Pas la peine d’être un nationaliste blanc pour commettre un meurtre de masse dans un lieu de culte comme à Christchurch, quoique, si vous ne lisez que les médias officiels, vous soyez probablement tenté de les associer, les nationalistes blancs, avec ce genre de dépravation. Je n’ai aucune intention de chercher des excuses pour ce crime, et tout en rejetant les théories conspirationnistes, je voudrais contextualiser l’événement, enquêter sur les forces politiques à qui profitent la chose, et sur l’assignation de la culpabilité que les libéraux ont mis en œuvre.
Les nationalistes blancs ne sont pas des gens à part. Un musulman aurait pu en faire autant. En Égypte, des extrémistes musulmans ont massacré, en avril 2017, 45 chrétiens dans deux églises coptes. Il y a une longue liste d’attaques contre des églises en Égypte, en Syrie et en Irak, par des extrémistes islamiques. Ils tuent également des musulmans pas assez dévots à leur goût : 300 fidèles musulmans furent massacrés par des extrémistes musulmans (voir Wikipedia) dans une mosquée du Sinaï en novembre 2017. Les atrocités de Daech se situent à un autre niveau (pire) dans l’ensemble, même si les médias les sous-évaluent parce qu’ils préfèrent diaboliser Assad avec ses alliés russes et iraniens. Il y a beaucoup d’attaques musulmanes contre des chrétiens qui ne sont pas diffusées, parce que les médias obéissent à la règle visant à maintenir les nationalistes locaux de souche sous pression, et que des reportages complets leur feraient rater leur cible. En septembre 2018, un individu a répandu du pétrole et tenté de mettre le feu à une rame de métro à Stockholm. Il en a été empêché par des passagers, arrêté, et condamné à quatre ans de prison. Mais on n’en a pas vu trace dans les médias, à une exception près, et on n’a pas communiqué son nom pour une bonne raison : c’est un nom musulman. En même temps, les crimes dits de haine sont très abondamment commentés.
Et dans le cas d’un juif, ça peut aller encore plus loin. Le Dr Benjamin Goldstein (ah, ces benjamins, vous savez [1]...) avait envoyé ad patres d’une seule main environ 50 fidèles à la mosquée d’Halil/Hébron, en Palestine, à la veille de Pourim en 1994. Il avait aussi causé des blessures à environ 150 fidèles de plus, à cette réserve près que des soldats israéliens présents sur les lieux lui auraient prêté main forte. Ils avaient peut-être pensé que la chasse était ouverte pour tous.
Ce Benajmin (dit Baruch) Goldstein est considéré comme un héros sanctifié par le martyre dans sa communauté, celle des chauvinistes juifs féroces de Hébron. Il vont sur sa tombe et lui demandent d’intercéder pour eux après du Tout-puissant. Les jeunes filles s’adressent à lui pour trouver un prétendant. On allume des bougies constamment renouvelées à sa mémoire. Un livre a été publié en son honneur, et son nom est fréquemment mentionné par les colons. Ils prétendent (sans la moindre preuve ni base factuelle) que ce carnage a sauvé les juifs d’un massacre par des musulmans.
Tandis que les vidéos des nationalistes blancs ont été retirées des plateformes, Youtube ne voit rien à redire à celle qui disculpe et glorifie le massacreur juif. Le Premier ministre Netanyahou (encore un Benjamin !) a décidé de faire rentrer dans sa coalition gouvernementale le parti des fans de Goldstein, Otzma Yehudit, ce qui n’a en rien interféré dans ses démarches triomphales en vue de la conférence de l’AIPAC devant se tenir le 24 mars, juste après Pourim.
Goldstein avait eu des prédécesseurs. Le 26 juillet 1983, un groupe terroriste juif s’en était pris à un collège islamique avec des grenades et des mitraillettes ; trois élèves avaient été tués et trente autres blessés. Les assaillants furent appréhendés par hasard, jugés et rapidement pardonnés par le Président israélien après une grande campagne publique : plus de 70% des juifs israéliens avaient demandé leur grâce.
À l’approche de Pourim, l’activité autour de la tombe de Goldstein atteint des sommets. Un mystique pourrait penser que le tonton flingueur néo-zélandais était passé à l’acte dans le cadre de l’effervescence que suscite la fête de Pourim. En même temps, on évite toujours de mentionner le nom du Benjamin tueur juif dans les médias occidentaux, et les officiels juifs américains, tout en exprimant leur horreur (justifiée) et leur indignation à l’égard des tueurs de Christchurch, ne font jamais allusion à leurs coreligionnaires qui ont précédé et inspiré Brenton Tarrant. Certains vont jusqu’à affirmer que rien de semblable au carnage de Christchurch n’avait jamais eu lieu.
