vendus en totalité dès leur premier jour de mise en vente. Et à Hangzhou, plus de 4 000 personnes se sont battues pour 224 appartements vendus au prix moyen de 18 000 Yuans le mètre carré le week-end dernier, créant le chaos et contraignant le promoteur à faire appel à la police. Mais alors, sachant que les prix actuels sont déjà hors de portée des bourses de la plupart des habitants de ces grandes villes, qui sont donc les principaux acheteurs ?

D’après un rapport de la banque centrale, les achats d’appartements dans un but d’investissement représentaient 23,1% lors du premier trimestre de cette année, chiffre record pour ces deux dernières années. Cette proportion, en hausse sur quatre trimestres d’affilée, est de 1,8% supérieure à celle du trimestre précédent.

Le rapport montre aussi que 14,2% des résidents ont plus d’un appartement, soit 1% de plus d’un trimestre sur l’autre.

« Si vous disposez d’une épargne de 400 000 à 500 000 Yuans, est-ce que vous pouvez trouver un meilleur endroit pour investir qu’acheter des appartements ? » dit Li Yan, un homme d’affaires qui travaille à Wenzhou et Beijing. Mais, même si l’immobilier est considéré comme le meilleur moyen de limiter les risques dus à l’inflation, la montée en flèche des prix a rendu ce genre d’investissement plus risqué, comme le montrent des indicateurs internationalement reconnus.

Pour des personnes à revenus moyens à Beijing et Shanghai, un appartement ordinaire de deux chambres peut leur coûter de 20 à 30 ans de revenus, soit bien plus que la moyenne internationale, qui est de six ans. Dans un marché sain, les propriétaires peuvent rentabiliser leur bien après l’avoir loué de 16 à 25 ans. Mais à Beijing et Shanghai, ils ont besoin de 36 à 42 ans pour parvenir au même résultat, d’après la China Index Academy, un institut de recherche dans le domaine de l’immmobilier. Ces chiffres sont cependant plus raisonnables dans les villes de deuxième ou troisième plan.

« Acheter un appartement, ou plus exactement, mettre le grappin sur un logement le moment venu, n’est pas très différent d’enclencher une bombe à retardement derrière votre siège », dit Wang Liang, un professeur d’université qui a abandonné son projet d’acheter un appartement à Beijing.

Maintenant, la question est de savoir quand la bulle explosera. A quel niveau de gravité pourrait-elle alors toucher l’économie dans son ensemble ? Et cette bombe à retardement peut-elle être désamorcée en toute sécurité ?

D’après un calendrier en ligne assez populaire chez les internautes, le secteur chinois de l’immobilier devrait connaître un important krach l’année prochaine, par comparaison avec des phénomènes similaires en Chine entre 2005 et 2008 avec ce qui s’est passé au Japon entre 1985 et 1991, comme par exemple une croissance économique proche de 10%, une forte dépendance aux exportations, une forte pression pour une réévaluation de la monnaie et des prix de l’immobilier en hausse.

Cependant, les experts de l’industrie disent que cette prévision ne tient pas la route, la Chine et le Japon étant très différents en terme de structure démographique et de système bancaire.

« Je ne crois pas à la possibilité d’un tel éclatement en Chine », dit Danny Ma, directeur chez CBRE Research China, citant le niveau d’urbanisation différent comme un facteur important.

Quand la bulle a éclaté au Japon en 1985, le taux d’urbanisation du pays atteignait 75,7%. Du coup, les prix de l’immobilier ont augmenté sans réelle demande due à l’urbanisation. Mais en Chine aujourd’hui, les chiffres sont encore aux alentours de 45%, et de ce fait, le marché de l’immobilier reste étayé par un processus d’urbanisation rapide, dit-il.

D’après un document écrit en commun par quatre économistes de la Banque du Japon, l’expérience vécue par le Japon montre que l’étendue de la correction du marché de l’immobilier dépend aussi du stade de développement économique.

« Du fait de son fort potentiel de croissance et de son faible effet de levier, il est peu probable que la Chine ait à souffrir d’une forte correction de son marché immobilier, comme celui qu’a connu le Japon dans les années 1990 », disent les économistes. Par ailleurs, tout effondrement du marché immobilier suivant l’emballement actuel ne devrait être que temporaire, compte tenu de l’état actuel de développement économique de la Chine, disent-ils.

Pour Wang Tao, directeur de la recherche économique chez UBS, la plus grande différence entre les deux pays réside dans le fait que la Chine en est toujours à un niveau de développement bas. Donc, si jamais il y avait une forte correction, elle a toujours la possibilté de remonter la pente.

« Si le gouvernement prend des mesures opportunes et efficaces, alors l’histoire ne se répétera pas. Et je pense que le gouvernement chinois a suffisamment d’habileté pour empêcher tout éclatement de cette bulle », a dit Shen Jianguang, directeur adjoint de la recherche chez CICC Hong Kong.

Le gouvernement chinois vient en effet de relever l’acompte exigé des Chinois pour l’achat d’un deuxième appartement de 40 à 50%, dernière mesure en date destinée à juguler la montée des prix de l’immobilier et à prévenir des risques financiers grandissants.

Liu Mingkang, président de la Commission Chinoise de Régulation Bancaire avait déclaré lors du Forum de Bo’ao pour l’Asie, qui s’est conclu récemment, que le système bancaire disposait de nombreux moyens pour faire face aux risques de la pression venant du secteur immobilier.

Dans le même temps, d’après certaines sources du secteur, une nouvelle taxe, similaire à la taxe sur la propriété, devrait être bientôt levée dans certaines villes à titre d’essai, dans le but de renchérir la possession de plus d’un logement et de prévenir la spéculation. Et de son côté, le Ministère des Terres et des Ressources a annoncé jeudi qu’il allouerait 180 000 hectares de terrains à but résidentiel en 2010, soit plus du double que l’année dernière.

« Toutes ces mesures, si elles sont sérieusement appliquées, pourront empêcher de manière efficace les prix de l’immobilier de grimper davantage dans certaines villes. Et on pourrait s’attendre alors à un atterrissage en douceur du marché immobilier », dit Fan Qi, analyste chez la société immobilière américaine Century 21.