Avant, le viol était un acte violent, un homme avec un couteau forçait une femme à faire « l’amour » avec lui. Aujourd’hui, avec la redéfinition des pouvoirs entre hommes et féministes, et après la généralisation de MeToo, la définition du viol s’est élargie jusqu’à en devenir floue, dangereusement floue. Il ne s’agit plus d’un acte sexuel non consenti, mais d’un ressenti de violence.
Chaque jour, dans l’actualité, surgit une affaire de viol, avérée ou pas. Les deux affaires qui font la une cette semaine sont celles qui touchent la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue de son état, qui est visée par deux plaintes pour viol de la part de deux femmes.
Alors que des allégations de violences visant des gynécologues se multiplient – suscitant l’inquiétude de la profession –, Sonia Bisch, de l’association Stop VOG (pour « violences gynécologiques et obstétriques »), assure avoir recueilli trois témoignages de femmes mettant en cause Mme Zacharopoulou, « non pas pour des gestes physiques mais en raison de son attitude de mépris et des propos humiliants ou blessants tenus à l’occasion de consultations ». Ces trois déclarations, anonymes, concernent des faits qui seraient survenus en 2013, 2016 et 2020, mais elles n’ont été adressées à l’association que début 2022. (Le Monde)
L’une d’elles considère que les attouchements médicaux n’ont pas été « bienveillants », qu’ils ont été douloureux.
L’autre cas très médiatisé est celui du youtubeur Léo Grasset, qui tient la chaîne scientifique DirtyBiology forte de 1 300 000 abonnés. On va s’intéresser à lui et à ses huit plaignantes, l’une l’accusant de « viol », les sept autres de « violences psychologiques et sexuelles ».
Mediapart, qui s’est fait une spécialité du recueillement de témoignages de violées, a recueilli celui de « Lisa », amoureuse de Léo Grasset il y a quelques années. L’honnêteté journalistique nous oblige à transgresser un peu la règle de l’emprunt, mais le sujet est si sensible et si important en termes de droit qu’on ne va pas réécrire le sujet entier. Et puis, ça fait de la pub à Mediapart, nos éminents confrères.
L’histoire de Lisa commence au milieu des années 2010. À l’époque, la vulgarisation sur YouTube est un petit milieu où les liens se tissent rapidement. Léo Grasset est « charismatique » et « sympa », Lisa, qui a à peine 18 ans, « s’entiche » de lui. Ils se parlent souvent – à distance, sur Skype ou Messenger. Il vit à l’étranger. Ils flirtent. Quand ils auraient couché ensemble à l’été 2015, « il est très gentil », se souvient-elle. Leur relation est vite chaotique. Léo Grasset aurait pris ses distances puis renoué. Elle suit. « J’avais énormément d’admiration et de respect pour lui et, dans notre milieu, il est érigé en tant que Dieu », selon Lisa.
Ils se voient de temps en temps, auraient parfois des relations sexuelles. Puis il disparaît de nouveau, sans qu’elle ne sache où, ni avec qui. Parfois, dans des forums de vidéastes, il se moque d’elle, mais, en privé, revient vers elle. « Le truc qui est devenu excessivement malsain, c’est que j’étais retombée dans l’engrenage de l’admiration, de l’emprise », raconte la jeune femme. Ces sentiments contrastés lui auraient provoqué « une espèce de yoyo mental ».
Fin juillet 2016, ils doivent se retrouver à Paris. Le soir du rendez-vous, comme en attestent les messages qu’ils échangent ce soir-là, il traîne avec des amis. Elle est dépitée. Finalement, « vers 1 h 30 », le jeune homme la rejoint. Il est fortement alcoolisé, d’après plusieurs témoins. Elle est « en colère » et elle ne veut plus faire l’amour, affirme-t-elle lors d’un entretien à Mediapart. « Je lui dis plusieurs fois que je n’ai pas envie. » Après des caresses, elle aurait essayé « de se décaler ». Un geste qui aurait provoqué une « espèce de switch dans son regard ».
La jeune femme décrit ensuite une scène violente. Léo Grasset l’aurait « maintenue avec ses mains autour de son cou », et l’aurait « pénétrée avec des coups très forts ». « J’ai eu excessivement peur », raconte Lisa, en larmes durant tout le récit qu’elle fait à Mediapart. « J’ai voulu crier et il n’y avait aucun son qui sortait de ma bouche », dit-elle encore avant de parler d’un « trou noir » et de s’être sentie en « état de choc ». « J’avais vraiment une espèce de dissonance cognitive maximum où je me disais “c’est la personne que j’aime et il vient de se passer ça” », dit encore Lisa. Il serait ensuite parti au petit matin.
Voilà pour les faits, selon Lisa. On remarquera une chose, et là notre nature masculine peut constituer un biais cognitif : elle était plus amoureuse ou admirative de lui que lui d’elle. Ce déséquilibre dans la relation est classique, car toutes les histoires entre hommes et femmes ne sont pas de magnifiques histoires d’amour partagées. Souvent, il y en a un qui court après l’autre, c’est le cas de Lisa. Léo, avec son succès, a dû connaître pas mal de Lisa, mais c’est le jeu. Les femmes qui ne le supportent pas peuvent partir, et si elles restent, elles en payent le prix, que nos ancêtres romantiques appelaient les souffrances du cœur. On ne parle pas de violence sexuelle ici, mais d’acceptation d’une relation sentimentalement déséquilibrée.
