Quarante ans que le postmodernisme ambiant n’a de cesse que de nous désapprendre encore et encore cette leçon pourtant essentielle : cette leçon qui veut que ce soit dans les forces vives de l’identité collective que trouve à se cristalliser le noyau d’opposition le plus dense à toute forme d’extrémisme barbare. Le matracage médiatique rend cette thèse chaque jour moins évidente, mais elle l’est : l’Homme trouve dans l’enracinement le rempart le plus solide qui soit à ses fanatismes intrinsèques et latents. L’homme qui est déjà ne peut par définition vouloir se transcender vers quelque surhumanité mythifiée et exclusiviste, qui tout en glorifiant les uns, assassine les autres. La vénération de la Race, la divinisation du Marché, l’idôlatrie du Parti nous menacent : lassons-nous de nous-même, et notre sommeil leur fournira l’occasion de s’emparer de nos âmes affaiblies. Les potentialités les plus sauvages que l’on sait inscrites dans le for intérieur de tout un chacun n’ont de force égale que la résistance d’une identité enracinée.
Seulement, ça, ce propos que vous tenez avec moi, c’est paradoxalement ce pour quoi le Système n’hésitera pas à vous envoyer ses chiens de garde antifascistes, à coups de « front républicain », et autre fausse résistance à la vraie résistance. Que les anathèmes tiennent lieu d’arguments chez nos adversaires ne nous donnent aucun droit de faire de même. Ne fuyons pas l’absurde parce qu’il est absurde, frottons-nous à lui pour cette même raison. Analysons leur outrage : « nazis ! ». A y bien regarder, c’est une philosophie borgne (volontairement ?) que celle qui place le paradigme identitaire aux racines du Troisième Reich, sans aucune forme de nuance. Borgne, la philosophie qui, constatant la passion identitaire de ce totalitarisme exterminateur, lui prétend trouver une alternative dans la perte de toute substance. Et pour cause : si l’Allemagne des années 1930 n’avait pas été ce cadavre vidé de ses organes économiques par la crise de 29 et humilié jusque dans son squelette politique et historique par le diktat de Versailles et l’impuissance de la République de Weimar, jamais, elle n’aurait accueilli en elle le cour pourri de l’hitlérisme. Le dire, ça n’est pas, je crois, laisser son imagination supposer la marche de l’histoire à son gré partisan. L’Allemagne de Kant, Goethe et Wagner n’eût-elle pas été coupée de ses racines civilisationnelles par le poignard de l’histoire, le projet nazi aurait limité son empire au seul esprit d’Hitler.
L’homme moderne se compare à un flacon qui, vide, sans identité, est un abri inespéré pour le poison totalitaire. La vaste entreprise de désontologisation de l’individu opérée sous les coups conjugués du déconstructionnisme derridien, du gauchisme internationaliste, de l’extrême droite ultra-libérale néoconservatrice et de la nouvelle antiphilosophie béhachélienne, cette entreprise-là n’a donc pas pour corollaire une espèce de vide identitaire baigné de part en part dans un républicanisme abstrait, mais trouve dans l’aliénation, nazie ou ultralibérale, son stade suprême, l’étape ultime de son développement. Désubstantialiser l’homme implique un vide que les pires ensauvagements s’empressent alors de combler. D’un moi solide, bardé d’une identité forte, on passe alors à un moi érodé, à la merci de toutes les manipulations, et partant, de toutes les monstruosités idéologiques. Ceci n’empêche pourtant pas le système médiatique de soumettre chaque jour un peu plus les esprits à l ’idée que destin de l’Homme occidental n’aurait d’autre horizon qu’une monolithique humanité sans qualités. Quand réalisera-t-il que cette dépersonnalisation est la première étape du totalitarisme ?
