C’est un des combats sémantiques des deux dernières années. Les néolibéraux européistes avaient réussi brièvement à faire parler d’une crise des dettes souveraines avant que la réalité ne finisse à nouveau par s’imposer à tous : il s’agit d’une crise de la zone euro et donc de l’euro.
Une mystification qui tombe
En 2010, quand les premières crises ont commencé, on parlait bien d’une crise de la zone euro puisque seuls les pays de l’Union Economique et Monétaire étaient concernés. Les énormes déséquilibres (déficits commerciaux du fait de la divergence des coûts de production) accumulés depuis des années et camouflés par des taux d’intérêt similaires avaient fini par apparaître avec la grande crise financière déclenchée en 2008, qui a provoqué la divergence des taux d’intérêt.
Le fait que la crise débute en Grèce a donné quelques arguments aux néolibéraux qui voulaient profiter de la crise pour avancer leur agenda en parlant de « crise des dettes souveraines » au lieu de crise de la zone euro. Mais rapidement, la situation est devenue plus complexe car l’Espagne et l’Irlande étaient les pays les moins endettés de la zone euro en 2007, avec seulement 40% du PIB de dette. Du coup, il devenait impropre de parler de crise des dettes souveraines.
Mais cela n’a pas empêché certains commentateurs de mélanger les excès du secteur immobilier (privé) avec certains excès de dépenses publiques bien que cela n’ait rien eu à voir. Pire, au contraire, la crise qui touche l’Espagne démontre justement toutes les carences de la monnaie unique car on peut très largement attribuer la bulle immobilière ibérique au passage à l’euro, qui a imposé un argent trop bon marché, sans possibilité pour le gouvernement de faire grand chose.
Comment l’euro provoque la crise
Par-delà le rôle de la monnaie unique dans les bulles immobilières irlandaise et espagnole (en ne permettant pas à ses pays d’ajuster leurs taux d’intérêt au gonflement de la bulle), l’euro a plusieurs effets qui amplifient la crise. Tout d’abord, l’euro est trop cher, pénalisant les exportateurs et poussant aux délocalisations, sauf en Allemagne. Le creusement des déficits commerciaux explique une bonne partie de l’atonie économique du continent européen depuis 2002.
Ensuite, l’euro pousse à une course mortifère aux salaires les plus faibles puisqu’il n’y a pas possibilité d’ajuster une hausse plus rapide des coûts salariaux par des dévaluations. Résultat, une immense pression à la baisse des salaires se fait jour, ce qui pèse sur la croissance, qui repose aussi sur la croissance du pouvoir d’achat. Plus globalement, les politiques d’austérité (et le refus de la monétisation) accentuent la crise, comme le soulignent de nombreux économistes.
Le dernier point est encore plus structurel, à savoir que l’euro apparaît comme une construction fragile, pouvant être déconstruite. Du coup, les marchés demandent une prime de risque pour le cas où l’euro serait démonté. Et c’est normal car il suffit d’un vote pour remettre en cause la participation d’un pays à l’euro. Cette incertitude condamne l’euro à l’avance car elle ne pourra jamais être levée après cette crise, chose qui n’existerait pas à l’échelle des Etats-Unis ou d’un pays.
Bref, non seulement l’euro ne nous protège pas mais il est bien responsable en bonne partie de la crise que nous traversons aujourd’hui. Et par sa construction même, il restera toujours friable dans les démocraties dans lequelles nous vivons, ce qui condamne cette expérience, à plus ou moins brève échéance.