Or donc, les nationalistes blancs ne sont pas des exceptions. Ce qui est peu banal, dans le cas de Tarrant, c’est que la composante haineuse était faible, dans son crime ; c’était essentiellement un crime de gamer. Apparemment, on éprouve des envies, à partir des jeux vidéo, de faire pleuvoir les balles sur « la vermine ». Si vous êtes amateur de jeux vidéo, vous voyez ce que je veux dire. Une sorte de FPS (ces jeux à qui tirera le premier First Person Shooter Games) où vous remplacez un zombie par votre ennemi préféré.
Et maintenant, passons à l’étape suivante, considérons les gens bien réels comme des zombies. aucun besoin de haine pour cela, et Tarrant ne haïssait pas ses victimes, d’après ce qu’il avait écrit. Il avait même écrit sur les grands amis qu’il s’était faits en Turquie.
La frontière entre le jeu vidéo et la réalité est devenue floue, avec les techniques de guerre modernes. La vidéo Collateral Murder, première révélation sensationnelle de Julian Assange et Wikileaks, nous donne le FPS d’un pilote américain qui tue des innocents et des gens sans armes dans les rues de Bagdad. Les filles soldates israéliennes actionnent un système de tuage par télécommande, par-dessus les barbelés de Gaza. Cela s’appelle le système Spot and Shoot . Elles font exactement ce qu’a fait Tarrant, c’est leur boulot de tous les jours. De même pour les opérateurs de drones, rivés à leurs fauteuils, qui tuent de très loin des enfants : pour rendre la chose plus facile, ils appellent leurs victimes des« terroristes rigolos » (« Fun size terrorists »).
Les jeux vidéo qui vous entraînent à tirer sans ressentir de haine sont un substitut de ce genre de tueries. J’ai participé à des guerres, j’ai vu et j’ai éprouvé ces choses-là en vrai. Pas besoin de haïr pour tuer l’ennemi. Si vous savez qui est votre ennemi, vous pouvez le descendre sans haine, et c’est ce que font la plupart des soldats la plupart du temps.
Pas de quoi être horrifié. Il nous faut reconnaître l’agressivité comme un élément nécessaire, dans notre mental. Ce n’est ni bien ni mal, c’est ce que nous sommes, selon l’expression favorite de Mrs. Pelosi. Nous avons un sens inné de la chasse et de la guerre, et c’est ce qui pousse un petit garçon à faire « pan ! pan ! » avant même de savoir parler.
Nous sommes câblés. Les gens aiment en flinguer d’autres ; s’ils n’ont pas le droit de le faire dans la vraie vie, il le font dans les jeux. Mais ils rêvent de le faire pour de vrai, de se battre, de tuer, et peut-être d’y rester. Cette pulsion, comme d’autres tendances destructrices, se voit normalement canalisée, voire sublimée. L’instinct de chasse et de guerre d’un garçon se voit transformé en actions héroïques, en défense de son foyer ou de sa patrie, ou en exploits herculéens. Sans cela, nous en serions encore à partager des bananes dans la jungle africaine.
Seulement voilà, nous vivons dans une société féminisée où les exploits sont hors la loi. Ce ne sont pas seulement les vêtements et les toilettes qui sont devenus unisexes, mais aussi l’endoctrinement. La propagande sur la fluidité de genre vise à éradiquer la masculinité à la racine. Un jeune homme de la classe ouvrière a très peu d’options dans sa vie. Il peut tout au plus trouver un job temporaire mal payé et sans assurance pour le lendemain. Et il peut déverser son indignation et tout ce qui le démange dans une salle de jeux vidéo ou dans des fight clubs. Ou bien consommer encore plus de drogues et d’alcool.
Les jeux, et les jeux de guerre en particulier, sont très populaires parce qu’ils servent à satisfaire des besoins de base, tout comme la pornographie. Ils sont tellement populaires que le gamer suédois mentionné par Tarrant a 90 millions de followers : infiniment plus que ne peut rêver d’en toucher un journaliste pour un article. Il y a donc beaucoup d’hommes frustrés et insatisfaits. Les jeux suffiront-ils à évacuer ces tensions exacerbées et refoulées ? Peut-être ; le porno a certainement pesé sur les relations sexuelles, au point que bien des hommes sont moins intéressés par la pratique en situation réelle.