La pensée 68 aurait à répondre de beaucoup d’autres forfaits que celui-ci : Alain Badiou. Oui, Alain Badiou est un forfait à lui seul. Et pour cause : de quoi Badiou est-il le nom ? De sa fausse intelligence et de son érudition tronquée, celles qu’on lui a pu constater lors de sa consternante confrontation à Alain Finkiekraut, il y a quelques semaines dans le Nouvel Obscurantiste. Alain Badiou, du haut de son arrogance conceptuelle, nous jette de la poudre aux yeux : l’universalisme de la révolution française devient un « surgissement », un savant mécanisme de « résiliation du prédicat identitaire », une démonstration d’« antipétainisme transcendantal » (sic). Outre l’obscurité ésotérique de ces propos, totalement imperméables à un entendement moyen, outre la confusion, justement pointée par Alain Finkielkraut, entre Pétain d’une part et de Gaulle d’autre part, Drumont d’un côté, et Marc Bloch de l’autre, outre la position d’idiot utile que lui vaut la dénonciation du patriotisme et de l’anti-immigrationnisme d’un Sarkozy aussi ultra-libéral qu’ignorant de l’histoire de France, on déplore la sempiternelle incapacité de l’extrême-gauche au compromis entre les valeurs abstraites universelles et la culture singulière enracinée. Pourquoi M.Badiou ne rend-il pas hommage à la pensée d’une Simone Weil, qui, en pleine Seconde Guerre mondiale, n’avait pas manqué de voir en l’enracinement et son cortège de solidarités organiques la condition sine qua none de l’obligation envers l’humanité ? Pourquoi diable ne va-t-il pas au bout de son matérialisme historique, qui, comme son nom l’indique, est historique et non figé dans un internationalisme d’arrière-garde ? Pourquoi n’intègre-t-il pas les acquis intellectuels d’un Clouscard, défenseur de la nation comme parapet anti-capitaliste ? Pourquoi ne prend-il pas l’exemple d’un marxiste comme Alain Soral, chez qui maurrassisme de droite et marxisme de gauche entretiennent une relation vertueuse de superstructure à infrastructure ?
Au lieu d’Alain De Benoist, géant intellectuel s’il en est, « le plus grand intellectuel français » d’après les mots d’Alexandre Douguine lui-même, c’est donc Alain Badiou, le bateleur du concept, qui bénéficie d’une chaire de philosophie à Normale Sup Ulm, c’est ce vieux gauchiste sans scrupule qui, prétend-on, contribue à faire resplendir l’Esprit français à travers le monde. La France de Badiou ratiocine, or la France qui ratiocine meurt.
Le halo philosophique dont la doxa nimbe Badiou et sa clique d’escrocs de l’intelligence est encore plus illusoire que mentionné ci-avant : s’il est légitime de pourfendre l’idéologie du métissage comme idéologie négatrice d’une immense civilisation, la civilisation française, il est légitime, bien plus encore, de la déconsidérer au nom de son propre principe : si l’on suit la logique des antinationaux, si, comme nous y invite Badiou, l’on place les valeurs abstraites universelles au sommet de la hiérarchie axiologique, il ne s’ensuit nullement qu’il faille pour réaliser l’objectif suprême sacrifier sur son autel la valeur-enracinement. Bien au contraire : il apparaît, à l’aune des explications susdonnées, que l’enracinement, loin de constituer un obstacle au souverain bien, demeure en réalité ce qui, parmi toutes les configurations existentielles, se fait de mieux pour l’accomplir. L’antinational conséquent comprend dans un second temps de sa dialectique combien l’enracinement dans une nation consistante est la condition du bien suprême. Seulement, pour comprendre, encore faut-il entendre, et l’ouïe trotsko-badienne, telle l’Eglise face à Galilée, est bouchée par l’arrogance dogmatique.
Qui défend l’identité française ne pose pas les jalons d’un renouveau fasciste. On sait trop bien par quelles affres les années 1930 se sont laissés submerger, pour ne pas perdre de vue l’idéal légitime du « plus jamais ça ». Seulement, pour que « plus jamais ça », il faut connaître du « ça » les conditions effectives, ne pas en prendre les obstacles pour les fondations, ni en prendre les fondations pour les obstacles.