Or, depuis MeToo, pour certaines femmes, il n’y a plus que deux sortes d’hommes : ceux qui se soumettent à elles, nous dirons les hommes féministes (le conjoint Ikea qui fait la vaisselle pendant que madame échange sa culture avec le migrant sur le divan), et ceux qui ne s’y soumettent pas, nous dirons les machistes.
Les premiers sont gentils mais soufrent en général de l’exercice du pouvoir par les femmes. Les autres souffrent moins, ils font même souffrir, mais en payent le prix en passant pour des monstres. C’est-à-dire, pour schématiser, qu’il ne reste plus que des soumis et des violeurs. Un homme qui ne se plie pas aux désirs d’une Lisa – qui est ici un être générique – parce qu’il la domine, risque de passer au mieux pour anti-féministe, au pire pour violent, et s’il passe à l’acte, pour violeur.
On exagère à peine. La preuve, un acte ou un moment brutal dans l’acte – parfois l’homme emporté par son désir l’impose, parfois la femme emportée par son plaisir le demande, et parfois les deux en même temps forniquent comme des animaux fous – peut ensuite être redéfini en violence, puis en viol. C’est alors parole contre parole devant le juge, ou plutôt la juge, mais la parole des femmes a aujourd’hui, victimologie oblige, plus de poids que celle de l’homme, parfois condamné à l’avance. On ne défend pas ici les violeurs, on explique que les femmes savent utiliser les nouvelles lois de protection de leur intégrité, et ce jusqu’à l’excès. Le principe de précaution, là encore, a un effet pervers. Et le pervers n’est pas toujours celui qu’on croit.
Pour revenir sur l’affaire « Lisa contre Léo », un Léo dont nous ne sommes pas l’avocat, le mauvais garçon a quand même reconnu :
« Je veux profiter de ce message pour m’excuser. [...] J’ai pas été correct avec toi quand on s’est revus en 2016. [...] Bon c’était une période particulièrement bordélique de ma vie, et ça va mieux maintenant, mais ça n’excuse rien. »
Malheureusement, on apprend par la suite que plusieurs femmes ont eu des relations avec lui, et en même temps ! Ce monstre était donc polydame. Maintenant, ces femmes parlent d’un « comportement toxique ». Marine, une victime, raconte :
« C’était très pernicieux : il y avait des fois où il ne me répondait pas pendant une semaine et ensuite une dizaine de messages en une heure… C’était toujours à son bon vouloir à lui. J’avais l’impression que j’étais à sa disposition. »
Oui, c’est ce qu’on appelle vulgairement un plan B. Mediapart résume l’horreur psychologique :
Plusieurs femmes parlent d’une forme « d’emprise » qui s’instaure. Et qui les laisse parfois en « état de choc ».
Ensuite, nous découvrons que Léo a paralysé Émilie :
En 2019, Léo Grasset et Émilie*, une jeune femme passionnée par la vidéo, se parlent « pendant des journées, des soirées, tous les jours, tout le temps ». « Il est extrêmement charismatique, très drôle, très gentil, très attentionné. C’est un peu l’homme parfait », résume Émilie. C’est en rencontrant un ami de Léo Grasset qu’elle apprend que l’histoire d’amour qu’elle croit vivre est illusoire. « J’ai été dans un état de choc », affirme-t-elle, en raison de « la situation d’emprise » dans laquelle elle se serait trouvée. Son ami Corentin confirme son « état de choc immense » : « Elle tremblait de partout, elle regardait dans le vide. Son corps ne bougeait presque plus. »
Le mot de la fin à Manon, « kidnappée émotionnellement ». On s’excuse d’emprunter autant, mais l’article vaut le détour.
Parmi celles-ci figure une autre vidéaste à succès : Manon Bril. Docteure en histoire, elle anime sa chaîne de vulgarisation sur YouTube, « C’est une autre histoire ».
Elle rencontre Léo Grasset fin 2015, à l’époque où elle se lance sur YouTube : « J’ai 5 000 abonnés, il en a 300 000. Il est super intéressant, je flashe sur lui. » Leur relation va durer plusieurs années. Laquelle est souvent à distance (il vit la plupart du temps à l’étranger), instable (« des hauts et des bas » constants), implicite (leur couple n’est jamais tout à fait officiel), souvent numérique (des échanges de messages).
Ils bossent parfois ensemble, il contribue à sa notoriété montante. « Il me donne plein de conseils, il me valorise dans mon travail. Il m’intègre dans une communauté. » Mais dans la vie personnelle, « il m’a mise dans une insécurité émotionnelle énorme », dit Manon.
Elle perd confiance en elle, elle devient « jalouse ». Elle fait très vite partie du groupe de vidéastes hostiles à Lisa. En le fréquentant simultanément, les deux femmes se sont trouvées « en concurrence » auprès de Léo Grasset pendant quelques mois. Depuis, elles se sont parlé des heures durant, se soutiennent l’une l’autre. Elles pleurent parfois en s’écoutant. Manon, surtout. « On s’est tellement haïes, enfin surtout moi. Dans cette horreur, nous vivons aujourd’hui une vraie expérience de sororité. »
À revoir : la bande-annonce de Confession d’un dragueur, le film d’Alain Soral
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Images d’archives : Alain Soral et la conquête des femmes (1996)