Ce n’est pas dans l’intérêt de l’humanité, tout ça. Pour le genre humain, il vaut mieux que les hommes soient intéressés par les femmes et fassent preuve de bravoure au service de l’humanité pour gagner l’amour de celles-ci. Mais pour les gens qui se considèrent comme nos maîtres, il y a d’autres priorités. Ils veulent avoir des troupeaux calmes, de vaches et de bœufs, car les taureaux sont des fauteurs de troubles. Cette comparaison est cependant biaisée, parce que nous les humains ne sommes pas des herbivores, nous sommes plus rebelles, plus intelligents, et nous avons de la suite dans les idées.
Pour étouffer notre esprit d’insoumission, nos aspirants à la domination inventent des pièges et des dérivatifs frelatés. Greta Thunberg et ses rassemblements contre le réchauffement climatique fournissent ainsi des exutoires bidon pour la révolte. Les Gilets jaunes en France eux sont en train de fomenter une rébellion réelle, et c’est la raison pour laquelle les médias les diabolisent.
Notre société devrait être réorganisée de façon à ce que les hommes jeunes puissent réaliser des exploits bien réels. Ils veulent sauver le monde, et tout ce qu’on leur offre, c’est des hamburgers à faire sauter ou des manettes pour jouer.
Ce désir de sauver le monde est évident, dans le Manifeste de Tarrant. Il décrit le monde dans lequel avec d’autres jeunes travailleurs ils se retrouvent écartés, et même si la solution qu’il propose (le terrorisme) n’est pas la bonne, le problème, lui, est bien réel. Il voit les gens se faire remplacer par les immigrants, et il cherche quoi faire avec. Le remplacement est bien réel, mais les coupables ne sont pas les immigrants qu’on lui substitue à son poste. Ce sont les gens qui organisent le remplacement, qui bombardent les pays musulmans de façon à rendre la vie impossible aux habitants du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord, régions jadis prospères, ceux qui amènent les réfugiés en Europe (et dans l’extrême Europe que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande), ceux qui vous endoctrinent sur le thème de la xénophobie au lieu de dénoncer le moteur que constitue la rapacité.
De fait, Tarrant en est bien conscient. Il avait écrit dans son Manifeste :
« Le plus gros facteur pour l’importation de non Européens en Europe est cet appel d’air et cette volonté d’acquérir de la force de travail bon marché. Rien n’attire plus l’invasion et rien n’est plus urgent à bloquer que cette rapacité qui exige des travailleurs bon marché... Au final, la rapacité humaine et le besoin d’augmenter leurs marges de profit chez les tenants du capital, c’est ce qu’il faut combattre et briser. »
Il a parfaitement raison sur ce coup-là. L’avarice du capital, toujours avide, devrait être réduite à néant afin de sauver l’humanité, mais tuer des musulmans n’est certes pas le bon moyen pour y parvenir.
On peut très bien comprendre que Tarrant se fasse du souci à propos de la faible natalité des Européens, mais cela pour une seule raison : il considère incontournable la demande de main-d’œuvre bon marché, et la course au chiffre d’affaires. Or cela ne constitue nullement des nécessités devant absolument être satisfaites. Si la rapacité est fermement contrôlée et vaincue, et que l’immigration est bloquée, la population peut décliner doucement jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre durable soit trouvé. Pendant un certain temps, la population va vieillir, c’est vrai ; mais c’est là un effet temporaire. Nous ne sommes pas condamnés à avoir une population en croissance constante, ni des profits et des chiffres d’affaires toujours en augmentation, ni des actions toujours à la hausse, ni une expansion sans fin. Tout cela peut être modifié.
Et nous devrions nous y atteler, parce qu’autrement, nos supposés « maîtres » vont organiser une effusion de sang géante, une nouvelle grande guerre afin de faire de millions de jeunes gens subissant des privations autant de Tarrant à leur service, comme ils l’ont fait en 1914 et en 1930.
L’humanité va devoir tordre le cou à l’avarice et mettre en chantier un avenir meilleur, sans quoi elle se retournera contre elle-même : elle est là, la principale leçon à tirer du massacre de Christchurch.
Traduction : Maria Poumier.